Pendant qu’on occupe le pays avec des reculades sociales piteuses et que le premier ministre se penche très sérieusement sur la suppression du mot race dans la constitution (l’emploi du temps de Valls avait un trou, probablement), l’agenda financier de l’État continue, lui, de progresser comme prévu.
On a bien compris que la guerre contre l’argent liquide est actée, que des mesures sont déjà prises activement pour réduire tous les jours le pouvoir d’échappatoire que constitue le cash aux emprises tyranniques des États.
De même, on sent bien que tout est fait pour répandre l’idée d’une distribution gratuite d’argent frais, non par hélicoptère mais par voie électronique (plus simple et moins polluante) ; le revenu du base, universel ou inconditionnel est dans tous les esprits et il ne faudra probablement plus attendre très longtemps pour que ce piège se referme sur les populations niaisement demandeuses.
La panoplie ne serait pas complète sans le retour en force de la saisie fiscale à la source pour l’impôt sur le revenu.
En France, c’est un serpent de mer dont on aperçoit régulièrement la queue ou la tête, et qui est si souvent remis dans l’actualité qu’on a pris l’habitude d’en entendre parler en haussant les épaules. Cela fait des décennies que cette idée trotte dans la tête de nos dirigeants ; en décembre 2006, j’en parlais déjà alors que le gouvernement d’alors envisageait de mettre en place le prélèvement des impôts à la source pour … 2009. Bizarrement, les péripéties politiques ainsi qu’une crise carabinée ont effacé ce désir d’avenir fiscal balisé d’un Bercy tapant directement dans la caisse des entreprises et affranchissant, dans le geste auguste du receveur, tous les contribuables du fardeau de déclaration.
Mais l’idée est restée, fermement ancrée dans les têtes des petits ronds-de-cuir de l’administration fiscale et des politiciens qui font vaguement semblant de les diriger, pour rebondir, d’années en années. En mai 2015, le Sapin de Bercy remettait le couvert – plusieurs fois – sur le sujet avec un talent difficile à dépasser en prétextant une simplification de l’impôt…
Il faut dire que la mesure est appétissante.
D’une part, il y a la promesse qu’une retenue à la source offre de disposer des fonds que crame l’État bien plus vite qu’actuellement où une part non négligeable de l’impôt est récupéré par tiers.
D’autre part, deux effets positifs apparaissent à la mise en place du procédé : pour commencer, les contribuables ne voient plus la ponction, ce qui adoucit psychologiquement la pression fiscale, même si cela ne change rien de la pression réelle. Bien sûr, les douze premiers mois, le contribuable sentira bien une baisse sensible (10% environ ?) de sa rémunération. Mais après cette première année tendue, l’affaire sera oubliée.
Ensuite, cela offre une nouvelle marge d’innovation pour Bercy : accroître l’impôt, modifier son mode de calcul ou ajouter des conditions farfelues ne pose plus de problèmes puisqu’au lieu d’emmerder prodigieusement des dizaines de millions de foyers fiscaux, on se contente de tracasser furieusement un nombre bien plus réduit d’experts-comptables et de fiscalistes au sein des entreprises avec lesquels la population n’a de toute façon pas de rapports réguliers ; on troque des dizaines de millions de rouspéteurs par quelques centaines de milliers dont c’est, commodément, le métier. C’est une opération très rentable politiquement.
Pas étonnant, donc, qu’elle revienne à nouveau dans l’actualité. Et maintenant, c’est du sérieux : le prélèvement à la source sera lancé en 2018, tadzam, c’est sûr, c’est certain, c’est acté.
Youpi.
En plus, ce sera facile à mettre en place puisque ce seront, encore une fois, les entreprises qui seront mises à contribution impliquées dans la collecte. Comme pour la TVA. Comme pour tant d’autres accises, cotisations et vexations habituelles.
