par Michel Robert
Les présidentielles ont reconfiguré l’échiquier politique autour du débat entre « progressistes » et « conservateurs ». Les législatives ont fait figure de match ultime entre « réformateurs » et « corporatistes ». Comme l’ont montré plusieurs conflits récents, les résistances aux changements ne manquent pas….
Les cochers n’ont pas accueilli avec émerveillement l’arrivée de l’automobile, de même que les fabricants de bougies n’ont sans doute pas jugé à sa juste valeur l’invention de l’électricité. Dans un monde qui change, les réformes qui s’imposent se heurtent le plus souvent à de multiples oppositions, conservatismes et autres corporatismes. La lutte acharnée des taxis contre les VTC en est un exemple, parmi d’autres.
Les taxis vent debout contre les VTC
En janvier 2008, Jacques Attali rendait au président de la République, Nicolas Sarkozy, le rapport de la « Commission pour la libération de la croissance française ». Parmi ses recommandations, figurait celle d’ouvrir à la concurrence certains secteurs réglementés. La commission proposait notamment d’augmenter le nombre de taxis et de développer de nouvelles offres de transport dédiées à des segments spécifiques de la demande… Mais devant le rejet massif des chauffeurs de taxis, le gouvernement de l’époque avait finalement renoncé, dès la première manifestation, à lancer cette réforme.
Mais la nature ayant horreur du vide, et la demande créant l’offre, une nouvelle forme de concurrence est apparue et s’est fortement développée depuis 2008 : celle des VTC (véhicules de tourisme avec chauffeur) et des plateformes de réservation sur smartphone comme Uber ou Heetch. Les taxis ont alors tenté par tous les moyens de freiner cette progression. Le 9 janvier 2013, ils se mobilisaient dans toute la France contre cette « concurrence déloyale » et provoquaient des kilomètres de bouchons à Paris et dans plusieurs villes de province. Nouvelles manifestations un an plus tard, le 13 janvier 2014, puis le 10 février, puis à nouveau le 11 juin, dans le cadre d’un mouvement européen.
Suite à tous ces conflits, la loi Thévenoud d’octobre 2014 a délimité plus précisément les droits et devoirs respectifs des taxis et des VTC, afin de protéger et de moderniser les premiers, tout en encadrant l’essor des seconds – les taxis conservant le monopole de la « maraude » et du droit de stationnement sur la voie publique en attente d’un client. Mais en juin 2015, nouvelle flambée de colère et violente grève des taxis qui demandent aux pouvoirs publics d’interdire le service UberPop. Puis les taxis manifestent à nouveau en janvier 2016, demandant à l’Etat de faire appliquer la loi Thévenoud. Certains n’hésitent pas à réclamer « la suppression pure et simple » des VTC pour « stopper la destruction » de leur métier. De nouvelles tensions qui déboucheront sur la loi Grandguillaume de décembre 2016, qui vise à « pacifier » les relations et à stabiliser le secteur. « Il y a une transformation radicale qui est en train de se jouer », analysait à ce sujet Emmanuel Macron lorsqu’il était ministre de l’Economie. « Ce n’est pas le gouvernement qui aura à décider. Ce sont celles et ceux qui consomment de la mobilité et celles et ceux qui offrent de la nouvelle mobilité. C’est ça qui va se passer ».
