La suggestion pourrait sonner comme une provocation. Évidemment auprès des catholiques qui connaissent peu la complexité de la question du traditionalisme contemporain, mais aussi auprès des traditionalistes eux-mêmes. La participation d’évêques diocésains ou de prêtres diocésains à des offices dans des communautés appartenant ou liées à la Fraternité Saint-Pie X paraît saugrenue, elle qui a ses propres évêques. Elle semble même plus improbable que la participation de prêtres ou d’évêques catholiques à des offices de communautés chrétiennes séparées ! Improbable peut-être, mais est-elle aussi impossible qu’on le croit, à défaut de l’affirmer clairement ? Cet article entend rappeler que ce genre de participation a eu lieu, à l’instigation de Mgr Lefebvre himself. Même en haut-lieu, y compris lors des années les plus « sombres », des prélats romains se sont rendus à Ecône et ont visité la Fraternité Saint-Pie X de manière officielle, à la demande répétée de Mgr Lefebvre et non de manière clandestine ou officieuse. Cet essai entend démontrer que cette situation n’a rien de choquant ; des deux « bords », elle a été admise sans que l’on éprouve un quelconque malaise. Cela suppose de remonter en arrière, y compris pendant les « années de plomb », celles où la FSSPX faisait l’objet d’un ostracisme encore plus fort. Si les plus papistes que le pape disent : Messeigneurs, n’allez pas à Ecône, ils sont hors de l’Eglise ; si les plus lefebvristes que Mgr Lefebvre disent : Ne venez pas « dans nos chapelles », vous n’êtes pas de « notre paroisse », c’est qu’il y a un vrai problème. En tout cas, il n’y en avait pas en 1987 aux yeux du pape Jean-Paul II et de l’évêque Marcel Lefebvre…
Le cardinal Gagnon et Mgr Perl visitent la FSSPX en 1987. Nous sommes en 1987 : des négociations sont engagées entre les autorités romaines et Mgr Lefebvre alors que celui-ci vient de critiquer la réunion d’Assise et d’énoncer ses dubia, ses doutes, à l’égard de la liberté religieuse. Un visiteur apostolique est désigné pour faire le point sur les communautés liées à la FSSPX. Le cardinal Gagnon est bien accueilli par les prieurés et communautés dites amies. Pourtant, les visites de 1987 ont été bien plus que des visites de courtoisie. En effet, il s’avère que le cardinal Gagnon et son accompagnateur, Mgr Perl – dont Mgr Pozzo reprend en quelque sorte le rôle – ont célébré la messe dans des communautés liées à la FSSPX. Ont-ils été sanctionnés ou même désavoués ? Que nenni. Parce qu’il n’y avait tout simplement rien à dire. Rome n’adressa aucune remontrance au cardinal Gagnon. Bien au contraire, le cardinal agissait sur mandat du pape. Rome ne fut nullement choqué quand le cardinal célébra à plusieurs reprises la messe dans des lieux de cultes administrés ou rattachés à la FSSPX et qu’il assista en habit de chœur à la messe célébrée par Mgr Lefebvre le 8 décembre.
