Pour vraiment en finir avec les stagiaires

C’est un sujet qui n’est que rarement abordé dans la presse, et, à vrai dire, encore moins dans ces colonnes. Peut-être est-ce dû au fait qu’il est lourd de symboles d’une époque difficile, peut-être ce sujet touche-t-il de façon trop douloureuse le vécu de beaucoup d’entre nous, et notamment de tous ces chroniqueurs qui ont eu, un jour, à passer par là, ou peut-être, plus simplement, est-ce un sujet assez barbant ? Allez savoir, en tout cas une chose est sûre : on parle fort peu des stagiaires.

Rassurez-vous, comme ils sont en France de plus en plus nombreux, c’est un sujet qui va revenir régulièrement sur la table ; et comme on compte actuellement plus d’1.6 million de personnes officiellement stagiaires, le gâteau électoral commence à devenir appétissant. On comprend donc très bien pourquoi le législateur s’est soudain senti une vocation à mettre ses petits doigts boudinés dans la « belle » mécanique qui avait été mise en place pour saboter réguler les stages (et dont on peut noter les premières tentatives en 2006, année à laquelle le pays avait vaguement remué sous les pleurs stridents d’une génération qui s’était elle-même qualifiée de précaire).

Comme je l’ai dit, j’ai assez peu traité le sujet des stagiaires. J’ai donc décidé de me renseigner directement à la source et j’ai consulté le quintuplet de stagiaires qui m’ont été attribuées lorsque je suis rentré à Demaerd Industries comme plombier de combat. Oui, je suis comme ça, la perspective d’avoir à échanger quelques phrases simples avec ces petites créatures ne m’effraie pas et je suis donc allé les voir pour leur parler de ce projet de loi. Dès le début, elles se sont montrées intéressées.

 

« Voilà les filles, je vous explique. Le gouvernement est en train de se pencher sur le cas des stagiaires, et il est en train de travailler sur un projet de loi qui vise à limiter votre nombre par entreprise et aussi, parce que c’est écrit dans le projet, à revaloriser votre statut. Bon, y’a d’autres choses en plus de cet élément, bien sûr, mais l’idée, c’est ça, c’est de revaloriser votre statut et de limiter votre prolifération, tout ça. Ça vous plaît, les filles ? »

À vrai dire, je m’attendais à ce genre de réaction : quand on est jeune, on ne sait pas toujours à quel point les politiciens sont fourbes, ou simplement stupides et provoquent systématiquement des effets de bords indésirables et rapidement hors de contrôle dès qu’ils se mêlent de la vie des autres avec les informations idiotes qu’ils rassemblent n’importe comment en écoutant tel ou tel lobby ou, pire encore, tel ou tel syndicat. Une fois l’euphorie passée, un peu d’analyse lève tout doute : comme d’habitude, cette future couche pamperso-législative supplémentaire vise à protéger les stagiaires des petits désagréments de la vie en entreprise et va terminer par un fiasco épais et rédhibitoire qu’une prochaine loi, dans un ou deux ans, visera à corriger en apportant un lot supplémentaire de problèmes inextricables et de solutions vexantes pour tout le monde.

Sur le papier, on découvre donc que si la loi passe, le nombre de stagiaires sera limité par entreprise, leur durée aussi, et que le statut de ces stagiaires va être amélioré. C’est important, en France, le statut : c’est un peu le lubrifiant ultime dans le pays, socialement parlant. Les gens n’ont plus vraiment de métier, ils ont un emploi (comme celui du temps), et les plus chanceux ont un statut (et pour certains, en bronze massif, ce qui explique leur totale immobilité). Et là, dans ce fameux Statut du Stagiaire, la loi veut garantir des protections relatives aux durées maximales de présence (parce que faut pas pousser, hein), la possibilité de valider son stage malgré son interruption (parce que, faut pas pousser, hein), l’exonération d’impôt sur le revenu des gratifications reçues pendant le stage et des autorisations d’absence en cas de paternité ou de grossesse. Il était temps : on ne compte plus les stagiaires qui accouchent à même les photocopieuses…

