Tribune libre de Pierre Mayrant
Le CVUH : Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire. Un bien vaste programme. L’intitulé nous rappelle les heures de gloire de l’URSS. Le regard policier de ce comité associé au Parti de Gauche s’est récemment penché sur le cas Métronome, le fameux livre d’histoire de Paris, écrit par l’acteur Lorànt Deutsch et adapté en série documentaire sur France 5, dont le succès fut pour le moins inattendu. Le jugement, sans concession, dénonce un parti pris idéologique anti-républicain, royaliste et catholique. Chose étonnante : la condamnation un peu tardive se situe au même moment que la diffusion à grande audience de la série Inquisitio sur France 2.
Sur cette dernière, la vigilance fut moindre. Après tout, il ne s’agit que d’une œuvre fictive, et, apparemment, pour le CVUH, l’idéologie qu’elle véhicule semble être moins nocive que celle de M. Deutsch, d’autant plus que la critique est portée par un historien médiéviste, William Blanc – qui aurait d’ailleurs eu tout intérêt à décortiquer les monstruosités historiques d’Inquisitio, puisqu’il est expert en la matière.
Nous pourrions nous arrêter là sur cette querelle entre réactionnaires et progressistes : Il y a des pour, il y a des contre et le débat s’amplifie toujours là où l’oeuvre rencontre le succès et devient populaire. Mais à lire les articles de chacun, ce sont des manières d’entendre l’histoire qui resurgissent et qu’il convient d’analyser de plus près.
Dirigeons-nous dans un premier temps sur l’article « Métronome : un succès historique ? » de William Blanc, doctorant en histoire médiévale sous la direction de Laurent Ferrer. L’intitulé de sa thèse en préparation sous-entend déjà à quelle école historique il appartient : Problèmes de l’économie de transhumance en Provence au XVe siècle : les intermédiaires, entre nourriguiers et loueurs d’estives. Ce titre un peu ronflant rappelle l’École des Annales. Plus exactement, le thésard s’inscrit dans la mouvance de La Nouvelle Histoire qui ajoute à la démarche scientifique d’origine des emprunts au structuralisme et au marxisme. Aucune critique à cet égard : l’école dont La Nouvelle Histoire est l’héritière a révolutionné l’historiographie contemporaine et il faut s’en réjouir. Sauf que… cette école a ouvert la voie à de nombreux partis pris : lutter contre la notion de fait historique qui s’imposerait toute seule à l’historien, faire barrage à l’histoire politique évènementielle qui masque le vrai jeu de l’histoire et se focaliser sur les deux seules directions valables aujourd’hui : l’économique et le social. Ces méthodes dites scientifiques ne doivent pas cacher une direction bien plus idéologique qu’elles n’y paraissent, selon l’historien regretté Hervé Couteau-Bégarie :« S’il n’y a pas de contenu idéologique dans une série démographique, il y en a dans le fait de préférer la démographie historique à l’histoire politique. »
William Blanc n’attaque donc pas directement les erreurs historiques (qu’il ne détaille pas outre-mesure) ; partant du présupposé que l’histoire est une science dure portée par une seule tendance, la sienne, il dénonce la direction idéologique que Lorànt Deutsch aurait décidée de prendre pour aborder son histoire de Paris – sans avoir conscience, ou en niant tout simplement sa propre orientation : « L’ouvrage est devenu un vrai phénomène social et même historiographique qu’il convient d’analyser, ne serait-ce que parce qu’il remet en cause, sur un ton très badin, les fondements mêmes de la discipline historique. » Je préciserais « sa » discipline historique, car les écoles historiques sont légion, qui diffèrent largement de celle de M. Blanc.
Toutefois, William Blanc n’est pas cohérent dans sa critique : une fois Lorànt Deutsch est accusé d’exalter la figure du héros historique (« Autant de convictions, en fin de compte, qui le poussent à remettre au goût du jour un récit héroïque poussiéreux et figé, dédaigneux des débats et des avancées de la recherche historique« ), une autre fois, c’est le peuple qui n’est pas assez individualisé (« Face à eux, un peuple informe, jamais individualisé (sauf par quelques rares tribuns toujours issus des classes aisées), s’opposant toujours sans que l’on sache trop pourquoi au « progrès » impulsé par les monarques« ). William Blanc ne voudrait voir comme simple acteur de l’histoire que la masse régie par les structures économiques et sociales dont le progrès la mènerait, à coup de révolutions, vers le troisième âge marxiste. Il reproche en réalité à Lorànt Deutsch de s’inscrire dans l’école positiviste de la IIIe République, plus hégélienne, qui considère que l’individu est acteur de l’histoire, que le rôle d’un seul peut être déterminant dans la marche du Progrès. En réalité, le véritable souci du CVUH, loin de procéder à « une nécessaire vigilance sur les instrumentalisations et détournements de l’histoire à des fins politiques« , est, en plus de faire le buzz, de défendre son petit pré-carré universitaire.
Ecole positiviste et Nouvelle Histoire sont deux écoles historiques contradictoires, mais basées toutes les deux sur la même notion de progrès. Elles sous tendent, une vision idéologique identique de l’histoire, au coeur de laquelle je ne suis pas sûr que Lorànt Deutsch s’inscrive. En cela, malgré ces divergences de taille, La Nouvelle Histoire reste l’héritière du positivisme historique. William Blanc, s’il savait exactement ce que signifiait « idéologie », n’aurait sans doute pas écrit cet article ou se serait uniquement attelé à la soi-disant vision historique réactionnaire de l’acteur. Il peut bien sûr se détacher de celle-ci qu’il juge trop partisane, mais ne peut la qualifier d’idéologique car elle ne se présente pas comme une science rationnelle et irréfutable n’impose aucune forme d’idéal messianique.
Malheureusement, là, William Blanc procède aux pires confusions qui engagent encore plus sa crédibilité de critique historique : « Pour le reste, le lecteur attentif redécouvre un récit héroïque comme pouvait le proposer Le Tour de la France par deux enfants. Les rois et les saints catholiques en sont les héros et le moteur. » Le Tour de France par deux enfants (d’Augustine Fouillée, alias G. Bruno) est l’un des livres pédagogiques les plus anticléricaux de la IIIe République. Si tel avait été Métronome, à l’instar d’Inquisitio, je doute une fois de plus que cet article eût été publié, je crois même que c’est Deutsch lui-même qui aurait écrit un article sur le site du CVUH pour présenter son ouvrage.
Tout cela révèle l’incapacité de ce comité de salut public de l’histoire marxiste à prendre conscience que des individualités aient pu faire l’histoire sans avoir été déterminées auparavant par des structures économiques et sociales, et, surtout, que ces individualités aient pu être rois, ou saints, ou catholiques. On comprend ainsi la meilleure empathie de ce comité de vigilance pour la sainte Catherine de Sienne d’Inquisitio, transformée en mystique écervelée, plutôt que pour les saints deMétronome. Je m’en reporte aux propos du professeur de thèse de William Blanc, Laurent Feller – bien que n’ayant rien à voir apparemment avec ce comité -, qui précise dans une interview pour le site L’histoire pour tous : « L’Eglise catholique est restée une structure d’oppression très longtemps ». En une phrase, tout est dit d’une école qui présente sa formule comme scientifique et toutes les pensées divergentes à la sienne comme idéologiques.
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