La bienveillance de Mgr Lefebvre, même après Assise. On sait que Mgr Lefebvre devait sacrer quelques mois plus tard, en juin 1988. Fut-il choqué par ces visites ? Bien au contraire : c’est lui-même qui les avait demandées pendant des années ! Il se garda de tout reproche et écrivit à l’issue de la visite au cardinal : « nous vous garderons une profonde gratitude, quoi qu’il arrive, pour votre charité, votre aménité, votre compréhension, votre patience et dès à présent, nous prions Notre Dame de Fatima de vous rendre en bénédictions ce que vous avez fait pour nous. » Pourtant le cardinal Gagnon célébrait chez lui la nouvelle messe et n’avait pas dénoncé la réunion d’Assise qui avait eu lieu quelques mois plus tôt. Le contexte était aussi, en un sens, tendu. Mgr Lefebvre a cédé sa place puisqu’il a prêté ses propres chauffeurs au cardinal Gagnon. Avec Mgr Perl, le cardinal Gagnon a tout visité, à commencer par le séminaire d’Econe. Nos amis plus lefebvristes que Mgr Lefebvre auraient pu lui dire qu’ils étaient impurs, que leur prédication était dangereuse, qu’il était d’une autre « Eglise », qu’il n’avait rien à faire dans « nos » chapelles… Il n’en fut rien : Mgr Lefebvre approuva cette visite et fut des plus chaleureux. Les petits groupes sédévacantistes auraient pu hurler que le cardinal avait été fait faussement évêque par le nouveau rite de consécration épiscopale. Et pourtant Mgr Lefebvre et les prêtres de la FSSPX l’ont laissé célébré pontificalement. Ils en étaient même heureux. Les visages qui accueillirent Mgr Lefebvre furent radieux et souriants, nullement frustrés et rancuniers…
Deux époux qui se séparent pour une longue durée ont-ils à cœur de se retrouver ? Après la guerre de 14-18, il y eut une explosion des divorces en France. Entre 1913 et 1920, leur nombre a augmenté de 120 % ! Au bout de quatre ans, beaucoup d’époux avaient perdu l’habitude de vivre ensemble et n’avaient plus grand-chose à se dire. Les enfants ne reconnaissaient plus leur père. Les membres de la famille étaient devenus des étrangers les uns pour les autres. La disparition des liens avait fait son œuvre. Cela ne veut pas dire que ces gens n’étaient pas lucides sur les horreurs de la guerre et sur les ravages qui se produisaient sur le sol français, bref sur ce qui les avait séparés. Mais la séparation avait été trop longue pour qu’ils puissent retrouver l’unité une fois la guerre terminée. De même en 1987, les prêtres et les fidèles de la FSSPX voyaient d’un œil favorable la venue d’un prélat qui célèbre dans leurs prieurés à la demande de Mgr Lefebvre. Mais aujourd’hui n’entendraient-ils pas : « c’est un moderniste ! », « c’est un piège… », « on n’est pas de la même Eglise », « que fait-il dans nos chapelles ? », etc.
Une visite importante. A l’automne 1987, le cardinal Gagnon et Mgr Perl ont visité les écoles tenues par la Fraternité : Saint-Joseph des Carmes, Saint-Michel, l’Etoile du Matin, les écoles dominicaines. Là, les enfants, tous bien habillés, les ont reçus en faisant des haies d’honneur. À Unieux, les enfants ont entonné le Tu es Petrus devant le cardinal. Ni les protestants, ni les catholiques ordinaires ne réservent un tel hommage…De manière générale, ils ont rencontré une bonne partie des prêtres de la FSSPX, toutes les communautés amies ; ils ont célébré, et même prêché dans plusieurs prieurés et chapelles, y compris devant les carmélites attachées à la FSSPX, à l’abbaye de Ruffec, chez les dominicaines enseignantes. À Fanjeaux, par exemple, toutes les dominicaines de la congrégation avaient fait le déplacement pour rencontrer Mgr Perl ! On rappellera cet extrait qui relate la visite romaine à Marseille : « Nous sommes allés accueillir Son Éminence [le cardinal Gagnon] à l’aéroport de Marignane, d’où nous nous sommes rendus à l’église Saint-Pie X, où Mgr a célébré la messe, devant une foule de fidèles. Ensuite, au cours, de la troisième réunion sacerdotale, au Prieuré Saint-Ferréol nous avons retrouvé tous nos confrères de la Fraternité et les prêtres amis du sud et du sud-est de la France : le chanoine Graselli, Dom Guillou, le Père Marziac, le Père Avril, le Père Eloi, M. l’abbé Raffali, le Père Morretti. (…) Après le déjeuner, M. l’abbé Beauvais avait réuni de nombreux paroissiens et parents des élèves de l’Ecole Saint-Ferréol dans le parc du prieuré, où chacun a pu s’entretenir avec le Cardinal et son assistant. Ils ont pu se rendre compte l’un et l’autre combien les fidèles vibraient de joie et d’émotion en la présence de Rome, du représentant du Pape parmi eux ». (Fideliter, n°62, mars-avril 1988, p. 21) Le cardinal Gagnon, positivement impressionné, exprima sa plus vive gratitude : « je voudrais aussi, tout simplement, vous remercier tous, pour cette charité et cette chaleur avec laquelle nous avons été reçus dans toutes les maisons de la Fraternité ». (Ibid.)
