Tribune libre de Philippe Darantière*
En 1889, le Général Boulanger fit vaciller le gouvernement de Sadi Carnot avant de s’enfuir en Belgique, en cédant à l’épreuve de forces qu’il avait lui-même engagée.
En 2013, La Manif Pour Tous est près de faire vaciller le gouvernement de François Hollande. Or, dans un communiqué daté du 18 mars, elle vient de prendre acte de l’interdiction de manifester sur les Champs-Élysées, signifiée le même jour par le Préfet de police de Paris. C’est pourtant la principale porte-parole de La Manif Pour Tous qui a appelé à manifester sur les Champs-Élysées. Elle a même annoncé que les manifestants ne quitteraient la Place de la Concorde qu’après le retrait du projet Taubira, les invitant à camper sur place pour faire tomber cette loi qui anéantit le mariage et la filiation. En 24 heures, La Manif Pour Tous semble avoir renoncé aux Champs-Élysées et au Camping Pour Tous…
En tentant d’assurer « tous les français mobilisés que la manifestation aura bien lieu comme prévue dimanche 24 mars à Paris dans un cadre strictement légal », selon les termes de son communiqué, La Manif Pour Tous souligne une contradiction. Peut-on être crédible en prétendant s’opposer à une loi inique si l’on cède d’emblée à une injonction préfectorale entachée d’illégalité ? Cette réaction révèle une double faiblesse du mouvement porté par la coordination de La Manif Pour Tous.
“Peut-on être crédible en prétendant s’opposer à une loi inique si l’on cède d’emblée à une injonction préfectorale entachée d’illégalité ?”
La première faiblesse tient à une méconnaissance des principes du rapport de forces. Celui-ci se fonde sur quatre pouvoirs distincts et complémentaires : le pouvoir d’influence, qui se traduit par la maîtrise de la communication, le pouvoir d’expertise, qui permet d’imposer les normes à respecter, le pouvoir de reconnaissance, qui assure un leadership sur ses partisans, et enfin le pouvoir coercitif, qui s’exerce par la capacité de mobilisation et, si nécessaire, de blocage. La Manif Pour Tous a excellé dans l’exercice du pouvoir d’influence, s’est acquise un pouvoir de reconnaissance important, mais se révèle médiocre dans l’usage du pouvoir d’expertise et vraiment déficiente dans l’imposition du pouvoir coercitif. Or la notion même de rapport de forces suggère des positions évolutives, jusqu’à ce qu’un des acteurs l’emporte sur l’autre. L’arrêté préfectoral d’interdiction de manifester sur les Champs-Élysées, qui fait suite à la guerre psychologique déclenchée par le communiqué de presse de la préfecture du vendredi 15 mars, n’est qu’une étape de ce rapport de forces. Il exige donc une riposte fondée sur le rapport de forces. Certes, une contre-expertise juridique a été engagée, avec un recours contre l’arrêté préfectoral. Mais il conviendrait aussi de livrer la contre-offensive sur le terrain de l’influence, de la reconnaissance et de la coercition. Car c’est alors que la préfecture cèdera. Il serait pittoresque de voir le préfet de police de Paris prendre le risque de livrer la capitale au chaos de centaines de milliers de manifestants se massant dans les rues, saturant ses capacités de maintien de l’ordre et pressant de toute part les barrages de police qui prétendraient interdire l’accès aux Champs-Élysées… On objectera qu’une telle réaction de La Manif pour Tous serait illégale. C’est une fausse analyse. La logique même du rapport de forces est de contraindre l’autre partie par l’imposition de sa supériorité. À cette étape, tout est affaire de bluff et de contrôle de ses nerfs. Le test du préfet avait pour but de vérifier jusqu’où ira La Manif Pour Tous. Il peut être tranquille, elle n’ira nulle part ailleurs que là où il lui dira d’aller…
“La Manif Pour Tous a excellé dans l’exercice du pouvoir d’influence, s’est acquise un pouvoir de reconnaissance important, mais se révèle médiocre dans l’usage du pouvoir d’expertise et vraiment déficiente dans l’imposition du pouvoir coercitif.”
La seconde faiblesse tient à la structuration du mouvement, ou plutôt à son absence de structure. La Manif Pour Tous est un faux collectif, comme le mouvement ATTAC. À sa création, les fondateurs avaient rapidement suscité la multiplication des « ATTAC locaux », groupes informels reliés à la centrale nationale par affinité idéologique, sans organigramme ni politique de cadres. Le bouillonnement des idées altermondialistes a fait le reste. Quelques années plus tard, une grave crise de gouvernance révélait que les fondateurs avaient tenté de s’accaparer le pouvoir. Confronté à une guerre au sommet, ATTAC perdit en un an des milliers d’adhérents. La Manif Pour Tous est une autre forme de mobilisation de la société civile, aussi extraordinaire, qui se dresse pour défendre des valeurs. Un tel mouvement n’a de comparable que le mouvement altermondialiste, de même qu’il n’y a que les JMJ et le Forum Social Mondial de Porto Alegre qui puisse rassembler autant de jeunes autour d’un idéal. Le risque est que les mêmes causes produisent les mêmes effets, et que La Manif Pour Tous se révèle incapable de structurer la résistance à la guerre de civilisation que le pouvoir politique a entreprise. Un mouvement qui n’a que des porte-parole, dont les cadres sont auto-désignés et dont la gouvernance est autocentrée, s’apparente à un réseau social, un collectif 2.0 n’ayant ni centre ni périphérie, et dont la puissance n’est que virtuelle. Il pourrait n’avoir pas plus d’effet qu’un tweet, ce mot que le français traduit par gazouillis…
“Un défilé entre Bastille et Nation serait l’équivalent d’un mauvais remake du Général Boulanger. La cause de la famille mérite mieux.”
Pour conjurer ces périls, il reste à La Manif Pour Tous un atout, celui des provinces, qui ont organisées plus de 70 manifestations entre le 17 novembre et le 8 mars 2012, qui ont envoyé plus d’un demi-million de manifestants à Paris le 13 janvier 2013, qui ont couvert la France de plus de 200 rassemblements le 2 février. Ces provinces sont le réservoir des manifestants du 24 mars. Leur mobilisation est essentielle au succès de La Manif pour Tous ce dimanche. Leur détermination peut faire la différence. Il suffit d’un mot d’ordre. Et ce ne devra pas être « Tous à la Bastille »… Un défilé entre Bastille et Nation serait l’équivalent d’un mauvais remake du Général Boulanger. La cause de la famille mérite mieux.
*Philippe Darantière est un consultant en gestion de crise, essayiste, auteur de Pour une action politique catholique (Éditions de Paris 2005).
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