En cette année doublement désastreuse pour la santé et pour l’économie, M. Macron dont les Français jugent l’autorité inférieure à celle de ses deux premiers ministres successifs, a décidé de se refaire… une santé sur la scène internationale. C’est une année « de Gaulle » et le voilà parti aux dires de certains sur le chemin de la troisième voie : ni Moscou, ni Washington mais en première ligne en Méditerranée Orientale, au Liban, et aux côtés de la Grèce face à sa tête de Turc : Erdogan. Le président turc est si antipathique que s’attaquer à lui peut susciter l’adhésion d’électeurs « de droite » que Macron rêve de séduire d’ici 2022. Cette posture n’a pas la clarté de celle de Sarkozy qui avait choisi l’Amérique en réintégrant l’OTAN et en participant au prétendu Printemps arabe de l’ère Obama avec une intervention aux conséquences catastrophiques en Libye et une condamnation du président syrien. La France jouait les atlantistes appliquées et se trouvait en compagnie douteuse d’Erdogan et du Qatar, c’est-à-dire des Frères Musulmans, le visage caché de la « révolution » arabe. Pour celui qui avait reçu Kadhafi et Bachar Al-Assad à l’Elysée, le tête-à-queue était impressionnant et n’avait rien de gaulliste !
« L’Occident derrière les USA en croisade pour la démocratie au profit des musulmans ». Le film hollywoodien avait fait un tabac depuis la Bosnie jusqu’à l’Egypte sur le dos des Orthodoxes et des Chrétiens d’Orient dont l’oncle Sam se moque absolument puisque, lorsqu’ils sont obligés de partir de chez eux, ils deviennent souvent de bons et loyaux Américains, nullement poseurs de bombes. Dans le Western, le Président Poutine était devenu la brute et le truand, guerrier annexant indument des territoires russes depuis des siècles et empoisonnant ses opposants de façon assez maladroite pour que les Occidentaux le sachent. Dans un premier temps, Macron a pris la suite de Sarkozy et de Hollande, avec plus de retenue que le premier, mais moins de mollesse que le second : en Avril 2018, la France avait bombardé, aux côtés de ses amis américains, l’armée syrienne après un hypothétique usage de gaz par celle-ci .
L’ennui, c’est qu’avec le nouveau président américain, aussi imprévu qu’imprévisible, qui, certes, twitte plus vite que son ombre, on a changé de film, du western au film d’espionnage, où on ne sait qu’à la fin, et encore, qui est qui, qui est avec qui, qui est le méchant ou le faux gentil. Les Turcs dirigés par un Frère musulman étaient bien à l’oeuvre dans le renversement des dictatures laïques arabes, avec plus ou moins le soutien des monarchies du golfe, sunnites et réputées salafistes. En Syrie, ils soutenaient la rébellion de l’autre côté de la frontière, par fraternité religieuse et intérêt national, avec la bénédiction des occidentaux qui eux croyaient qu’il était question de démocratie… En Face, il y avait les affreux : les Russes et les Iraniens, le nationalisme allié au fanatisme. Sauf que le soutien larvé d’Ankara à l’Etat islamique et son cynisme génocidaire cette fois à l’encontre des Kurdes, de même que l’âpreté de la répression après un coup d’Etat manqué a jeté bas les masques. De plus, les monarchies arabes, à l’exception du Qatar, détestent les Frères musulmans. L’Egypte chassait ces derniers du pouvoir à la satisfaction de tous, sauf d’Erdogan. Mais, en Syrie, un processus de paix semblait s’instaurer à Astana avec une entente inattendue entre Russes et Turcs. Depuis, c’est la confusion : Bachar contrôle 70% du territoire mais les Turcs occupent le nord au détriment des Kurdes et protègent le dernier bastion rebelle d’Idlib. Les Américains annoncent leur départ mais empêchent toujours l’armée syrienne de reprendre possession des puits de pétrole laissés aux Kurdes à l’est de l’Euphrate. Cette pression américaine vise plus les Iraniens que les Russes. Il s’agit d’interdire la constitution du croissant chiite qui atteindrait la Méditerranée au Liban avec le Hezbollah, bête noire de Washington et de Tel-Aviv. Par ailleurs, la Libye revient au premier plan et cette fois, la Russie est face à la Turquie, ce qui est plus logique, mais aux côtés de l’Egypte et des Emirats, voire de l’Arabie Saoudite, et même de la France, ce qui l’est moins.
Si Erdogan s’est contenté de sauver les meubles en Syrie, il vient de marquer un point en Libye en repoussant l’offensive du Maréchal Haftar sur Tripoli grâce à l’envoi de miliciens, d’armement en dépit de l’embargo, et à l’installation de deux bases militaires. Il en a profité pour conclure un traité avec le gouvernement libyen qui lui a accordé une délimitation très favorable des zones méditerranéennes, parfaitement contraire aux traités internationaux. Depuis, les frictions avec les autres Etats riverains, membres de l’Union Européenne, la Grèce ou Chypre se sont multipliées. La brutalité du style est évidente : Erdogan dépêche un navire de forage protégé par des vaisseaux de guerre dans les eaux grecques. Michelle Bachelet, le Haut-Commissaire des Nations unies au Droits de l’Homme, interpelle d’autre part le président turc sur les violations commises par les groupes armés sous le contrôle effectif de la Turquie en Syrie. Nicholas Heras, analyste au Center for a New American Security, dénonce aussi l’utilisation de la rareté de l’eau dans le Nord-syrien, par les Turcs pour asseoir leur autorité sur la région.
Médiatiquement, le Président Turc devient une bonne cible. Pour autant, la France a-t-elle les moyens d’une politique aventureuse dans un contexte aussi mouvant ? En Libye, faute d’un soutien suffisant, elle a laissé échapper la chance d’une réunification du territoire qui aurait effacé la sanglante boulette de Sarkozy dont les conséquences pèsent lourdement sur les soldats français engagés au Sahel. En Syrie, après avoir joué les supplétifs de l’Amérique, elle n’a plus son mot à dire dans un pays sur lequel elle a exercé un mandat de 1920 à 1943. Elle reprend heureusement pied au Liban mais n’a pas encore obtenu la constitution d’un nouveau gouvernement. M. Macron avait pourtant rencontré le Hezbollah dans ce but : pour les Américains et Israël, il avait déjeuné avec le diable ; les Chiites ainsi reconnus font au contraire une résistance imprévue. Enfin, La France a volé au secours de la Grèce au nom de la solidarité européenne qu’elle semble bien seule à défendre. Qu’est devenue la grande partenaire germanique dont on célébrait l’amitié indéfectible, il y a peu ? Elle conserve ses yeux de Chimène pour le vieil allié turc, et les millions d’électeurs réputés allemands qu’il contrôle. Le Président Trump est en contact permanent avec Erdogan de même que ce dernier, décidément aussi courtisé que détesté, avec Poutine. Certes, il est beau que la France se batte pour les petits, mais est-elle encore un Grand ?
2 Comments
Comments are closed.