par Christiane Dupuy
La FCD, en partenariat avec l’Essec et Pwc, publie une étude qui passe au crible les différents aspects des politiques RSE des enseignes de la distribution. Et selon l’étude, les entreprises ont fait des efforts : les politiques RSE se sont globalement toutes améliorées entre 2012 et 2014. Des mesures en faveur du développement durable à l’implication sociale et sociétale, les distributeurs sont sur tous les fronts avec à la clef une meilleure image de marque et employeur. Vraiment ? On a voulu vérifier.
Lutte anti gaspillage alimentaire
Carrefour se targue d’être « le 1er donateur privé auprès des associations de solidarité alimentaire via la Fondation d’Entreprise Carrefour, qui a distribué l’équivalent de près de 89 millions de repas cette année ». Un constat confirmé par le site de référence LSA Conso qui souligne que l’enseigne est bien en tête des dons de repas : l’ensemble des points de vente hyper et supermarchés du groupe a contractualisé un partenariat avec une association. De plus, la fondation Carrefour a financé près de 200 camions et chambres froides pour assurer la logistique de ces denrées. Par ailleurs, le distributeur invite ses clients à devenir des « conso’malins » grâce à des animations en magasin comme l’organisation de buffets animés par des grands chefs qui donnent leurs astuces pour cuisiner avec les restes alimentaires. Des initiatives dont se félicite Carrefour dans son bilan RSE 2016 et à terme, le groupe s’est donné pour objectif de réduire de 50% ses déchets alimentaires d’ici 2025.
Force est de constater que Carrefour ne manque pas d’imagination… et de budget sur le terrain de la communication. Alors que Carrefour se vante d’avoir mené 15 opérations de sensibilisation dans ses magasins, rappelons que le distributeur possède près de 5000 magasins en France. Idem du côté d’un concurrent, Leclerc. D’après son PDG Michel-Edouard Leclerc, 98% des supermarchés de l’enseigne misent aussi sur des partenariats avec au moins une association : « 26.000 tonnes de denrées seraient reversées chaque année », affirme ce dernier. Reste que les initiatives ne doivent pas être (trop) contraignantes : « Un Leclerc de la région n’envisageait pas de mettre des stickers pour prévenir de la péremption, parce que le temps de travail que cela représentait faisait qu’ils n’étaient plus gagnants. Les entreprises pensent à leur rentabilité », déplore Magalie Mienne du Secours populaire. Alors certes, les choses avancent (la javellisation des invendus est normalement interdite), mais de là à parler d’exemplarité… « Le magasin doit rester attractif », explique le secrétaire général de Carrefour. « C’est ça tout l’équilibre et la difficulté », ajoute-t-il.
Ecogestes & greenwashing
Autre sujet sur lequel les distributeurs travaillent, le développement durable. L’étude de la FCD estime que « 100% des enseignes concernées proposent des bacs de collecte spécifiques pour tous les types de DEEE » et que « 99.5% des publications commerciales sont en papier recyclé et/ou certifié ». Des scores qui frôlent la perfection. Sur les consommations d’énergie, des efforts peuvent encore être fournis même si l’étude fait état d’une amélioration : -14.2% de consommation d’eau et -17.6% de consommation d’énergie par m2 de surface de vente. En outre, les émissions de CO2 liées à la consommation d’énergie ont diminué de 20% par m2 de surface de vente et les actions en faveur de la valorisation des déchets se multiplient.
Dans un contexte de transition énergétique, les distributeurs affichent tous un objectif d’« économies vertes ». Carrefour (encore lui) est le premier distributeur français à avoir obtenu la certification ISO 50001 pour son système de management de l’énergie en 2014. Si la conscience écologique s’est quelque peu réveillée, il faut rester pragmatique : « le volet développement durable permet de réduire les dépenses. Et cet aspect permet de mettre tout le monde d’accord ! » explique sans concession Dominique Forgues, directeur technique pour Auchan-Immochan, lors d’une journée organisée par Engie sur la transition énergétique. Reste que les initiatives sont souvent innovantes. Mais ce sont les résultats concrets qui permettent de répondre aux accusations (parfois légitimes) de greenwashing de certaines enseignes qui misent sur leur positionnement « vert » pour booster leur réputation.
