C’était trop beau. Pour être franc, je n’ai jamais aimé Charlie Hebdo. Mais je me disais que le lâche assassinat de quelques provocateurs impertinents aurait le grand mérite de faire taire les commissaires politiques et les inquisiteurs mal refoulés qui remplissent la vie publique française de leurs interdits, de leurs condamnations véhémentes et couvrent leurs adversaires d’injures haineuses le plus souvent fondées sur des amalgames hâtifs. Etant une de leur cible, je me sentais un lien fraternel avec des dessinateurs dont je ne partageais aucune idée, coupables comme moi d’oser en exprimer. Je m’étais lourdement trompé. Il faut s’y faire. Non seulement la liberté d’expression n’est pas de retour en France, mais les meurtres des caricaturistes font apparaître plus clairement encore la dictature mentale qui règne dans notre pays.
Le grand art de la gauche est celui de l’inversion. Toutefois, lorsqu’on a compris que la technique employée était celle du retourneur de gants, il n’est pas trop difficile de la pratiquer en sens… inverse. Ainsi, la gauche nous affirme qu’elle est en pointe pour la liberté, ou plutôt pour la libération. Elle veut libérer les hommes de leurs préjugés, éradiquer les déterminismes. Son arme est, comme le proclamait Valls à l’Assemblée, la pédagogie, c’est-à-dire au premier chef, l’école. L’ennui, c’est que lorsqu’on veut substituer les préjugés du parti à ceux de la famille, ce n’est plus une libération, mais un endoctrinement. L’idéologie sexuelle qui veut remplacer la réalité des sexes par le concept du genre ou promouvoir la prétendue « orientation sexuelle » au détriment de la sexualité objective ne libère pas, elle impose une conception peu spontanée et non scientifique. Bref, elle enseigne des préjugés en prétendant en délivrer.
Définitivement propriétaire du camp du « Bien », la gauche va utiliser à son profit la distinction et l’amalgame. Ainsi, il y a le bon amalgame, celui qui va assimiler la préférence nationale ou la critique d’une religion au racisme, par exemple. Le racisme consiste à hiérarchiser les hommes selon leur origine à leur attribuer une valeur dès la naissance. Le fait de souhaiter qu’un citoyen ait des droits qu’un étranger ne possède pas en vertu d’une solidarité nationale ou l’expression d’un jugement de valeur sur une religion n’ont rien à voir avec le racisme. Par exemple, si je dis que l’ interdiction de l’apostasie par l’Islam et la peine de mort qu’elle entraîne dans certains pays, ne sont pas compatibles avec une démocratie libérale, la critique raisonnable ainsi formulée n’est pas de l’Islamophobie. De même, rappeler que la violence n’est pas étrangère à l’Islam, même s’il ne se confond pas avec elle, n’est nullement un amalgame condamnable. C’est le produit d’un savoir. Ce n’est pas un préjugé islamophobe.
Les « phobies » ont fait de notre société, suivant le génial trait d’humour de Muray, une « cage aux phobes ». A force de prétendre protéger tel ou tel groupe plus ou moins réel ou réellement menacé, on a multiplié les interdits et les censures. Une phobie est une peur pathologique qui relève de la psychiatrie. Sacré amalgame que celui qui y intègre une réprobation rationnelle à l’encontre d’un comportement ou d’une croyance ! Sacré est le mot puisque cela consiste à inverser ( une fois de plus ) les tabous. Celui qui était maudit hier devient intouchable aujourd’hui. La cible devient l’arme qui tue. La contagion qui était dénoncée par les accusateurs d’hier leur est imputée depuis qu’ils sont devenus accusés. Le Juif était porteur de maux dont il contaminait la société selon les antisémites fanatiques. Aujourd’hui, l’imputation d’antisémitisme est une arme mortelle souvent utilisée par la gauche. Peu suspect d’antisémitisme, plutôt « philosémite » d’ailleurs, j’ai dû faire face à deux reprises, et avec succès, devant les tribunaux à ce type de mise en cause. On ne peut passer sous silence le désarroi de la gauche sur cette question. Le vieil antisémitisme, antijudaïsme en fait, indissociable de l’extrême-droite, selon elle (c’est contestable) est remplacé par une hostilité liée à la situation politique du Moyen-Orient. Cet « antisémitisme » des Musulmans, qui sont souvent des sémites eux-mêmes, ne se contente pas de contester Israël, et le sionisme, mais peut viser, comme on l’a vu récemment les Juifs parce qu’ils sont Juifs. L’amalgame dans ces domaines conduit la confusion jusqu’à une tragique absurdité.
Le bon sens appelle au contraire à juger les hommes pour ce qu’ils font et non pour ce qu’ils sont, à préférer la raison et l’équité au racisme. La Justice devrait condamner des actes et non des intentions qu’elle ne peut pas toujours déceler. Or, la gauche pratique une sorte de racisme qui, à la manière d’un tribunal céleste, répartit les hommes en deux camps, à ceci près qu’ici, contrairement à la tradition chrétienne, ou musulmane d’ailleurs, les bons sont à gauche, et les méchants à droite. On se souvient de Jospin provoquant un tollé à l’Assemblée en assimilant la droite à l’esclavagisme. Plus récemment, Mme Duflot n’hésitait pas à fustiger les propos « abjects » et « l’islamophobie puante » de Philippe Tesson. La gauche dénonce la haine, mais c’est pour mieux projeter celle dont elle déborde. Tous ses adversaires sont mis au bûcher de Dieudonné à Finkielkaut en passant par Zemmour. Le fils Bedos, héritier de la vertueuse intolérance paternelle n’hésite pas à placer Dieudonné et Zemmour au même banc d’infamie ! L’humoriste est impertinent ou sulfureux selon la direction de ses traits. Le journaliste, l’historien, le politique ou le philosophe sont désormais soumis à un retour de la loi des suspects. Il ne suffira pas qu’ils énoncent des faits ou des arguments, il faudra qu’ils prouvent leurs bonnes intentions, dont les juges décideront. L’onction de gauche lave toute injure de son péché. La présomption de droite charge tout raisonnement d’un soupçon d’hérésie.
L’assassinat de caricaturistes libertaires n’aura donc pas sorti la liberté de pensée de sa léthargie, elle aura seulement permis de rappeler qu’une outrance de gauche est sacrée et que tout raisonnement appuyé sur des faits, mais de droite, risque d’être sacrilège.
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