Charlie m’a tuer

Par Tomas Téri

Les morts de Charlie Hebdo seraient des martyrs de la liberté totale d’expression, nous assène-t-on sans cesse depuis les désormais fameux attentats. Ironie sinistre, ou bien cynisme assumé ? Car ceux-là même qui prétendent que la liberté d’expression a été attaquée n’ont de cesse de contribuer à la réduire de jour en jour.

De deux choses l’une. Soit la liberté d’expression n’est pas absolue ; mais alors cela fait longtemps qu’il eut fallu faire taire Charlie Hebdo pour ses insultes répétées envers tout ce que ses dessinateurs exécraient ; toute insulte publique est en effet une incitation implicite à la haine et à la violence, car il n’y a dans l’insulte aucune expression d’une quelconque opinion constructive : il n’y a dans l’insulte que de la volonté de destruction, et un appel public à la destruction, au moins en pensées.

Soit la liberté d’expression est absolue ; mais alors il faut accepter toutes les opinions. Même celles de Zemmour ; même celles de Dieudonné et de Soral. Même l’opinion de ceux qui se réjouissent de la mort des caricaturistes, et qui affirment «bien fait pour eux». Je peux trouver cette dernière opinion choquante ; mais si la liberté d’expression est absolue, je ne peux pas dire : «ils n’ont pas le droit de dire ça» ; la seule chose que je puisse dire est : «je ne suis pas d’accord avec eux, mais ils ont le droit de dire ça». Puis-je aller jusqu’à dire : «ceux qui disent ça sont des salauds ne méritant pas de vivre» ? Si oui, la liberté d’expression est alors aussi la liberté d’insulter et de souhaiter la mort ; ce qui était manifestement le cas pour Charlie Hebdo, qui prenait un malin plaisir à insulter et à souhaiter la mort de tout ce qui pouvait être considéré comme sacré.

Ce qui nous amène à une courte réflexion sur la violence. De quel côté est la violence ? Sans aucun doute du côté des assassins ; mais tout aussi bien du côté des insultants. La violence verbale ne vaut pas la violence physique ? Cela reste à voir. Car que répondre aux provocations et insultes de Charlie Hebdo ? Ils attaquent tout ce qui est considéré comme sacré pour les autres ; la réponse symétrique consisterait donc à faire de même. Mais qu’est-ce qui est sacré pour Charlie Hebdo ? Rien ; ou plutôt si : la (leur) liberté d’expression. Mais comment attaquer cette liberté d’expression sacrée, sinon en réduisant au silence ceux qui l’utilisent jusqu’à l’extrême ? En réalité, les terroristes ont attaqué la seule condition de possibilité de la liberté d’expression : la vie. Les assassins n’ont aucunement réussi à supprimer la liberté d’expression ; ils ont simplement réussi à supprimer ceux qui, selon eux, en usaient mal. En cela, ils ont répondu à la violence par la violence. Aucune des deux violences n’est excusable. La violence verbale est la violence du faible, du lâche, qui prend un malin plaisir à faire sortir l’autre hors de ses gonds ; si j’insulte quelqu’un, est-ce que je m’attends seulement à ce qu’il m’insulte en retour, comme soi-disant expression de sa propre liberté ? Ou bien est-ce qu’implicitement, je n’attends pas qu’il se mette littéralement hors de lui, afin que je puisse faire reposer la culpabilité sur lui ? La violence verbale est la première marche d’une escalade de violence qu’il faut couper à la racine.

