L’histoire est tissée de déplacements et de remplacements de populations. Les uns ont été provoqués par des guerres, des invasions, des exterminations, les autres par des évolutions démographiques internes à un pays. Le tiers au moins des habitants de la Turquie était composé de chrétiens au début du XXe siècle. Ils ont disparu dans les limites actuelles du pays . Le Kosovo était une province de la Serbie peuplée par des Serbes orthodoxes. La majorité de sa population est aujourd’hui albanophone et musulmane. La Pologne a glissé d’Est en Ouest avec des migrations considérables. Certains pays sont aujourd’hui presque totalement habités par des immigrés comme les Etats-Unis, le Canada ou l’Australie. La situation de la Palestine n’a donc rien d’exceptionnel. Simplement, le problème se noue sur deux particularités. La première est réelle : beaucoup de réfugiés ont passé le témoin de génération en génération, demeurant dans des camps d’accueil, alors que dans la plupart des cas, les expatriés se réimplantent ailleurs avec le temps. Les Etats arabes riches et ayant besoin de main d’oeuvre qualifiée ne manquent pas à proximité. La seconde particularité appartient au discours : les Juifs ont été victimes de persécutions en Europe, et ce sont les Palestiniens qui en subissent les conséquences. C’est donc une situation injuste. Cette moralisation de la question est assez superficielle, car, le plus souvent, les populations victimes de ces déplacements forcés subissent les effets de décisions politiques dont elles n’avaient pas anticipé les conséquences. Ainsi, le refus par les pays arabes voisins de reconnaître Israël, et la guerre immédiatement déclenchée contre le nouvel Etat, ont créé le drame. Il n’était pas absurde d’imaginer que les deux communautés demeurassent côte à côte et en paix. Le Foyer national juif existait avant l’indépendance et son existence inscrite dans le Traité de Sèvres stipulait qu’il ne remît pas en cause les droits civiques et religieux des Arabes. Il y a une minorité d’Arabes israéliens, musulmans ou chrétiens, et parmi eux des Druzes qui ne répugnent pas à servir dans les rangs de Tsahal. Toutefois les tensions et les heurts se sont multipliés entre les deux guerres. Mais, c’est durant la guerre victorieuse menée par la Haganah ou l’Irgoun, que des massacres ont été commis de part et d’autre, et que la coexistence est devenue très difficile. Le rôle joué par le Grand Mufti de Jérusalem, Hadj Amine al-Husseini, lors de ces affrontements, crée un lien entre le génocide nazi et le refus des Arabes d’accueillir des Juifs sur leur territoire. Son soutien à Hitler a été manifeste jusque dans la création d’unités Waffen-SS musulmanes. De nombreux nazis se sont, par la suite, réfugiés dans des pays arabes comme l’Egypte ou la Syrie.
La persistance de la question palestinienne ne tient donc pas à la plus grande injustice de la situation, mais à deux de ses aspects. Le premier réside dans la religion musulmane. Elle a pris le relais du nationalisme arabe, qui englobait des chrétiens, dans l’opposition à la présence juive. Ce dernier, une fois vaincu, était plus accommodant. La chute de l’URSS lui a, par ailleurs, ôté tout allié. L’Egypte, avec sagesse, a accepté la paix, une fois ses territoires récupérés. L’islamisme, en revanche, sépare le monde en deux : la terre d’islam, et celle de la guerre, c’est-à-dire de la conquête par l’islam. Il n’est pas question, pour lui, d’abandonner définitivement un pouce de territoire islamique à des mécréants. Et ce ne sont plus nécessairement des pays arabes, mais l’Iran ou la Turquie qui soutiennent les islamistes du Hamas ou du Hezbollah dans leur volonté de détruire Israël. Le pétrole et le gaz ont fourni aux Etats les plus attachés aux origines intangibles de l’islam les moyens de répandre une conception salafiste de cette religion. L’objectivité oblige à constater que la violence ou la discrimination à l’encontre des membres des autres religions sont présentes aujourd’hui dans un grand nombre d’Etats à forte population musulmane, de l’Indonésie au Nigéria. Le second aspect résulte de la synergie entre le djihad anti-juif et la lutte plus globale contre l’Occident menée par ceux qu’il avait colonisés. Israël est alors présenté comme une colonie, un empiétement anachronique du monde riche et développé sur celui des déshérités, des damnés de la terre. Sous ces deux aspects, loin d’apparaître comme une situation assez fréquente dans l’histoire, l’existence de l’Etat hébreu est brandie par ses ennemis comme une anomalie que le sens de l’histoire, aussi bien celui des musulmans que celui des marxistes, doit emporter.
Face à cette vision puissante, il ne sert à rien d’utiliser le passé pour légitimer l’un des deux antagonistes. Les Palestiniens ont été dépossédés au profit d’un peuple qui faisait de cette terre sa patrie mythique destinée à être un jour retrouvée depuis qu’il en avait été chassé non par les Arabes, mais par les Romains, puis les Byzantins, en raison de ses révoltes trop fréquentes. La diaspora juive avait d’ailleurs débuté bien auparavant. Que Jérusalem soit avant tout juive, la Bible nous l’enseigne, et on devrait raisonnablement l’accepter. Elle est aussi le lieu du Saint-sépulcre des chrétiens, et donc le plus sacré puisque l’événement essentiel du christianisme s’y est déroulé. Toutefois, les chrétiens n’ont jamais exigé qu’elle soit la capitale d’un Etat chrétien même s’ils l’ont obtenu durant un siècle. Les croisades avaient seulement pour but d’y permettre les pèlerinages rendus impossibles par les Seljoukides. Le lien avec l’islam est plus ambigu. Depuis la conquête sur l’Empire byzantin, en 637, l’islam a dominé la ville jusqu’à sa prise par Tsahal, en 1948 puis en 1967, avec la parenthèse du Royaume franc entre 1099 et 1187. La durée d’occupation de Jérusalem est donc indéniable. En revanche, qu’elle soit la 3e ville sainte de l’islam est fondé sur une croyance religieuse, le voyage aérien et nocturne de Mahomet entre La Mecque et Jérusalem, dont il est permis de douter lorsqu’on n’est pas musulman. Il y aurait donc dans l’unité de Jérusalem comme capitale d’Israël, une sorte de reconnaissance du droit de premier occupant. Sauf que la Bible nous apprend aussi que le pays de Canaan a été conquis par les Juifs, certes parce qu’il leur avait été promis par Dieu, mais là-aussi, le doute est permis chez ceux qui ne s’inscrivent pas dans la tradition judéo-chrétienne… (à suivre)
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