Je lis toujours avec grand intérêt les papiers de Jean Dutrueil. Un bouquet d’érudition, le sens de la formule, une pensée acérée, bref difficile d’être indifférent, à défaut d’être d’accord.
Je vais m’attacher à reprendre ce qui m’apparaît contestable dans l’interprétation, voire inexact factuellement.
1) La monogamie est une exigence morale aussi bien pour les Hébreux dans l’Ancien Testament: « L’homme quittera son père et sa mère, et s’attachera à sa femme, et ils seront une seule chair » (Genèse 2:24), que pour Jésus qui cite la Genèse dans le Nouveau: « L’homme quittera son père et sa mère, et s’attachera à sa femme, et les deux deviendront une seule chair » (Matthieu 19, 5) et « L’homme quittera son père et sa mère. Il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un. Ainsi, ils ne sont plus deux, mais ils ne font qu’un » (Marc 10, 7 et 8).
La formulation de la monogamie est très claire même si l’Ancien testament évoque plusieurs personnages, patriarches ou rois, ouvertement polygynes, sans exalter ni critiquer leur comportement. Du reste, le judaïsme d’après le Retour de Babylone est fermement monogame. Quant au christianisme, l’option de la monogamie n’a pas attendu Saint Paul, mais est présente dès les évangiles dans la parole de Jésus.
2) S’agissant des affirmations d’Alain Daniélou, la citation entière du passage de Mattthieu 19 montre bien que Jésus parle d’eunuques (et d’hommes ayant fait voeu de chasteté) et non d’homosexuels: « Car il y a des eunuques qui sont venus tels quels du sein de leur mère. Il y a aussi des eunuques qui le sont devenus par le fait des hommes. Et il y a des eunuques qui se sont faits eunuques eux-mêmes à cause du royaume des cieux ». Il est vrai que le frère du cardinal Daniélou est plus compétent en matière d’hindouisme.
3) Le passage sur la croix qui serait la reprise du symbole cosmique indo-européen, connu chez nous comme croix celtique, certes séduisant, procède d’une surinterprétation dénuée de fondement. La croix était tout bêtement, si j’ose dire, l’instrument d’humiliation et de torture préféré des Romains. Point barre.
4) La littérature sur l’homosexualité « païenne » est immense. Je conseille de lire le bouquin de Bernard Sergent Homosexualité et initiation chez les Indo-Européens paru en 1996 qui fait le point. La question, très complexe, car s’étendant sur plusieurs millénaires et sur des sociétés différentes, peut tout de même être résumée. Les Grecs, par exemple, glorifiait la pédérastie (le socratisme) comme procédé pédagogique, l’élève étant passif et « reconnaissant » dans le rapport . En revanche, tout comme les Romains ils jugeaient sévèrement l’homosexualité masculine entre adultes dès lors qu’elle était exclusive. Autrement dit, la bisexualité était tolérée et même parfois promue chez les guerriers, ainsi chez les Spartiates. Quant aux chefs militaires de l’Antiquité, la bisexualité de Jules César et d’Alexandre le Grand est bien connue. Le saphisme, lui, ne faisait l’objet d’aucune préconisation et d’aucun jugement moral. Il convient d’ajouter que la loi de 390 de l’empereur chrétien Théodose punissant de mort les homosexuels a été précédé de la loi Scantinia, de 226 avant notre ère, sanctionnant les invertis de relégation et d’amendes. On voit que le christianisme n’a pas constitué une rupture si profonde que cela.
5) S’agissant des causes de l’homosexualité, je suis désolé de dire que la cause est entendue et que l’on n’a pas attendu Freud pour savoir que la quasi totalité des homosexuels mâles ont baigné dans une configuration familiale bien connue: une mère hyper-possessive et un père dévalorisé (quelle qu’en soit la raison). Les autobiographies (celles de Jean Marais ou de Jean-louis Bory, très émouvantes) sont très éclairantes et les homosexuels en ont tout à fait conscience. Les théories sociobiologistes dont le docteur Zwang (grand païen devant l’Eternel) s’est fait le porte-parole en France n’ont de notoriété que dans qulques cercles lobbyistes américains. En fait l’homosexualité n’est ni un choix libre, ni une tare génétique. C’est le fruit de rapports malsains et déviants entre l’enfant et ses parents et l’homosexuel n’en est pas responsable.
6) Croire en la métempsychose est une chose: c’est un acte de foi donc irréfutable et indémontrable. En revanche, les assertions sur la génétique, figurant dans la note en bas de page, sont totalement démenties par les découvertes des vingt dernières années sur le génôme humain, notamment sur le rôle des gènes et de leurs mutations. Tout d’abord, il n’y a pas d’hérédité des caractères acquis, ni a fortiori des actes humains. Il y a bien un rôle de l’environnement sur les mutations génétiques (l’épigénétique) mais c’est tout autre chose. Quant à l’embryon, son génotype est strictement hérité de ses deux parents au bémol près qu’il a subi en moyenne 2 600 mutations sur des milliards de caractères inscrits dans les gènes. Ces mutations sont pour la plupart dites neutres, car elles n’affectent en rien l’organisme (le phénotype).
Après ces quelques remarques qui n’affectent pas l’économie générale de l’article et son argument, venons en à ce dernier. Je suis tout à fait d’accord avec l’auteur. La conception chrétienne du mariage comme fruit de l’amour est effectivement une révolution dans l’histoire de l’humanité. Et cette conception est actuellement étendue par souci d’égalitarisme, lui aussi très chrétien, aux homosexuels, uniquement dans les pays de tradition chrétienne, effectivement. Sauf que, pour citer Chesterton, il s’agit là d’un christianisme devenu fou.
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