Par ailleurs, n’est-il pas incohérent, de la part de Charlie Hebdo, de considérer d’un côté que la vie ne saurait en aucun cas être sacrée, étant le fruit du hasard et ayant pour finalité le néant, et de l’autre qu’il est interdit de les tuer, eux qui affirment qu’il n’y a rien de sacré dans la vie, même la vie elle-même ? Les nihilistes ne peuvent se sortir de cette incohérence qu’en plaçant la liberté au-dessus de la vie. La vie n’est pas sacrée, seule ma liberté est sacrée ; si je décide de me mutiler d’une (soi-disant) partie de moi-même (avortement), ou si je décide de mettre fin à mes jours (euthanasie), ma liberté prime sur ma propre vie, et on peut m’ôter celle-ci. Personne n’aurait alors le droit de m’ôter la vie, sauf si je le décide, car ma liberté est souveraine de ma vie. Mais alors, il faut aller jusqu’au bout de cette logique : les provocateurs de Charlie Hebdo savaient très bien que par leurs insultes, ils risquaient de perdre leur vie ; au fond, leur vie ne leur importait pas ; ou plutôt, elle ne leur importait que dans la mesure où ils pouvaient user de leur liberté absolue d’insulter tout ce qui pouvait être considéré comme sacré par les autres, même la vie elle-même.

Ils assument d’ailleurs totalement ce choix, et ils sont en cela pleinement cohérents : leur liberté (d’expression) vaut littéralement plus que leur vie ; ils se considèrent donc comme des martyrs, et plutôt que les pleurer, il faudrait considérer qu’ils sont allés au bout de leur cohérence. Si la vie n’a pas d’autre sens que d’exalter sa propre liberté, au détriment de ce qui est sacré pour les autres, les martyrs de Charlie Hebdo ont réussi leur vie ; il n’y a rien à déplorer.

D’un côté, désacralisation de sa propre vie au profit de l’absolu de la liberté individuelle (martyrs de Charlie Hebdo). De l’autre, désacralisation de la vie d’autrui et même de sa propre vie au profit d’un absolu divin fantasmé (martyrs du Prophète) ; je ne suis pas sûr qu’il faille choisir entre l’une ou l’autre désacralisation de la vie. D’un côté, je choisis de m’ôter la vie quand bon me chante ; de l’autre, je choisis d’ôter la vie d’autrui, voire de me suicider en ôtant la vie d’autrui (kamikaze), quand ma foi est attaquée.

Sous leurs belles allures de martyrs, les uns et les autres ne sont en fait que des suicidaires qui ne se l’avouent pas. Leur erreur commune : se penser maître de la vie, de la sienne ou de celle des autres.

Il n’y a aucune complaisance à avoir envers Charlie Hebdo, car ce sont bien ceux qui tuent l’âme qu’il faut craindre, et non pas ceux qui tuent le corps[1]. Mais les tuer en retour n’est pas non plus la solution, car ce n’est pas la mort du pécheur que l’on désire, mais qu’il se convertisse et qu’il vive[2]. Si nous sommes attaqués verbalement, par l’insulte, nous ripostons verbalement, avec amour ; si nous sommes attaqués physiquement, nous répondons par l’offrande de notre vie s’il le faut, car renier notre foi serait faire primer la vie terrestre sur la vie céleste. L’amour, le don et le par-don sont les seules réponses possibles permettant de scier à la racine l’escalade de la violence, et de gagner les âmes à la seule vraie vie. La vie éternelle prime sur la vie temporelle. Et la vie en général (temporelle ou éternelle) prime sur la liberté, en ce qu’elle lui donne son sens et sa destination.

 

[1] Luc 12, 4-5

[2] Ezéchiel 18, 21-23

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33 Comments

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  • Alex , 21 janvier 2015 @ 20 h 40 min

    @Montecristo :

    La justice et la loi sont un système illusoire qui ne juge systématiquement que des intentions et jamais des actes.

    Raison pour laquelle la justice républicaine est illégale parce qu’elle juge les intentions dans le sens de sa propre dictature.

    Les lois sur l’injure, l’homophobie, l’antiracisme, l’apologie, la diffamation etc. toutes ces lois sont fascistes, il faut les supprimer.

    Mais à la place il faut peut-être penser à mettre en place l’élection des juges et magistrats à la proportionnelle intégrale, une obligation de contradiction pour ceux qui usent de la liberté d’expression par obscurantisme et enfin, il faut peut-être moduler tout cela en demander de produire des preuves des intentions de chacun.

    La justice fait la distinction entre homicide volontaire et homicide involontaire !

    La seule différence c’est l’intention et à crime égal, selon l’intention du criminel la peine sera différente !

