Entretien avec Marc Crapez, chercheur en science politique, sur l’actualité politique de la semaine écoulée.
Qu’avez-vous pensé de l’intervention de François Hollande ce dimanche sur Canal + ? A-t-il réussi à s’adresser aux jeunes ?
La chaîne payante créée par François Mitterrand invitait François Hollande à débattre avec des jeunes issus de la diversité. Il a donc pensé à utiliser l’expression « on va dire », comme il avait auparavant employé « en même temps » (05/2013), ou encore « et pas que » (11/2014). On songe à Mitterrand se voulant « branché ».
Pour le reste, son tic de langage consiste à déclarer : « j’ai pris une décision, et ce n’était pas facile, mais je m’y étais préparé ». Sur le fond, il a comparé le programme du FN à celui du PC des années 70, à cette différence près que : « le PC avait encore un certain nombre de principes ». Les communistes qui jugeaient le bilan soviétique globalement positif avaient donc des principes… Cette langue de bois est similaire à celle de Claude Bartolone déclarant récemment : « l’entreprise n’appartient pas au patron, mais aux salariés et aux demandeurs d’emploi ». Hollande a commandé à cet éminent intellectuel un rapport sur « le sentiment d’appartenance à la République ». Parler d’amour de la patrie aurait fait polémique…
L’UMP doit-elle changer de nom ? “Les Républicains” est-il un bon choix ? Le problème de l’UMP n’est-il pas qu’il y a trop de leaders autoproclamés et pas assez d’idées dans ce parti ?
Les idées ne se bousculent au portillon dans aucun parti. Quant au changement de nom, il y a une proximité avec le parti américain qui n’est pas forcément un bon choix. Mais j’insisterai davantage sur les imbrications avec l’histoire politique française. Un observateur politique de l’entre-deux-guerres notait que la vraie gauche commence à la limite exacte où, pour prouver qu’on en est, il devient inutile de conter qu’on en est. De la même façon, on peut dire que le vrai républicanisme commence à la limite exacte ou, pour prouver qu’on en est, il devient inutile de conter qu’on en est. Ainsi les socialistes sont automatiquement de gauche et républicain, sans qu’ils aient besoin d’intégrer ces mots au sigle de leur parti. Ils le sont du fait du tropisme progressiste de la vie politique française. Socialiste veut simplement dire « nettement de gauche et républicain ». Autant dire que cela ne veut rien dire sur le fond. Mais devant la forme, tout le monde reste intimidé.
“Le choix de l’UMP de devenir « les républicains » ne s’inscrit pas au lexique de la tradition gaulliste. (…) Là, le républicain tout court est une concession à la gauche, qui utilise ce terme comme une arme anti-réactionnaire et actuellement anti-FN.”
La droite, si culpabilisée qu’elle a peur de son ombre, doit en revanche donner des gages et jurer qu’elle est bien républicaine. Aussi choisit-elle des sigles de parti qui contiennent généralement le mot : Union Libérale Républicaine, Union Républicaine, Union Républicaine Démocratique, Union Populaire Républicaine, Union Patriotique Républicaine, Parti Républicain de la Liberté, Républicains Indépendants, Républicains Sociaux… À noter que le gaullisme, mois complexé, préfère le mot « République » à celui de « républicain » : Union pour la Nouvelle République, Union pour la Défense de la République et Rassemblement Pour la République. La différence est tangible : la république est ouverte à tous les hommes de bonne volonté, elle est l’incarnation de la nation française ; le républicain, lui, est davantage une marque déposée, une affiliation idéologique qui ne promeut pas exclusivement la nation française.
Le choix de l’UMP de devenir « les républicains » ne s’inscrit donc pas au lexique de la tradition gaulliste. De surcroît, cela ne correspond pas à l’étymologie de la droite qui était « républicaine quelque chose », et ce quelque chose avait valeur de pondération. Là, le républicain tout court est une concession à la gauche, qui utilise ce terme comme une arme anti-réactionnaire et actuellement anti-FN.
Jean-Marie Le Pen représente-il aujourd’hui une menace pour le FN ? Trois générations d’une même famille aux postes clefs d’un parti, cela ne pose-t-il pas un problème quand ce parti se fait l’avocat de la méritocratie ?
Vous avez raison sur la méritocratie. Jean-Marie Le Pen est un homme du passé. Modelé par l’époque de la France coloniale. Et une vie mouvementée. Il veut toujours faire un baroud d’honneur. Un dernier tour de piste. En espérant une heure de gloire. Il réagit aussi en patron de SARL et en soixante-huitard. Le livre de Péan et Cohen se trouve confirmé. Il n’y a que lui qui compte. Après moi le déluge. Pas question de prendre sa retraite. Même si c’est ce que lui suggèrent les trois quarts, puis 86% des sympathisants FN dans des sondages.
Jusqu’au bout, il cherchera à se mettre en avant. Comme Chirac à sa façon, il entend troubler le jeu. Mettre des bâtons dans les roues de ses successeurs. Ayant pris ses précautions, il est quasiment indélogeable. Il faudrait une assemblée générale, des sortes d’Etats généraux, pour le destituer en tant que Président d’honneur. Encore aurait-il des recours. De quoi alimenter une guérilla. Le talon d’Achille du FN, c’est sa personnalisation.
Aujourd’hui, Marine et Marion condamnent les ratiocinations qui nuisent à l’image du FN. Mais qu’en serait-il demain en cas de conflit entre elles ? Qui aurait l’autorité pour tenter de jouer les bons offices, comme Raffarin dans le conflit Fillon/Copé ? On peut dire que le processus de normalisation du FN reste inachevé.
Quant à la question des attentes des électeurs, en dehors du sondage susmentionné, qui conseille à Jean-Marie de prendre sa retraite, elles ne sont pas univoques. Ainsi en 2013, 61 % des personnes interrogées par OpinionWay se disaient favorables à l’idée de priorité nationale ; mais en 2014, 72 % répondaient à la Sofres qu’ils étaient opposés à l’idée de préférence nationale… Il semblerait que le vocabulaire employé et la façon de poser la question soient déterminants !
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