Je ne devrais pas lire « Libération » quand par hasard un exemplaire me tombe sous la main. La bêtise prétentieuse et aujourd’hui anachronique de la gauche prétendument « intello » m’agace, mais cette lecture pourrait avoir pour beaucoup une vertu thérapeutique. Ce qui s’y écrit est tellement imprégné de préjugés idéologiques, de stéréotypes, comme « ils » disent, qu’un rien de sens critique provoque pour le coup une véritable libération. Ainsi en est-il de l’article consacré à l’acquittement de Damien Saboundjian, un policier qui avait abattu en 2012 un malfrat multirécidiviste en cavale et comparaissait devant la Cour d’Assises. Le Parquet réclamait cinq ans de prison avec sursis et une interdiction définitive d’exercer son métier. Depuis trois ans, la machine judiciaire s’est lourdement mise en branle contre ce policier qui a eu le tort immense de mettre fin aux activités criminelles d’un individu. Les trois magistrats et le jury populaire de six membres ont fait preuve de plus de lucidité, mais il est probable que le Parquet fasse appel, et que Damien Saboundjian reste à son bureau pour attendre les appels du « 17 ».
Le scénario de « Libération » prend la forme d’un western inversé. Il y a le bon et le méchant, mais le bon c’est le truand, et la brute, c’est le policier, décrit comme un colosse aux nerfs fragiles, soutenu par ses complices, les collègues menteurs. Amine Bentounsi, est doublement victime, comme on est double-national. Victime d’un meurtre puisqu’il a été tué d’une balle dans le dos. D’ailleurs, l’article reprend un slogan des « militants » présents dans la salle d’audience : « la police assassine », ce qui est carrément diffamatoire, et révèle où va la sympathie idéologique du canard. Victime ensuite de notre société, du 93, le « département le plus pauvre de France », du racisme ambiant qui l’a conduit à vouloir changer de prénom, et d’une injustice sociale qui ne lui a laissé aucun répit. « L’un des détenus les plus jeunes de France » … « il sera impliqué dans des vols à mains armés ». En traduction, cela signifie qu’il y a un lien de cause à effet entre sont incarcération et l’enchaînement de la délinquance qu’il subit, le pauvre. Il ne commet pas, il est impliqué… Les pleurs de la famille ajoutent ce qu’il faut pour éveiller la compassion. « Il a joué au con, il a perdu » dit sa soeur. Le mot « jeu »est essentiel.
Un autre mot lui donne tout son sens. Il y aurait une « asymétrie » inacceptable entre la population et la police. Là encore, il faut traduire. Il y aurait donc d’un côté la « population » et de l’autre, la police, comme dans un match en somme, et la police triche… La pensée est extravagante, mais le journal la reprend. Le fait qu’un délinquant n’est nullement un représentant de la population et que le policier est là justement pour protéger cette population et mettre hors d’état de nuire les malfaisants est totalement occulté. Pourtant, c’est bien ainsi que s’est noué ce que les proches de Bentounsi vivent évidemment comme un drame. Amine Bentounsi purgeait une peine de prison de huit ans et avait profité d’une permission pour s’évader. Repéré, il tente d’échapper aux policiers. Il lance une grenade contre le premier et se fait tuer par le second. La grenade était inoffensive. Il n’a pas tiré sur le policier. Celui-ci, respectant avec calme la symétrie des duels, aurait donc dû le laisser s’enfuir, et poursuivre ses braquages, avec peut-être utilisation des armes… et des morts innocents, mais ceux-là ont peu d’importance.
Non, le policier a tiré. Manifestement, il n’a pas, selon le Parquet, et le journal pour une fois du côté du réquisitoire, la solidité psychique pour exercer son métier. D’ailleurs, cet homme au parcours scolaire peu brillant, se met souvent à pleurer durant l’audience. A la lecture de cet article qui instruit à charge, un minimum de bon sens se réveille : le policier aussi est issu de l’immigration, mais celle des véritables réfugiés, les Arméniens victimes du génocide turc. Lui aussi, vient d’une banlieue, celle de Grenoble, mais au lieu de « tomber » dans la délinquance, il a cherché un emploi, comme pâtissier, puis comme policier. Il a fait son travail et même accompli son devoir en évitant qu’un délinquant armé ne poursuive ses activités, et depuis trois ans, cet homme qui n’a rien à se reprocher, est mis au placard et livré à la Justice. Qu’il craque devrait éveiller de la compassion et non susciter condamnation et sarcasmes sur son échec au CAP ou sa psychologie fragile. Il est plus difficile à un homme honnête qu’à un criminel d’affronter les tribunaux. Quant à l’acharnement politico-judiciaire, il dissimule mal les fautes d’une Justice largement coupable : d’avoir autorisé une sortie à Bentounsi, mais aussi d’avoir accordé une « permission » à Winston Blam, poursuivi pour 28 faits, et fiché « S ». ce qui a failli coûter la vie à Saint-Ouen à un policier sauvé in extremis, ou encore d’avoir libéré Rajeswaran Paskaran condamné en 2011 à 20 ans pour le meurtre d’un policier sous prétexte que les délais d’appel étaient trop longs. Que vaut la vie d’un policier auprès du confortable respect des règles et des habitudes ?
Que la Justice française manque de moyens est une évidence. Qu’elle soit sous l’autorité d’un Ministre à l’idéologie ravageuse n’arrange rien. Mais cette insuffisance et cette situation qui n’a que trop duré ne devraient pas la conduire à se perdre dans des procédures scandaleusement superflues, ou à faire preuve d’une légèreté irresponsable. La loi va libérer pour une fois les policiers de l’entrave étroite de la légitime défense. Les criminels apprendront qu’il n’y a pas de symétrie entre eux et les représentants de l’ordre et de la loi. Il faut s’en féliciter.
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