    C’est pour cela que la justice et la loi sont totalement illusoire.

    Seul la foi agnostique en partage et la civilisation peuvent résoudre les crimes et auto-réguler (non pas auto-censurer) la liberté d’expression.

    La liberté d’expression est permise par un contexte civilisationnel, elle n’est jamais régie par la loi, malgré l’illusion que c’est la loi qui la garantie.

    En Occident on a tellement mélangé morale, justice et civilisation, qu’on ne parvient plus à dissocier toutes ces choses.

    Et on croit donc que c’est à la police ou à la justice de résoudre les problème de criminalité et à la loi de résoudre les problèmes induits par les tensions de la liberté d’expression…

    C’est illusoire.

    La liberté d’expression commence déjà lorsqu’on réalise et qu’on comprends cela.

    La liberté d’expression n’est pas défendable en elle-même, c’est l’intention que l’on veut porter par la liberté d’expression qui l’est.

    Parler c’est dénouer une émotion.

    S’exprimer c’est la compulsion de l’âme.

    La liberté d’expression n’est donc que la conséquence d’émotions sous-jacentes.

    Lorsque la censure en envisagée pour faire taire les émotions les plus violentes et les conditionnements à ces émotions, c’est qu’il est déjà trop tard et que la liberté d’expression n’est qu’une question secondaire d’une violence latente bien plus vaste.

    Par contre il faudrait commencé par censurer purement et simplement des jeux vidéo comme GTA V par exemple et il faut mettre les auteurs de ces jeux vidéo en hôpitaux psychiatriques.

  • Régis , 21 janvier 2015 @ 21 h 42 min

    @Alex, d’accord avec vous sur cette « noosphère ». Les croyants chrétiens l’appelleraient « communion des Saints », sachant que tous les hommes, croyants ou incroyants sont aptes à vivre dans cette communion, appelée des Saints par les chrétiens, mais pouvant se dire « communion des hommes et des femmes de bonne volonté ». Mais je diverge au sujet de la nature des intentions de la conscience.
    Les intentions mauvaises ne seraient dirigées que vers l’autre, mais elles peuvent être dirigées aussi contre soi-même. La conscience n’est pas une donnée fixe, il faut parler d’un niveau de conscience. Celle-ci peut s’étendre chez certains à une partie de cette « noosphère ». Trop de phénomènes type transmission de pensée, songe, ou simple voyance, en témoignent. Chez les croyants, il s’agit de la prophétie. L’empathie est une extension de la conscience que tout le monde n’a pas. Elle peut amener à une vraie compassion (souffrir avec et comme) loin de certaines attitudes larmoyantes et faussement compatissantes.
    Après je doute fort que blasphémer contre les chrétiens, pour ne parler que d’eux, les aide à « penser par eux-mêmes ou à résoudre les crimes pédophiles qui auraient peut-être été commis dans l’église ». On est bien là dans l’hypothèse athée, selon laquelle les croyants ne sont que des êtres manipulés par des croyances imposées par des leaders charismatiques ou je ne sais quoi.
    Ensuite, ce que dit Mère Teresa sous-entend que la pensée, même si elle n’est pas traduite en parole à fortiori en acte, a un effet sur le monde entier. En clair, penser « je le hais », ou « je veux le détruire », suffit à créer de la violence, en soi comme dans le monde. D’où la doctrine totalement tournée vers l’amour et la miséricorde jusqu’à nos propres pensées, qui nous est donnée pour tous par le Christ.

  • Régis , 21 janvier 2015 @ 23 h 50 min

    @Alex Détrompez vous et nous trompez pas, ne comparez pas un fusil mitrailleur à une kalach; croyez vous que les enfants soldats portent de tels engins? En avez vous même approché un, ne serait-ce qu’en faisant un service militaires?
    Si vous croyez que tirer à la kalach, debout comme ils l’ont fait ne requiert aucun entrainement préalable, vous êtes dans une erreur de type erreur scientifique.
    Et insinuer que ceux qui disent qu’il faut un entraînement préalable se rendent coupable d’une propagande islamo-nazi, là vous êtes dans l’accusation fondée sur un faux-sens. J’évite de commenter l’intention qui pourrait se cacher derrière de telles accusations.

