La proposition, faite par Claude Bartolone, de rendre le vote obligatoire n’est pas nouvelle. Certains y verront sans doute une bonne idée qui permettrait d’éviter des taux de participation extrêmement bas aux élections. D’autres diront encore, qu’avec la reconnaissance du vote blanc, cela permettra de laisser la liberté à chacun de se prononcer tout en garantissant que tous remplissent leur devoir de citoyen. Fadaises !!!
La réalité est à mon sens beaucoup plus compliquée que cela.
La question du vote obligatoire pose dans mon esprit, un problème de choix politique, philosophique et sociétal bien plus profond : sommes-nous seulement « une démocratie » dans laquelle des électeurs votent, ou sommes-nous ce que Régis Debray appelle une « démocratie plus », une République composée de citoyens ? Si tel est le cas, alors il faut admettre que lorsqu’on parle de « citoyens », c’est-à-dire d’individus situés dans le temps et dans l’espace, cela sous-entend nombre d’obligations. Parmi celles-ci, préalables au droit de vote, le devoir qui est le nôtre de s’informer, d’essayer de comprendre et d’appréhender la situation… en quelque sorte, se mettre en situation de voter de façon « éclairée ». On ne nait pas citoyen, on le devient… ou pas. Citoyen c’est une mission, c’est une fonction, c’est un statut. Libre à nous de l’accepter ou d’y renoncer.
Or, et au risque de choquer, force est de constater que de plus en plus de Français se désintéressent de la « chose publique ». Informations, décryptages des enjeux et analyses ne font plus recette dans cette société où loisirs faciles et téléréalités forment le cocon douillet de ceux que Philippe Muray appelait « l’homo festivus ». De plus en plus de nos compatriotes « cohabitent » dans ce pays sans s’intéresser à ce qu’il s’y passe parce que le collectif à cessé de les intéresser, parce qu’ils considèrent que tout cela est vain. L’individualisme, l’indifférence, le désintérêt et le fatalisme sont les ferments de la perte de sens civique et le berceau des « votants ».
Certes, il convient de confesser que dans un pays où l’on n’enseigne plus l’Histoire Nationale, où le communautarisme et le clientélisme sont les moteurs d’une classe politique déconsidérée, on peut légitimement s’interroger sur la capacité du citoyen à se projeter dans un avenir partagé. En écho à la célèbre phrase d’Ernest Renan : « Ce qui constitue une nation, c’est d’avoir fait ensemble de grandes choses dans le passé et de vouloir en faire encore dans l’avenir », notre société amnésique et résignée semble avoir du mal à faire corps et à susciter un sentiment d’appartenance nationale.
Pour autant, ce constat posé, qui peut croire un instant que le fait d’obliger des individus à voter, transformera ces individus en citoyens comme par enchantement ? Certes, il faut lutter contre l’abstention, mais c’est le rôle des politiques, pas de la Loi. Ce sont eux qui doivent redonner confiance en nos institutions, refaire vivre chez beaucoup le sentiment d’appartenance nationale, l’espoir et avec eux, l’intérêt pour la chose publique.
“Si la République est le régime roi, alors il faut bien admettre que le citoyen se doit d’être une sorte d’aristocrate.”
Quel intérêt y a-t-il à imaginer faire voter des gens qui n’auront pas fait le nécessaire pour voter en toute connaissance de cause, pour percevoir les enjeux, connaître les candidats ? Si l’individu se prononce en fonction du ressenti immédiat, d’habitudes ou réagit à cause de simples coups de « com’ » ; comment espérer dès lors voir émerger d’un vote le Bien Public. Quel sens accorder à une voix contrainte ?
Qu’il faille une véritable reconnaissance du vote blanc – avec, pourquoi pas, des incidences financières sur les montants des remboursements accordés aux élus – est une certitude. Mais quel serait le sens d’un vote blanc, expression d’une protestation si, par une obligation légale, on le mélangeait avec ceux dont le désintérêt se trouve être le véritable moteur.
Le problème n’est, à mon sens, pas nouveau et une première mesure dans ce sens a déjà été tentée : l’inscription automatique sur les listes électorales des jeunes ayant réalisé leur Journée d’Appel à la Défense. L’idée est belle : tout jeune arrivé à 18 ans est automatiquement inscrit sur les listes de sa commune… Est-ce à dire que tous sont citoyens ? J’en doute et me méfie de ces solutions car le « votant » est plus manipulable, plus influençable, que le « citoyen ». La résurgence du bien public ne peut naitre que de ceux qui n’ont pas renoncé à être acteurs de leur destin, face aux « votants » toujours flattés par les démagogues.
Celui qui vote sans s’être inscrit, pour ne pas payer l’amende pécuniaire, en fonction de quoi se détermine-t-il ? Des « on dit » ? Du physique du candidat ? De réflexes familiaux ? De stéréotypes établis ? Sûrement pas après un travail de réflexion sur l’état du pays, ses besoins, l’analyse du programme et de la moralité des candidats en présence. Déjà au Ve siècle avant Jésus-Christ, Tucydide ne disait pas autre chose lorsqu’il définissait ce qu’il considérait être un « bon citoyen » : « Un homme ne se mêlant pas de politique mérite de passer, non pour un citoyen paisible, mais pour un mauvais citoyen ».
Aussi, contre cette fausse bonne idée du vote obligatoire, il convient d’opposer un véritable idéal du citoyen. Face à la sociale-démocratie de l’individu consommateur, sans Histoire, sans mémoire et spectateur de la scène qui se joue sous ses yeux, la réaffirmation du citoyen, à la fois héritier, responsable et acteur, s’impose. Si la République est le régime roi, alors il faut bien admettre que le citoyen se doit d’être une sorte d’aristocrate. Que resterait-il de ce statut si celui-ci était généralisé par une sorte d’obligation légale ?
« Je crois qu’un bon citoyen est celui qui préfèrera les paroles salvatrices aux paroles plaisantes » rappelait avec sagesse Démosthène lorsqu’il tentait de consacrer les excédents financiers d’Athènes, menacé par Philippe de Macédoine, à la défense de la Cité plutôt qu’aux jeux et aux fêtes.
> Gaël Nofri est un élu local divers droite à Nice et Président du Temps de la France.
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