Dès la nouvelle connue les réseaux sociaux se sont enflammés. La cathosphère embrasée. Les tweets ont fusé. Les familles se sont embrassées. Les prêtres fidèles, confinés, ont sabré le champagne. Une liesse que ne peuvent comprendre ceux qui ont fait de leur ventre leur dieu s’est emparée des catholiques pour qui : « Le culte de la sainte Eucharistie (constitue) comme la source et l’origine de la vraie piété chrétienne » (Mediator Dei, Pie XII, 20 novembre 1947). Par un arrêté du 18 mai le Conseil d’Etat venait d’ordonner au gouvernement de « lever l’interdiction générale et absolue de réunion dans les lieux de culte » dénonçant : « une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de culte ». Était ainsi réduit à néant l’article 10 § III du décret No 2020-548 décrétant : « Les établissements de culte sont autorisés à rester ouverts. Tout rassemblement ou réunion en leur sein est interdit ». Le gouvernement dispose d’un délai de huit jours pour revoir sa copie.
La vie est un combat
Ce jugement faisait suite à plusieurs requêtes déposées par des personnes privées mais aussi, globalement, par l’ensemble de ce qu’il est convenu d’appeler le monde de la Tradition, par référence à la liturgie romaine traditionnelle : sociétés religieuses, associations, personnalités politiques ou intellectuelles, etc. Il convient d’abord, de rendre hommage aux requérants et à leurs avocats pour leur action, dont le succès était tout sauf certain. Ensuite, il faut observer que ce rétablissement de la liberté de culte a été le fruit d’une véritable bataille judiciaire et non le résultat d’un dialogue de l’épiscopat avec les autorités gouvernementales. Une partie du monde catholique s’était enthousiasmée à l’écoute du discours aux Bernardins d’Emmanuel Macron le 9 avril 2018, omettant d’arrêter son attention sur cette déclaration sans ambiguïté : « Je demanderai ( …) de respecter absolument et sans compromis aucun toutes les lois de la République. C’est cela la laïcité, ni plus ni moins, une règle d’airain pour notre vivre-ensemble qui ne souffre aucun compromis ». On a connu propos plus empathiques !
Un épiscopat globalement absent
Il eut paru logique que l’épiscopat français fût à la pointe de ce combat pour le rétablissement de la liberté de culte. Il n’en a rien été. Mgr Aupetit, archevêque de Paris, avait annoncé après que des policiers fussent entrés, en armes, dans une église de Paris qu’il se préparait à « prendre la parole et aboyer très fort ». Pas le moindre petit jappement ne semble être parvenu à l’oreille du gouvernement qui, quelques jours plus tard, renouvelait son interdiction du culte public. Nous serions plutôt au Temps des chiens muets pour reprendre le titre de la passionnante autobiographie de Mgr Seitz, évêque de Kontum au Viet-Nam. Pas un seul évêque ni un seul prêtre diocésain ne figure parmi les requérants de l’arrêté du 18 mai même si quelques évêques et prêtres ont assumé des positions courageuses à rebours de la démission générale. Le fait est là. Incontournable. Massif. Le 18 mai au soir, un communiqué de la Conférence des Evêques de France a « pris acte » de la décision. On eut pu espérer que la CEF se réjouisse du rétablissement de la liberté de culte en France. Que nenni ! Elle se contente de prendre acte de ce fait, comme elle prendrait acte de l’augmentation du prix des poireaux. Dans le même communiqué la CEF se réjouit que cette décision aille dans le sens des demandes de la lettre de Mgr de Moulins-Beaufort à Emmanuel Macron le 15 mai dernier. Comment se dit « mouche du coche » en latin ?