Chez Ikea par exemple, on cible l’autoconsommation des magasins et des dépôts en misant sur l’éolien et le photovoltaïque, relève un article de LSA intitulé « Développement durable : les distributeurs face à la transition énergétique ». « Le magasin de Clermont-Ferrand est l’Ikea le plus efficace au monde, tandis que celui d’Avignon arrive à subvenir à 40% de ses besoins en auto-consommation. D’ailleurs 7 magasins se mettront à l’auto-consommation sur 2016. Nous étions jusqu’alors uniquement sur une compensation de nos consommations en réinjectant dans le réseau 100% de l’énergie consommée », détaille Carole Brozyna-Diagne, directrice du développement durable. De son côté, Alexandre Bompard qui dirige la Fnac, se dit « convaincu que c’est en inscrivant résolument nos activités dans une démarche responsable que nous assurerons dans le respect de l’environnement, la durabilité de notre modèle économique ». Dans son rapport RSE 2015, le distributeur rappelle ainsi qu’il a diminué de 25% les émissions liées au transport B2B et -18% pour le B2C notamment grâce à la diminution des colis envoyés par avion ou le développement du click & collect. « Le développement durable est naturel à la Fnac, il fait partie de son ADN », précise Valéria Maïo, Responsable RSE de la Fnac. Car pour de nombreux distributeurs, la politique RSE est également un bon moyen de valoriser et d’incarner les valeurs de l’entreprise.
Ethique & engagement social
« La Fnac, c’est également une entreprise consciente de son rôle citoyen. D’abord, parce que son réseau de magasins en fait un acteur majeur de l’économie locale, mais aussi parce que nous menons une politique active d’accès à l’emploi », se félicite Frédérique Giavarini, DRH du groupe Fnac qui a reçu un Randstand Award, récompensant l’attractivité de la marque employeur. Un « rôle citoyen » qui laisse pourtant Thierry Lizé (FO de la Fnac) assez sceptique : ce dernier a fait part avec d’autres syndicats de « vives inquiétudes » pour l’emploi et dénoncé « la casse sociale » suite au rapprochement entre la Fnac et Darty. Catherine Gaigne, déléguée SUD à la Fnac insiste quant à elle sur la destruction d’emploi au siège comme dans le département logistique.
S’agissant de l’économie locale, ce créneau est beaucoup investi ces derniers temps : les consommateurs plébiscitent de plus en plus les produits issus des régions proches (la tendance locavore) et plus largement issus de filière française. Selon une étude Ethicity, 85% des consommateurs privilégient les produits locaux. Les marques suivent donc le mouvement et mettent à l’honneur les produits issus des filières de proximité afin d’afficher leur engagement social et sociétal. Par exemple, l’adoption de labels permet de renforcer la politique RSE des distributeurs à l’instar de Leclerc qui a mis au point le programme « Nos régions ont du talent ». Et cette tendance dépasse bien les seules denrées alimentaires : vendre /acheter local est également un acte quasi politique puisqu’il a pour conséquence la sauvegarde d’emplois locaux. « Il est important de défendre l’économie locale et les producteurs du coin. Derrière nos emplettes, ce sont les emplois des environs que nous préservons et notre région que nous renforçons » insiste Laurent Cognet, propriétaire depuis 1995 (bien avant que la RSE soit à mode) d’un supermarché Leclerc dans le Choletais.
En outre, si les Français et les distributeurs plébiscitent le commerce local c’est qu’ils ont bien compris que les fournisseurs tricolores localisés en France paient leurs impôts sur le territoire et participent de l’effort collectif et citoyen. Cette dimension éthique semble indispensable à toute politique RSE surtout dans un contexte marqué par les récents scandales d’évasion fiscale. Car les consommateurs ne sont pas dupes et se montrent toujours plus critiques avec les marques exilées dans des paradis fiscaux au détriment de l’économie nationale.
Ikea qui soigne pourtant son image de marque, aurait fait perdre 24 millions d’euros au fisc français en 2014 via une fondation basée au Liechtenstein. D’autres entreprises se sont réfugiées en Irlande qui héberge de gros poissons comme Google (qui a subi un redressement fiscal d’un milliard d’euros en 2012), Apple, Airbnb, ou Amazon. Un « scandale national et européen » pour Sarenza, le numéro 1 français de la chaussure en ligne et concurrent d’Amazon : le patron français appelle ni plus ni moins les consommateurs au boycott des fraudeurs. Et les success story françaises ne sont pas en reste. Smartbox, dont les coffrets-cadeaux sont vendus dans de nombreuses enseignes culturelles et les réseaux de grande distribution, s’est exilée outre-Manche afin de payer moins d’impôts (délocalisant au passage de nombreux emplois). Autres marques chères aux Français, Saupiquet ou Carolin se sont quant à elles retrouvées sur le listing du LuxLeaks. De quoi trancher avec l’opération séduction « 100% traçabilité » mise en place par Saupiquet, éclabousser sa réputation, et au passage celle de ses distributeurs. D’où l’intérêt de bien choisir ses fournisseurs et partenaires d’affaires et, à plus forte raison pour des distributeurs qui veulent, à l’instar de Carrefour, de la Fnac ou de Leclerc, affirmer leur rôle citoyen et mener une politique RSE cohérente et performante.
Les enjeux sont de taille : différentes études sur les consommateurs ont montré que si une entreprise manque à ses obligations sociales, plus de 62% des consommateurs sont prêts à éviter d’acheter ses produits (Crédoc). A méditer donc.
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