Toutes ces bonnes résolutions qui vont bientôt entourer le stagiaire forment un tout parfaitement cohérent qui vise à statufier pardon protéger les pauvres petites bestioles qui, jusqu’à présent, se faisaient dévorer tout cru par le patronat, et comme pour toutes bestioles, il va falloir (je cite l’un des promoteurs du projet, la député Chaynesse Khirouni) « favoriser le développement de stages de qualité », pour obtenir, je suppose, une viande de stagiaire plus ferme et plus goûtue, ainsi qu’instaurer leur inscription dans un beau registre de contrôle, « afin de mieux tracer leur présence » … comme les poulets. On comprend vers quoi tout ceci se dirige, et d’ailleurs, Ginette, qui a bien coaché Geneviève Fioraso, la ministre en charge de tout ce bazar, l’a bien compris :

En limitant le nombre de stagiaires par la loi, il n’est pas invraisemblable d’imaginer que des tensions notables vont se créer dans ce domaine déjà par ailleurs particulièrement tendu. Eh oui, à mesure que les formations diplômantes (ou non) fournies par l’Édulcoration Nationale peinent à assurer un niveau quelconque de ceux qui les suivent, les entreprises ont pris le relai de deux façons.

D’une part, elles ont appuyé sur le passage par le stage pour s’assurer que le profil pourrait correspondre à un besoin d’embauche futur, et pour beaucoup d’entre elles, ont assuré à leur frais la formation de ceux qui allaient (espéraient-elles) rejoindre leurs rangs. C’est un vrai pari dans la mesure où l’embauche n’est pas assurée, tant parce que les conditions de marché évoluent beaucoup, que parce qu’un jeune formé peut décider d’aller voir ailleurs…

D’autre part, les conditions d’embauche (CDD ou CDI) devenant de plus en plus complexes, les entreprises ont eu recours à cette forme bâtarde de période d’essai extensible pour combler à la fois la demande croissante des jeunes pour des stages, parfois nécessaire pour obtenir un diplôme, et la demande croissante en petites mains pour des tâches subalternes, moins complexes ou plus répétitives dans l’entreprise : eh oui, comme le salaire minimum et ses charges afférentes augmentent, toutes les tâches auparavant dévolues à ces niveaux de paie deviennent trop chères, et sont alors en priorité redirigées vers les stagiaires, beaucoup moins coûteux.

Une fois qu’on a compris ces deux précédents points, on voit tout de suite que la limitation du nombre de stagiaires dans une entreprise ne va rien résoudre du tout : les petites tâches ne seront plus remplies, et les stagiaires devront se battre pour espérer obtenir un poste au sein des rares entreprises qui pourront encore se lancer dans ce genre de démarches sans s’attirer les foudres des syndicats de stagiaires et autres agglomérations irritantes de saprophytes périphériques. J’attends avec impatience le développement des combats de stagiaires potentiels dans de la gelée de groseille, cela promet des moments épiques.

Le précédent billet qui évoquait les problèmes des stagiaires datait de 2006 et pointait déjà ce qui va se passer : les stages lourdement réglementés, le statut du stagiaire une fois figé dans une bonne grosse loi, les entreprises réfléchiront à deux fois avant de mettre le doigt dans ce mécanisme et l’offre diminuera. Il aura donc fallu presque sept années pour que le lobbying porte ses fruits mais rassurez-vous : enfin, le stagiaire sera bouté de France.

Ce pays est foutu.

> h16 anime le blog hashtable. Il est l’auteur de Égalité taxes bisous.

Related Articles

4 Comments

Avarage Rating:
  • 0 / 10
  • Caroline , 21 janvier 2014 @ 22 h 20 min

    Ca ne semble pas être le cas. Les lois récentes qui instauraient un défraiement minimum pour les stages de plus de trois mois n’ont pas diminué le nombre de stages. Ils me semble qu’il y en a de plus en plus. Par expérience, un stagiaire, payé 350 €, de haut niveau, est plus rentable qu’une personne en contrat aidé (600€) faiblement qualifiée…

  • Laurent , 21 janvier 2014 @ 22 h 44 min

    Pourquoi ne pas dire à quel point la loi prévoit de contraindre les sociétés en terme de nombre de stagiaire ?
    Si la loi prévoit de limiter à un stagiaire pour un employé, je vois pas ce qu’il y a de mal à casser les boites qui ne marchent qu’au stagiaire et qui refuse de recruter. Si par contre ça devient drastique, effectivement.
    Je ne connais pas la loi, donc j’en sais rien. Mais là, je vois un article creux. Dommage, le sujet est intéressant et aurait pu être de fond.

