Paris est devenu un enfer, sauf pour la garde verte d’Hidalgo. Des foules compactes de piétons se bousculent sur les trottoirs, ou guettent avec angoisse la surprise d’un vélo ou d’une trottinette qui slaloment à toute vitesse et dans tous les sens, et bien sûr ne s’arrêtent pas aux feux rouges. Le passage d’une rive à l’autre est une aventure, soit parce que les voitures, et plus encore les motos, tentent d’échapper aux embouteillages, soit parce que le flux étant figé, il faut passer entre deux voitures en zigzagant et en évitant les deux roues qui font la même chose, mais en sens inverse. Des piétons chargés et épuisés, une génération spontanée et envahissante de deux-roues, et des automobilistes punis par des heures d’immobilité ou de conduite chaotique et périlleuse : le cauchemar des Parisiens est le rêve des écologistes enfin réalisé. La Mairie de notre capitale ne semble pas se soucier des écoles publiques fermées, et encore moins des commerçants, des hôteliers ou des restaurateurs qui voient s’effondrer leurs espérances pour la période enchantée de la trêve des confiseurs. Quant à l’image dégradée de notre pays qu’offre Paris, d’une manifestation l’autre, tandis que les atteintes physiques aux personnes y ont augmenté de 9%, elle s’en désintéresse. La délinquance comme la réforme des retraites sont le fait de l’adversaire municipal, qui est au pouvoir national !
Il faut avouer que cet adversaire, le pouvoir macronien, a fait très fort en voulant lancer une réforme systémique à la hussarde à la veille des Fêtes. Qu’il faille adapter le système des retraites à un contexte que l’espérance de vie, la longueur des études et la situation économique bousculent est une évidence, sauf pour ceux qui pensent que l’on peut encore augmenter la dépense publique et alourdir les charges dans un pays qui détient les records de la part de la dépense publique dans son PIB, et des prélèvements obligatoires qui ruinent sa compétitivité et expliquent le chômage. Pour autant, était-il prudent de voir trop grand et d’aller trop vite ? Le modèle suédois a agi sur Macron comme un mirage, séduisant de loin, et trompeur de près. La Suède, après une crise économique provoquée par l’emballement de la social-démocratie, a voulu s’adapter au réel et délaisser l’utopie socialiste du « toujours plus ». Elle a notamment procédé à une réforme des retraites destinées à adapter celles-ci aux changements, et surtout à l’allongement de l’espérance de vie , de 84 ans pour les femmes et de 77 ans pour les hommes, facteur évident de déséquilibre entre les cotisations et les pensions. Face à un problème beaucoup plus simple qu’en France, avec un seul système à l’origine, fondé sur les 15 meilleures années de revenus et 30 ans d’activité pour tout le monde, les gouvernements suédois ont posé les principes en 1991, pratiqué un dialogue parlementaire entre 1991 et 1994, fait voter la réforme en 1998, et décidé la mise en oeuvre en 2001. 10 ans de concertations et d’améliorations pour établir un consensus, avec aujourd’hui un résultat qui est loin de ne faire que des heureux. S’il y a un minimum garanti, la valeur du point ne l’est pas. Les pensions peuvent diminuer si l’espérance de vie s’accroît et si la croissance ralentit. Les Suédois peuvent certes prendre leur retraite à 61 ans, mais beaucoup travaillent au moins jusqu’à 65 ans pour obtenir un nombre de points suffisant pour une retraite décente. Certains cumulent un emploi avec leur retraite. Par ailleurs, si les cotisations représentent 18,5 % des salaires, elles sont pour 2,5% destinées à des fonds de pension qui ajoutent à la retraite par répartition, une part de capitalisation.
On mesure l’outrecuidance française qui après une concertation menée depuis Octobre 2017 par Delevoye, prétendait voter la réforme dès le début 2020, alors que nos 42 régimes et le traditionnel manque de réalisme économique des Français rendent les choses beaucoup plus compliquées. Allez donc parler de capitalisation dans notre cher pays, sans soulever la réprobation de tous ceux que le mot « capital » révulse. La précipitation et la complexité ne font pas bon ménage. Aujourd’hui, les retraités sont favorables au projet qui ne les concerne pas. Tous les autres sont contre car ils pensent, non sans raison, qu’ils y perdront. Une seule question se pose pour eux : à partir de quand cela s’applique ? Vais-je être concerné ? On ne peut mieux faire pour qu’un pays se morcelle en de multiples égoïsmes dans un vaste « sauve-qui-peut ». Le gouvernement a tenté de se servir de ces divisions : on observera la priorité apportée au problème du régime spécial de la police : que se passerait-il si sa garde prétorienne le lâchait ? Avec moins de succès, il annonce des cadeaux pour les enseignants. Plus généralement, il retarde le plus possible l’application de la loi, afin d’en sortir le maximum de futurs retraités, ce qui du même coup efface les conséquences économiques positives d’une réforme qui se voulait urgente. En revanche, l’âge-pivot avec bonus malus, carotte et bâton, est une maladresse de technocrate. L’idée que l’âge du départ en retraite ne bougera pas est une utopie ou un mensonge. Donc l’âge pivot était bête mais honnête, la stabilité du point est un gros mensonge : comme en Suède, le niveau de vie des retraités va diminuer, et le pouvoir en place tente de marier la réforme avec des exigences qui lui sont contraires. Toute cette affaire aura été un travail d’amateur !