Tout cela laissera des traces. Le mépris que les pouvoirs publics ont affiché vis-à-vis des représentants de l’épiscopat les a meurtris. Les humiliations contre les catholiques sont quotidiennes. Ainsi Olivier Véran, notre « sympathique » ministre de la santé, s’est énervé du temps consacré à la liberté de culte (30’) lors des débats sur le déconfinement à l’Assemblée nationale. Stupéfaits les évêques de France découvrent que leur parole ne pèse quasiment plus rien dans le débat public. Le rôle qui leur est dévolu dans le « Nouveau monde » est de célébrer des obsèques dans les lieux prestigieux que bâtirent nos ancêtres et de chanter les louanges des défunts, quels qu’aient été leurs comportements antérieurs (vie dissolue, promotion de l’avortement, appartenance à des sectes maçonniques condamnées par l’Église, etc.) Cette prise de conscience est cruelle. Une autre ne l’est pas moins. C’est celle d’une partie des fidèles, qu’il est simpliste mais utile, et pas complétement faux, de qualifier de conciliaires. Beaucoup se sont sentis abandonnés par leurs pasteurs. La confiance s’est effritée. Après avoir observé que leurs amis paroissiens des communautés traditionnelles vivaient un confinement liturgique, physique ou virtuel, disons plus audacieux, que dans leurs paroisses ils constatent que la liberté de culte leur est rendue grâce à l’action de ces mêmes communautés ou de leurs proches. Certains s’interrogent. D’autres ont déjà franchi le pas, rejoignant les dites communautés.
Deux conceptions différentes
C’est fondamentalement sur sa relation au monde que se partage, depuis longtemps et durablement encore, l’Église qui est en France. Deux visions s’affrontent. Une vision initiée par Léon XIII et son encyclique sur le ralliement (Au milieu des sollicitudes, 16 février 1892) de conciliation avec les pouvoirs publics et de refus des conflits. Ce fut, en 1905, la position des évêques de France qui étaient prêts à accepter la mise en place des associations cultuelles avant que saint Pie X par l’encyclique Vehementer Nos du 11 février 1906 ne l’interdise absolument. L’autre vision trouve ses racines dans l’histoire longue de notre pays. Le monde traditionnel est, par nature, moins consensuel avec les pouvoirs publics issus de la Révolution française, que le monde conciliaire. Il vibre davantage à la devise de sainte Jeanne d’Arc : « Messire Dieu premier servi » qu’à la déclaration de clôture du concile Vatican II par le pape Paul VIle 7 décembre 1965 : « Nous, plus que quiconque nous avons le culte de l’homme ». Les coups de matraque et les coups de crosse sont constitutifs de sa culture. Il sait que la promulgation de la fête de sainte Jeanne d’Arc comme fête nationale, en 1920, n’a pas été que le fruit de l’action du Saint-Esprit mais aussi la conséquence des 10 000 jours de prison endurés par les camelots du roi. Quant à celui qui restera devant l’histoire comme la figure de proue de la résistance traditionaliste, Mgr Marcel Lefebvre, chacun sait les avanies qu’il dut subir.
Ces débats ne datent pas d’aujourd’hui. Déjà, en 1905 Jean Jaurés notait : “Nos adversaires nous ont-ils répondu ? Ont-ils opposé doctrine à doctrine, idéal à idéal ? Ont-ils eu le courage de dresser contre la pensée de la Révolution l’entière pensée catholique qui revendique pour Dieu, pour le Dieu de la révélation chrétienne, le droit non seulement d’inspirer et de guider la société spirituelle, mais de façonner la société civile ? Non, ils se sont dérobés ; ils ont chicané sur des détails d’organisation. Ils n’ont pas affirmé nettement le principe même qui est comme l’âme de l’Église ». Enfin, ce jugement du Conseil d’Etat met en lumière et confirme la montée en puissance dans l’Église de France de ceux que Yann Raison du Cleuziou a appelé les « catholiques observants ». Le combat de la foi, aujourd’hui, ne semble plus mené prioritairement par les évêques, en corps, hormis quelques exceptions mais par des laïcs et des communautés religieuses, fidèles à la grande Tradition de l’Église.
Jean-Pierre Maugendre
Président de Renaissance catholique
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