« L’ambition dont on a pas les talents est un crime » a écrit Chateaubriand. La politique est de plus en plus encombrée par ce type de criminels. Comme ils sont élus par le peuple, c’est à celui-ci de mesurer l’épaisseur ou la carrure de ceux qu’il choisit pour qu’ils le dirigent face aux difficultés de l’époque. Celles-ci sont de deux ordres : les premières sont internes et naissent le plus souvent des intérêts divergents que suscitent les appartenances à des groupes sociaux, économiques, idéologiques, les secondes sont inséparables du choc des nations. Les premières demandent de l’expérience et de la souplesse, non sans une certaine fermeté dans la poursuite des objectifs destinés à servir le bien commun. C’est l’image de la main de fer dans un gant de velours. Le redressement économique et financier de la France exigera ces qualités. La réduction des déficits, la diminution de la dette, l’allègement du poids de la sphère publique sont des impératifs qui ne pourront être respectés qu’à la condition d’éviter le blocage de la société en raison des privilèges que leurs détenteurs estimeront lésés. Dans cette passe ardue, le choix de maintenir le cap dans l’intérêt national plutôt que de l’abandonner pour demeurer au pouvoir sera décisif. On n’imagine mal qu’un homme, dont la très courte expérience aura surtout consisté à négocier des transferts d’entreprises, et qui n’a finalement construit son ascension artificielle que sur un réseau étroit d’amis influents, dénués de tout contact avec le peuple, puisse affronter avec succès cette situation. Le 49/3, Manuel Valls, et Mme El Khomri lui ont permis de passer à travers les gouttes sans beaucoup de courage. On anticipe plus volontiers qu’il poursuivra ce pour quoi il a été programmé : maintenir, sous une forme masquée, le pouvoir actuel. Le soutien de Valls et de nombre de ministres et d’élus de gauche, agrémenté de quelques revenants de la « chiraquie », aussi peu reluisants que Delevoye, ne doit laisser subsister aucun espoir à ce sujet.
Plus angoissante encore serait la présence sur la scène internationale d’un chef d’Etat qui n’aura pas la moindre expérience dans ce domaine et dont les positions manquent pour le moins de précision et de fermeté. Que pèserait un Macron face à Vladimir Poutine, à Donald Trump, à Mme Merkel ou à Thérésa May ? Au moment même où la France est fragilisée par la faiblesse de ses performances, le petit nouveau aux idées floues ne fera pas le poids par lui-même. Il est probable que le handicap d’une majorité incertaine dans un contexte difficile le rendra totalement inaudible. On ne doit même pas écarter l’hypothèse d’une cohabitation qui le rendrait inutile ou importun. Les Français auraient alors élu un Président pour rien. Cette question est cruciale, car la politique mondiale n’est plus le long fleuve tranquille de la guerre froide, certes traversé de quelques remous, mais sans que les rives en soient modifiées. La France était dans le camp de la liberté face à l’Empire du mal. Elle faisait preuve d’une certaine indépendance que lui permettait encore son poids relatif, mais globalement, elle suivait le mouvement, celui de la décolonisation d’un côté, celui de la construction européenne de l’autre. Paradoxalement, le monde est plus dangereux aujourd’hui qu’il ne l’était dans les années 1980.
A la tête des deux principales puissances nucléaires se trouvent des nationalistes au caractère fort, à la volonté puissante. Leur jeu compliqué, où se mêlent désormais à la fois plus d’espoirs d’entente et de risques d’affrontement de l’Ukraine à l’extrême-orient en passant par la tragédie syrienne, ne laisse aucune place à un amateur. Le renforcement du pouvoir d’Erdogan en Turquie soulève des inquiétudes légitimes. Certes l’opposition conteste le résultat du référendum, mais il passera outre et sera sans doute tenté de s’appuyer comme tout dictateur sur le sentiment plus que sur la raison. Or deux sont à sa disposition, le nationalisme turc, plus vivace que jamais, et la foi musulmane. Il continue en Syrie à s’opposer à deux ennemis, les Kurdes et Bachar Al-Assad dans un pays où s’entrecroisent des stratégies concurrentes, américaine, russe, turque, iranienne, saoudienne, sunnite, chiite, qui en font une poudrière. Sa volonté d’hégémonie sur la « communauté » turque en Europe montre le danger immense que représente pour le continent l’existence d’une immigration massive mal intégrée et toujours soumise aux influences religieuses et nationales extérieures.
Faute d’avoir mesuré le péril, Mme Merkel va affronter les prochaines élections allemandes moins facilement qu’il n’était prévu. Mme May a créé la surprise en provoquant des élections législatives anticipées afin de s’appuyer sur une majorité plus forte pour entamer le Brexit. L’avenir de l’Europe n’a jamais été aussi incertain. Ses institutions ont révélé leur impuissance et sont discréditées. Ses représentants officiels sont grotesques à force d’insignifiance. Il faudrait que les Français soient fous pour confier le pouvoir suprême de leur pays à quelqu’un qui n’en aurait pas la carrure. Dans la tempête, il faut un capitaine à qui une longue pratique a enseigné à la fois la persévérance dans la détermination et l’empirisme dans la stratégie. Nous avions un capitaine de pédalo, il ne nous faut pas le pilote de régates d’un club chic. Il est préférable de confier le bateau « France » à un commandant habitué aux traversées difficiles qui a su, ces derniers temps, faire preuve d’une résistance prometteuse.
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