  • Goupille , 22 janvier 2015 @ 0 h 33 min

    Article fort intéressant et qui secoue les neurones…

    Au-delà des évidentes incohérences dans le déroulement des actions terroristes de Paris (si les images n’ont pas été truquées, la voiture dans laquelle les frères Machin sont montés devant CH n’est pas celle où la carte d’identité a été trouvée : même type de voiture, mais rétroviseurs différents), c’est l’implication des services secrets anglo-saxons qui y est exposée.

    “Ce qui est certain, c’est que le terrorisme international a été piloté dès les origines, on le sait, par les États-Unis et je crois que vous insistez sur les Britanniques – [ce n’est pas faux] sans doute – mais il est avéré que Daech, par exemple, qui en est la dernière expression, Daech est entièrement contrôlé par les services américains, avec l’aide des services qataris, saoudiens et turcs… Donc, s’ils sont capables de contrôler Daech, ils sont sans doute capables de contrôler des gens qui sont peut-être d’ailleurs des amis de Daech, et qui sont en France.”

    “…parce qu’une stratégie d’ouverture sur le monde et la prise en compte de l’émergence de nouveaux pôles de puissance, ne conviennent pas du tout à cette finance internationale qui, elle, veut maintenir la pérennité du dollar et continuer la suprématie totale des États-Unis d’Amérique dans tous les domaines, même contre les réalités auxquelles ils sont confrontés.”

    On ne peut être plus clair…
    Ce sont les Ukrainiens, les Chrétiens, les Yezidis “et des musulmans” (pour complaire à la vulgate) qui paient l’adition pour ces puissances financières qui préfèrent le chaos à l’abandon de leur domination.

    Des Américains “de bonne volonté”, inquiets de se voir détestés partout sur la planète, tenteraient de réagir et d’abandonner leur politique de cow-boys primaires…
    Et, là, nous renouons avec l’article de base : du rôle des insultes pédagogiques.
    Et je me félicite de leur appliquer, depuis des lustres, l’épithète homérique qui leur convient : Yankees-de-merde.
    Puissent-ils y trouver la force de s’amender.

  • Goupille , 22 janvier 2015 @ 0 h 43 min

    Bien d’accord avec vous… La nausée de voir ces deux abrutis.

    Parue sur Fdesouche une photo de l’autre, Coulibaly, avec sa meuf, en repérage devant une école juive cet été… Le croiriez-vous ? La frimeuse en hidjab qui tire à l’arbalète était ce jour-là en débardeur dépoitraillé et mini-jupe à ras du bonbon…

    Preuve que leur cinéma est du cinéma et ne mérite que mépris et dérision.

  • Alex , 22 janvier 2015 @ 11 h 43 min

    @Régis :

    L’apprentissage du maniement d’un pistolet automatique c’est tout au plus 1 heure.

    L’apprentissage du maniement d’un fusil mitrailleur automatique c’est tout au plus une demie journée d’entrainement.

    Il ne faut pas avoir fait Saint Cyr pour manier des armes…

    Prétendre que ces gens sont des professionnels sur la base de ces seuls images, est ridicule.

    Il a suffit qu’un idiot de plateaux TV commente ces attentats en disant qu’il ne pouvait s’agir que de professionnels, pour que les islamo-conspirationnistes viennent construire toutes sortes de théories fumeuses.

    Pas besoin d’être un professionnel de la mort, pour réussir à tuer dans ces conditions.

    Par contre, c’est intéressant de constater la réaction des jeunes qui disent dans les cités ou sur twiter “il les a tué comme dans counter”… en référence aux jeux vidéo…

    Il est évident qu’il faille interdire les jeux vidéos qui sont des simulateurs de meurtre…

    GTA V, Counter Strike, tous ces jeux doivent être censurés, car ils sont une des cause des départs pour le djihad et une des cause du conditionnement mentale pour tuer…

  • TILL , 22 janvier 2015 @ 12 h 42 min

    Bien sûr, on ne peut enn aucun cas être d’a

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