Des évêques catholiques rencontrent des communautés catholiques. Certes, diront certains, Jean-Paul II a ensuite désavoué les sacres de 1988 de Mgr Lefebvre et les cardinaux n’ont rien à faire chez les intégristes, mais encore, ce désaveu n’est-il qu’une conséquence de l’application du droit canon : l’excommunication est automatique en cas de sacre d’évêques sans mandat pontifical. Il n’aura échappé à personnes que celle-ci a été levée par Benoît XVI. De plus les autorités romaines ont toujours été amenées à reconnaître que la FSSPX était catholique et qu’il n’y avait pas de schisme. En 1994, le cardinal Cassidy, alors président du Conseil pontifical pour l’Unité des chrétiens, estime que « la situation des membres de cette fraternité est une affaire interne à l’Église catholique. La Fraternité n’est pas une autre Eglise ou une communauté ecclésiale dans le sens qu’utilise ce Dicastère ». La FSSPX ne rentre donc pas dans le « Directoire pour l’œcuménisme » de 1993. La FSSPX est une affaire interne à l’Eglise catholique. Point barre. Et ce, peu importe les tiraillements ou les réticences en son sein ; peu importe les désaveux exprimés – y compris récemment par quelques évêques diocésains… -, qui, par ailleurs, évitent bien d’employer les termes de « schisme » ou de « schismatique ». En 2006, le cardinal Castrillon Hoyos considérait qu’il existait une communion imparfaite entre Rome et la FSSPX et l’année suivante, Benoît XVI écrivait aux évêques du monde entier qu’il s’agissait « de parvenir à une réconciliation interne au sein de l’Église ». Comment alors mettre des bâtons dans les roues de cardinaux et d’évêques qui ne feraient que leur job en visitant ces communautés catholiques ?
Petit scoop : le cardinal Hoyos prêt à conférer les ordinations en 2009. Nous sommes en mars 2009. La levée des excommunications par le pape Benoît XVI a suscité une vive polémique, ne serait-ce que par l’exploitation des propos douteux et scandaleux de Mgr Williamson. Le climat est tendu. Des catholiques demandent l’arrêt de tout rapprochement avec la FSSPX. Les évêques allemands interdisent aux évêques de la FSSPX de conférer des ordres au séminaire de Zaitskofen mettant la FSSPX en difficulté, mais aussi le Saint-Siège. Pourtant, au mois de mars 2009, le cardinal Castrillon Hoyos se dit prêt à célébrer les ordinations sacerdotales au sein de la FSSPX… C’est dire l’étendue de la proposition. A aucun moment, le cardinal Castrillon Hoyos n’a éprouvé un cas de conscience au motif que la FSSPX ne disposerait d’aucun statut canonique, que des lobbies verraient d’un mauvais œil qu’il se trouve au milieu d’évêques proscrits. La proposition ne fut pas réalisée, mais elle est représentative de cette option in favorem qui existe parmi les autorités romaines. Le cardinal Castrillon Hoyos n’a semble pas été freiné par les réticences de la FSSPX sur le dialogue interreligieux, l’oecuménisme et autre position défendues par l’Église actuelle.
Et si Mgr Pozzo officiait à Saint-Nicolas-du-Chardonnet ? Secrétaire de la commission pontificale Ecclesia Dei, Mgr Pozzo, outre le fait qu’il est archevêque, occupe de fait la même place que Mgr Perl en 1987. Il est l’homme qui est en charge du dossier relatif à la FSSPX. Il pourrait très bien célébrer à Saint-Nicolas-du-Chardonnet ou à Ecône. Rien n’interdit non plus le cardinal Burke (il a maintenant le temps…), le cardinal Piacenza ou le cardinal Pell de célébrer à Écône. En 1987, les fidèles de Saint-Nicolas-du-Chardonnet étaient très déçus que le cardinal Gagnon ne soit pas venu au trône de leur église. Ils avaient tout préparé pour célébrer sa venue et ils avaient dû se contenter de Mgr Perl. En 2014, auraient-ils peur qu’un cardinal occupe ce siège ? S’il s’y rendait, il ne serait pas accueilli avec des pierres (des pierres contre un délégué du successeur de Pierre !), mais retrouverait la cathèdre qui lui revient en pareille circonstance.
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