Et comme pour toutes ces précédentes ponctions, une mutation va s’opérer : au bout de quelques années, ce qui n’a jamais été payé par quelqu’un d’autre que le salarié ou le client sera magiquement « payé par l’entreprise » ou « le salaud de patron »… Comme pour les vaches ! Taxez-les suffisamment longtemps, et les contribuables finiront par croire que ce sont elles qui déboursent les sommes demandées, et non le consommateur au final. Magique.
Et question simplification, ne vous inquiétez pas, tout est prévu : tous les revenus seront préalablement amputés par l’organisme verseur (que ce soit la caisse de retraite ou l’employeur, ou autres), grâce aux petits calculs réalisés par l’administration fiscale et qui lui seront transmis. Quant aux revenus des indépendants et les revenus fonciers, l’impôt sur les revenus de l’année en cours fera l’objet de jolis petits acomptes finement calculés par l’administration et payés mensuellement ou trimestriellement…
Cette administration étant ce qu’elle est, et l’ensemble étant massivement informatisé, tout comme le furent d’autres projets décisifs, on peut raisonnablement parier sur une réussite flamboyante sans anicroche, au-delà même de toute analyse d’impact sur le concept de base.
En effet, n’oublions pas que de nombreux pays sont déjà passés au prélèvement à la source, mais la mise en place de ce procédé s’est toujours déroulé avec deux atouts notables : tout d’abord, une législation fiscale notoirement moins complexe que la française (un petit coup d’œil sur ce précédent billet vous permettra d’apprécier l’ampleur du petit décalage qu’il y a entre ces pays et la douce France) ; et ensuite, un vrai désir de simplification de l’opération fiscale, un pragmatisme chevillé au corps administratif qu’on n’a jamais vu pour le moment, même de loin, dans le pays des impôts calculés sur des impôts (bisous CSG).
Avec l’assurance de Bercy que, je cite, « le barème de l’impôt sur le revenu n’est pas modifié ; il restera notamment progressif. Il prendra toujours en compte l’ensemble des revenus perçus par le foyer. La familialisation et la conjugalisation de l’impôt seront conservées. L’imputation de réductions ou l’octroi de crédits d’impôts seront maintenus. Le geste citoyen de la déclaration de revenus ainsi que l’avis d’imposition seront maintenus », on comprend cependant que l’opération ne sera simplifiée pour personne : les contribuables devront toujours remplir des déclarations, devront toujours se chicaner avec l’administration dès que leur cas sort des cas simples et balisés ; les entreprises devront gérer cette nouvelle donnée sur des feuilles de salaires qui n’ont pas arrêté d’évoluer sur les dernières années, avec des lignes en moins, des lignes en plus, des éléments à ajouter, à retirer.
En résumé, on se dirige droit vers une opération très risquée, avec des gains à peu près nuls pour l’administration fiscale, et des coûts évidents pour tous les autres acteurs. Quel intérêt de se lancer dans une telle manœuvre ?
Politique, bien sûr ! Hollande est président, ne l’oubliez pas, et il reste obsédé par sa réélection. Or, une telle opération, en dehors de tous ses inconvénients pratique, dispose d’un avantage indéniable : outre le fait de présenter enfin une réforme concrète dans le désert de gesticulations de son quinquennat, le mécanisme permettra de prétendre à une année 2017 exempte d’impôts (puisque cette année-là ne seront prélevés que ceux sur les revenus de 2016, et que le prélèvement à la source synchronisera le tout en 2018).
Et même si cela ne changera rien pour le contribuable ni l’État, comptez sur le candidat Hollande pour faire valoir ce magnifique cadeau aux électeurs !
En 2018, le prélèvement à la source, s’il est finalement mis en place, pourra bien être bourré d’erreurs et provoquer des crises de nerfs pour de nombreux contribuables et entreprises ; à ce moment, l’élection sera passée.
Après elle le déluge.
> H16 anime le blog Hashtable.
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