L’affaire du « mur des cons » l’avait révélé : la justice du pays des « droits de l’Homme » est pénétrée par la politique et déterminée par des choix partisans. Il fallait bien s’en douter un peu : quand on brandit trop certaines valeurs, il y a toujours un risque que ce soit pour cacher leur absence réelle. Coup sur coup, on a appris que les auteurs de l’attaque du RER D n’avaient écopé d’aucune peine ferme et qu’un manifestant contre le mariage unisexe était condamné à quatre mois de prison dont deux fermes avec mandat de dépôt immédiat. Un jeune homme est en prison pour avoir refusé qu’on traite un opposant comme un délinquant, en prélevant notamment son ADN. Les conclusions sont limpides : l’opposition politique est davantage sanctionnée dans notre pays que la délinquance et le banditisme. C’est hélas l’une des marques du totalitarisme. Raymond Aron, dans Démocratie et totalitarisme, indiquait la « politisation », la « transfiguration idéologique de toutes les fautes possibles des individus », comme l’un des signes de la société totalitaire. En l’occurrence, la comparaison des deux faits incriminés selon un point de vue objectif ou au travers d’une lecture idéologique montre dans quelle dérive notre pays est engagé.
“Il est désormais établi que la manifestation non violente est un délit susceptible de vous conduire en prison.”
L’intérêt objectif de la société et de ses membres réside dans la sauvegarde de leurs droits. La déclaration des Droits de l’Homme le proclame solennellement. Quels sont ces droits ? Ils sont énumérés : la liberté, par exemple, celle de se déplacer librement en RER sans se faire agresser ; la propriété, qui ne permet pas à une bande de rançonner les voyageurs du RER ; la sûreté qui doit garantir notre intégrité physique contre toute violence ; la résistance à l’oppression, qui nous permet de manifester contre des lois injustes. Il est clair que les actes commis par les loubards de Grigny portent atteinte à trois droits fondamentaux et qu’un tel comportement devrait être sanctionné avec la plus grande fermeté. L’attaque a eu lieu en bande organisée, puisque les auteurs des vols et des violences commis sur les voyageurs communiquaient entre eux et semblaient se rattacher à un groupe : Mafia Grigny Danger. Ils avaient pris soin, en infraction à une loi dont tout le monde se moque puisque ni la police ni la justice ne s’en soucient, de cacher leurs visages. Cette dimension collective et préméditée aurait dû, d’après les textes, accentuer encore la sévérité des peines. Non, elle s’est traduite par trois attaques successives les 13, 15, et 16 mars et a donc permis qu’un lieu voué au service public échappe aux lois de la République sans que la police intervienne et avec pour réponse de la justice des peines dérisoires et des rappels solennels dont on a dû rire à gorge déployée dans les cités « sensibles ». Indépendamment des faits d’une gravité inouïe, c’est l’exemple offert de la capacité de nuisance de tels groupes qui devait être dissuadé avec la plus grande énergie. L’ordre public, les droits des citoyens, l’avenir même des jeunes délinquants exigeaient une sanction rassurante pour les uns et totalement dissuasive pour les autres. Au contraire, on a développé la peur des citoyens et renforcé l’impunité des voyous. En revanche, il est désormais établi que la manifestation non violente est un délit susceptible de vous conduire en prison. Curieux, les complices médiatiques de la dérive totalitaire se taisent, regardent ailleurs, oublient d’évoquer les heures noires. Ce serait pourtant le moment : le carriérisme, l’opportunisme, l’hypocrisie ont fait les beaux jours politiques, policiers, judiciaires, et journalistiques de certains en 1940… Un pilleur de train peut devenir un dangereux criminel. Il est logique qu’il soit inscrit dans les archives de la sécurité. Un manifestant politique ne présente ni dans le présent, ni dans l’avenir de menace pour la société, mais seulement pour le gouvernement. Il sera peut-être un jour député, lorsque de vrais élus de droite remplaceront les professionnels opportunistes d’aujourd’hui. Il n’y a aucune raison sérieuse de le ficher, de prélever ses empreintes ou son ADN, cet ADN que les belles-âmes ne voulaient pas qu’on utilise pour contrôler la régularité de l’immigration par regroupement familial.
“Nous sommes désormais, nous aussi, chez Poutine, avec la différence que celui-ci met en prison des gens plutôt antipathiques et que les autres le soutiennent parce qu’au moins, il a redressé la Russie.”
Les décisions judiciaires deviennent, en revanche, très logiques lorsqu’on les analyse en fonction de l’intérêt idéologique. Entre les victimes sociales des cités sensibles, touchées par l’exclusion, frappées par le chômage, exposées sans doute au racisme, et dont la colère, la révolte sont les résurgences de la lutte des classes et le fils de bourgeois dont on peut faire un exemple, qui ne va pas supporter la prison, dont l’incarcération va faire peur à tous ses semblables, le choix de la main lourde au détriment du second est absurde objectivement mais transparent idéologiquement : la situation sociale excuse, l’engagement politique à droite condamne. La prison est objectivement nécessaire pour éviter la récidive. Elle est superflue pour qui ne menace pas ses concitoyens et ne changera certes pas ses idées. Le travail d’intérêt général, pour réagir de manière proportionnée à l’insoumission, aurait peut-être été acceptable dans un pays qui s’écarte déjà dangereusement de la démocratie. L’enfermement est un aveu. Nous sommes désormais, nous aussi, chez Poutine, avec la différence que celui-ci met en prison des gens plutôt antipathiques et que les autres le soutiennent parce qu’au moins, il a redressé la Russie. Je ne souhaite pas que l’on prive de leurs libertés les gens qui ne pensent pas comme moi, mais je constate que ceux qui pensent comme moi se voient aujourd’hui privés de leurs libertés. J’admets qu’on critique un pays qui ne respecte pas les libertés fondamentales. Je refuse qu’on défende ou réprime la liberté selon les opinions de ceux qui en font usage. Certes son abus est déterminé par la loi. Mais lorsque les restrictions deviennent, elles-aussi abusives, alors il est bon de se référer à 93 plutôt qu’à 89 : « Dans tout gouvernement libre, les hommes doivent avoir un moyen légal de résister à l’oppression ; et lorsque ce moyen est impuissant, l’insurrection est le plus saint des devoirs ». Nous n’en sommes pas encore là, mais l’injustice criante nous en rapproche !
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