Les opticiens en guerre contre les réseaux de soins
Dans le domaine de la santé, le développement des réseaux de soins, qui ont pourtant fait leurs preuves, doit également faire face à certaines résistances. Apparues il y a une quinzaine d’années, ces plateformes de santé, agréées par des organismes complémentaires, passent des contrats avec des professionnels de la santé (opticiens, dentistes, audioprothésites, etc.) qui acceptent de modérer leurs tarifs et de s’engager sur certains critères qualitatifs. En offrant ainsi des prestations de qualité pour un coût maîtrisé, ces réseaux permettent de faire baisser le « reste à charge » des patients pour les soins mal remboursés par la Sécurité sociale, tels que l’optique, le dentaire ou l’audition. Selon différentes études, les réseaux de soins permettent ainsi de faire baisser les tarifs de 15 à 30 % en optique – 30 à 40 % sur les verres et 10 à 20 % sur les montures –, de 10 à 50 % pour les prothèses auditives et de 20 % en moyenne sur les prothèses dentaires. Des résultats qui contribuent à favoriser l’accès aux soins, à l’heure où de plus en plus de Français renoncent à se soigner pour des raisons financières, et qui participent également à la maîtrise des dépenses de santé. Les assurés ayant accès à ces réseaux de soins, via leur mutuelle ou leur complémentaire santé, bénéficient également de services supplémentaires comme le tiers-payant généralisé ou des actions de prévention…
Malgré tous ces atouts, les réseaux de soins comptent pourtant de farouches opposants. Plusieurs syndicats de professionnels de santé libéraux ont en effet choisi de partir en guerre contre les réseaux de soins. Inquiets en particulier de la maîtrise de leurs honoraires, ces syndicats d’opticiens, de dentistes ou d’audioprothésistes ont trouvé, en période pré-électorale, une oreille attentive du côté des parlementaires Les Républicains. Les arguments développés contre les réseaux de soins reprennent ceux d’un consultant en santé, Frédéric Bizard, à la fois proche des syndicats de professionnels de santé libéraux et de certains élus Les Républicains. Ils pointent les menaces pesant, selon eux, sur « la liberté du patient » et sur « l’indépendance des professionnels », ainsi que le risque d’une « médecine à deux vitesses ». La Fédération nationale des opticiens de France (Fnof) a ainsi remis une pétition contre les réseaux de soins au Parlement et au ministère de la santé en octobre 2015, au moment même où le député LR Daniel Fasquelle déposait une proposition de loi pour la suppression des réseaux de soins…
Les notaires en colère contre la loi Macron
Dans un autre secteur, celui des professions juridiques réglementées, le nouveau président de la République, Emmanuel Macron, a pu mesurer directement la force des résistances corporatistes avant la promulgation de sa loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques de juillet 2015. En modifiant certaines réglementations, cette loi se fixait comme objectif de « libérer » l’activité économique dans un grand nombre de secteurs, en réglant « les trois maladies de la France : la défiance, la complexité et le corporatisme ». Pour cela, le texte visait notamment à réduire le caractère fixe des tarifs des professions juridiques réglementées – notaires, huissiers de justice, commissaires-priseurs, greffiers des tribunaux de commerce, administrateurs et mandataires judiciaires – et à augmenter le nombre de professionnels dans ces secteurs.
Un rapport de l’Inspection générale des finances sur le sujet montrait en effet que le bénéfice net avant impôt représente en moyenne 19 % du chiffre d’affaires de ces professions, soit 2,4 fois la rentabilité constatée dans le reste de l’économie. Ce rapport pointait également un taux de satisfaction assez faible dans beaucoup de ces professions. Mais les professionnels, dans leur grande majorité, se sont violemment opposés à cette volonté de libéralisation. Les notaires, en particulier, n’ont pas lésiné sur les moyens pour dénoncer la loi Macron, qualifiée de « projet de démolition » de leurs offices et de l’emploi de leurs collaborateurs. Le 10 décembre 2014, une vaste manifestation rassemblait à Paris plus de 50 000 professionnels du droit. La guerre faisait également rage sur les réseaux sociaux et à l’Assemblée. Le lobbying s’intensifiait et le ton montait. Le ministre recevait même des menaces de mort, qui se révélèrent finalement être une mauvaise blague d’un notaire corse.
Le député socialiste du Finistère et rapporteur général du texte, Richard Ferrand (éphémère ministre du premier gouvernement Macron), dénonça en ces termes le lobbying des notaires : « Certaines professions ont atteint un haut niveau dans l’art de la communication et parviennent à faire valoir des arguments diffusés sous forme de kit pour les plus oublieux d’entre nous ». Quant au président de l’Assemblée, Claude Bartolone, il s’étonna du comportement d’une partie de la profession, qui après avoir manifesté par deux fois en décembre 2014, avait lancé une campagne de lobbying agressive : pages de publicité dans les quotidiens, nombreux courriers dans les permanences parlementaires, huées contre le Premier ministre Manuel Valls lors d’un meeting dans le Doubs, messages parfois menaçants sur les réseaux sociaux, propositions d’amendements pré-rédigées pour les députés, et bien entendu… chantage aux suppressions d’emploi.
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