  • champar , 22 janvier 2014 @ 0 h 39 min

    Il y a trois catégories de stagiaires et c’est fonction de l’entreprise :

    – La première catégorie : Le stagiaire à qui l’entreprise assure une vraie formation, cela prend du temps et le stagiaire coûte beaucoup plus que ce qu’il peut éventuellement rapporter : une vraie place de travail, un encadrement qui assure la formation et une certaine désorganisation du service pour faire la place au stagiaire car une vraie mission doit être pilotée de près, elle engage l’entreprise qui n’a pas donné une activité bidon.
    Ce type de stage aura tendance à disparaître s’il est réglementé car dans les entreprises, il faut insister pour trouver des services qui acceptent de prendre des stagiaires qui vont prendre du temps et du budget. En revanche, si le stagiaire a montré ses capacités il arrive que l’on s’en rappelle pour lui proposer un emploi ultérieurement.

    – La deuxième catégorie : Le stagiaire est le parent de quelqu’un de la maison, on se pousse pour faire une petite place, à charge de revanche pour quelqu’un de sa famille une prochaine fois. Pourquoi pas une rémunération, un petit boulot qui peut valider des études. On fait visiter l’entreprise, l’utilité du stage et la formation ne sont pas prioritaire. C’est une variante des avantages en nature.

    – La troisième catégorie de stagiaire a un stage qui doit rapporter à l’entreprise, l’intérêt du stagiaire est totalement absent, cela lui servira à valider son cursus scolaire ou universitaire, il n’y aura que le vernis extérieur. L’entreprise qui donne ce type de stage s’adaptera parfaitement aux apparences de la contrainte réglementaire puisque cela lui permet d’avoir une main d’oeuvre bon marché, l’exemple de la photocopieuse illustre parfaitement ce type de stage.

    En résumé : l’accroissement de la réglementation torpille le stage de 1° catégorie et ne laisse survivre que le stage de 3° catégorie (ainsi que le stage de 2° catégorie tant que l’entreprise a les moyens de donner des avantages en nature)

  • baldag , 22 janvier 2014 @ 15 h 06 min

    Plus l’offre concernant les emplois sera faible, plus le nombre de stagiaires augmentera.
    Il y a les stagiaires engendrés par la politique : ça fait bien dans le paysage.
    Puis il y a les autres stagiaires : ceux qui ont besoin d’apprendre à travailler. Ils n’ont en effet aucun autre moyen, dans ce système éducatif que nous subissons, pour apprendre les réalités d’un métier, quel qu’il soit.
    Ex-employeur, je me souviens du défilé des demandeurs à certaines périodes de l’année. On voyait bien que leur premier souci n’était pas d’apprendre un métier mais d’obtenir un stage, car il leur était absolument nécessaire dans le cadre du dispositif scolaire.
    Beaucoup d’entreprises en accueillent. Au gout des enseignants et des politiciens de gauche si hostiles aux entrepreneurs, elles ne jouent pas le jeu de l’apprentissage et abusent de leurs stagiaires car elles leur donnent des tâches à exécuter sans rémunération.
    Bien. Il faut être capable d’intégrer ce qu’est un métier ce qui n’est ni à la portée d’un enseignant qui n’a jamais oeuvré en entreprise, ni à la portée d’un politicien de gauche qui n’a jamais travaillé.
    Pour apprendre son métier, il faut que le stagiaire “mette les mains dans le cambouis”. Si on ne lui fait pas accomplir les taches ingrates inhérentes à chaque métier, il n’en connaîtra rien.
    Par ailleurs, le stagiaire n’est pas “productif”. Lorsqu’un employeur en accueille un, pour peu qu’il s’en occupe personnellement ou qu’il le confie à une personne pour lui apprendre un certain nombre de chose, lui faire exécuter un certain nombre de tâches et contrôler, cela lui coûte du temps, donc de l’argent. Il n’y a rien de plus horripilant que de voir un jeune placé quelques jours dans une entreprise, restant mains dans les poches, errant d’un endroit à l’autre tout au long de la journée.
    Alors, parler de la rémunération d’un stagiaire? Cessons de dire des âneries…
    Mais je reconnais que certaines entreprises ayant besoin de M.O. non qualifiée peuvent abuser de la situation. Mais alors, dans ce type d’entreprise, un stagiaire n’a rien à apprendre et il appartient aux enseignants de le vérifier, ce qu’ils ne font pas.
    Il y a peut-être une autre formule que la rémunération.

Comments are closed.