Le Pape François a effectué récemment une visite apostolique en Amérique du Sud. Ce retour aux sources est d’autant plus légitime que c’est la partie du monde où le catholicisme est largement majoritaire au point de réunir 40% des Catholiques de la planète. Surtout, il connaît une pratique fervente qui semble en recul en Europe. Le Saint-Père a choisi trois pays parmi les petits et les pauvres : l’Equateur, la Bolivie et le Paraguay. Ce choix s’inscrit dans un message qui privilégie l’humilité, mais risque aussi des interprétations, voire des contre-sens politiques. A plusieurs reprises, le Souverain Pontife a été accompagné dans sa visite par des Chefs d’Etat et a pris la parole devant des publics constitués de représentants associatifs majoritairement plutôt à gauche. Ses discours ont donc été souvent politiques et sociaux plus que spécifiquement religieux. Benoît XVI privilégiait la vérité inséparable de l’amour qu’on porte à son prochain. François exerce sur les foules et les médias une séduction fondée sur la simplicité et la franchise parfois brutale des paroles. Mais la sympathie dont il jouit de la part de médias peu suspects de papisme doit éveiller l’attention. Les commentaires qui font apparaître le Pape comme plus soucieux des questions sociales et écologiques que d’une tradition morale catholique sans cesse bousculée par les réformes sociétales des sociétés « avancées » négligent la permanence et la cohérence de l’enseignement de l’Eglise contenu dans sa doctrine sociale au centre des propos du Saint-Père.
Certes le style a changé depuis Benoît XVI, dont chacun des mots était pesé, et dont la pensée ne cessait de s’appuyer sur une érudition sans faille qui lui permettait de se référer non seulement aux textes de la riche tradition chrétienne mais aux sources philosophiques et religieuses les plus diverses. La subtilité de sa réflexion la rendait parfois étrangère au grand public et des commentateurs incultes ou malintentionnés ne s’étaient pas privés de la déformer ou de la dénoncer. On se souvient de la polémique qui avait suivi la « leçon » de Ratisbonne consacrée à un thème qui lui était cher, le lien entre la foi et la raison, et au cours duquel il avait évoqué avec retenue le rapport de l’islam avec la violence. Les critiques qui lui ont alors été adressées devraient faire sourire si la situation du monde actuel ne les rendaient pas stupides et révoltantes. De façon plus concrète et évidemment moins contestée, le Pape François a, en Bolivie, dénoncé « le génocide en marche » à l’encontre des Chrétiens d’Orient. Dans une lettre de Décembre, il allait jusqu’à souhaiter une intervention militaire internationale et exhortait les représentants de toutes les religions à condamner la violence religieuse. En avril, il stigmatisait « la furie djihadiste », mais déplorait l’indifférence à son égard. Ces propos sont beaucoup plus directs et durs que ceux de son prédécesseur et ne rencontrent guère d’opposition tant la réalité les rend légitimes. Le Saint-Père ne s’exprime pas en Chef d’Etat. Il interpelle, une à une, les consciences, non seulement celles des dirigeants, mais des humbles qui « peuvent faire beaucoup ». « L’avenir de l’humanité n’est pas uniquement entre les mains des grands dirigeants, des grandes puissances et des élites » a-t-il rappelé au Paraguay.
Alors certains médias sont tentés, comme le Monde, de souligner la distance prise avec le Président « de droite » du Paraguay, Horacio Cartès et de ne pas insister sur la gêne ressentie à l’égard de celui « de gauche » de la Bolivie, Evo Morales, lorsque celui-ci lui a offert une faucille et un marteau, ce dernier « détourné » en crucifix. Le Pape ne soutient pas tel ou tel homme politique. Il interpelle leur conscience, par exemple, l’autre Président « de gauche », celui de l’Equateur, Rafael Correa, sur l’obligation de ne pas s’accrocher au pouvoir. Son discours a été de portée générale sur les trois thèmes qu’il a évoqués. L’économie n’est pas une fin, mais un moyen. Le gain à tout prix ne doit conduire ni à l’exclusion sociale, ni à la destruction de la nature. Ces trois objectifs convergent vers une même finalité : la dignité humaine. Une bonne économie est celle qui permet à chaque personne d’accéder au travail et aux droits qui l’encadrent, à chaque famille de posséder sa terre et son toit. La mauvaise est celle qui appauvrit les pauvres, dépossède les nations de leur souveraineté, porte atteinte à la Mère-Terre et alimente la 3ème guerre mondiale fragmentée qui se propage. La propriété vorace et égoïste est condamnable. La propriété responsable et altruiste est respectable. Bien malin serait celui qui pourrait réduire les idées exprimées par le Pape François à des préférences politiques. Il nous interpelle sur la dérive de notre monde, dominé par un système qui privilégie l’individualisme, le consumérisme et l’argent au détriment du Bien Commun.
Ceux qui voudraient voir dans son message un appel à la révolution parce qu’il demande un changement de structures oublient que l’adversaire désigné est précisément le système qui en s’appuyant sur la soif du gain et la puissance technologique bouleverse tout, pratique la révolution permanente. Si le pape est révolutionnaire, c’est un révolutionnaire conservateur, qui rappelle le progrès à l’ordre. Dans son encyclique Laudato Si, il avait déjà opposé l’écologie intégrale qui comprend l’écologie humaine à la pensée contradictoire des écologistes. « La défense de la nature n’est pas compatible avec la justification de l’avortement… » avait-il précisé de même qu’il avait dénoncé « l’attitude qui prétend effacer la différence sexuelle ». En s’adressant avant tout aux peuples plus qu’à leurs dirigeants, l’appel du Pape François demeure essentiellement religieux : il appelle davantage à une « conversion des coeurs », à une révolution morale qu’à un grand soir politique.
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