Pour décrypter cette folle nuit et la polémique autour de l’élection du Président de l’UMP, Nouvelles de France a rencontré le chercheur en sciences politiques et chroniqueur Marc Crapez. Entretien :
Alors qu’on ne sait pas exactement qui a remporté cette élection, un élément frappe : on la disait aisément gagnée par Fillon, cela se jouerait finalement dans un mouchoir de poche… S’agit-il vraiment d’une surprise pour l’observateur avisé ?
C’est une victoire de la démocratie. Dans le sigle “Union pour un Mouvement Populaire”, c’est le mouvement populaire qui l’emporte. Les Français qui indisposent les élites font entendre leurs voix. « Droite décomplexée ? Pouah ! Devriez avoir honte de penser cela », leur avait-on dit. Mais ils ne se sont pas laissés intimider. Le spectre de la IVe République, celui du diktat des notables contre les militants de base, est écarté.
Tocqueville a fort bien analysé le phénomène des campagnes de presse : « Lorsqu’un grand nombre des organes de la presse parvient à marcher dans la même voie, leur influence à la longue devient presque irrésistible, et l’opinion publique, frappée toujours du même côté, finit par céder sous leurs coups ».
Si quelqu’un a subi du « bashing » ces temps derniers, c’est bien Copé et non pas Hollande, même si une campagne de presse très adroite a voulu faire croire l’inverse. Jean-François Copé est dans le collimateur de la gauche. Les journalistes préfèrent Fillon qui joue le jeu sans contester leur pouvoir et leur idéologie. Copé a l’audace de se rebiffer contre leur partialité et leur puissance. Dès le printemps, on a vu sa « marionnette » grimée en CRS partant faire une ratonnade ! Copé ne s’est pas laissé terroriser par ce coup de semonce.
Y a-t-il eu, selon vous, des fraudes ?
Rien de bien méchant. À droite, on ne bourre pas beaucoup les urnes. Mais il y a eu des petits jeux d’influence. Je peux en témoigner. Dans les Yvelines, j’ai été bombardé unilatéralement par la propagande de François Fillon et, le jour du vote, dans la file d’attente à l’extérieur du bureau, on nous a présenté les motions de façon peu objective : « Vous avez la “France moderne et humaniste”, soutenue par Raffarin. La “boîte à idées”, ce sont des jeunes soutenus par Juppé. Sinon… bon… la droite forte… très à droite… ».
La modération prêchée par Fillon n’est pas nécessairement une modération salariale. On observe dans cette élection une coupure sociale analogue à celle du référendum sur le traité européen de 2005. Clairement, il y a eu d’un côté un réflexe de caste des gens établis en faveur du candidat choisi par les médias et, de l’autre, bravant cette fibre légaliste très ancrée à droite, la rébellion des gens modestes ou surexposés aux difficultés.
Une partie des Français subit un sentiment d’injustice. Parlez-moi de la France, de sa liberté, de son égalité et de sa fraternité, demandent-ils. La gauche a réservé ses 150 000 emplois d’avenir aux zones urbaines sensibles, c’est-à-dire à 7% de la population française et 15% seulement des ménages pauvres. En effet, contrairement aux idées reçues, le fameux 93 est (sans même comptabiliser son économie souterraine) le 15e département le plus riche de France, alors que le Cantal est 92e.
Faut-il comprendre dans cette remontée de Jean-François Copé que la droitisation (au moins en parole) a de l’avenir ?
Comme je l’ai expliqué à plusieurs reprises, la droitisation de la société est un mythe. Quant à la droitisation du discours, imputée à Copé, il s’agit davantage d’une résistance à la gauchisation des élites. Lors du débat Fillon-Copé, le premier a usé du mot de « haine » contre l’extrême-droite, envoyant ainsi un « signal » d’allégeance au langage codé de la gauche, alors même que cette expression ne fait pas partie de son vocabulaire passé qui consistait à être heurté par la « démagogie » et les « excès » du Front national.
“La recomposition de la droite n’aura pas lieu.”
Copé, lui, lors de ce débat, a appliqué le mot « haine » à l’extrême-gauche. C’est un défi d’une rare audace au nez et à la barbe du politiquement correct. Une révolution copernicienne dans le vocabulaire et les mœurs politiques de ces trente dernières années. Contrairement à Fillon, Copé a subi de la haine d’extrême-droite. Mais ce n’est pas une raison pour réduire indistinctement les électeurs du FN à cela.
Cela ne valide-t-il pas la phrase de Guillaume Peltier, selon lequel le vrai vainqueur de ce soir est Nicolas Sarkozy ? Que penser d’un retour de ce dernier en politique ?
C’est hors sujet. Sarkozy a fait son temps. La démocratie conseille une rotation des élites. La sarko-nostalgie est un courant d’opinion conjoncturel cultivé par les médias. D’ailleurs, l’ombre de son éventuel retour ne se manifestera que dans trois ans. Le soufflé de la présente élection sera donc retombé depuis belle lurette.
Quelle observation faites-vous des résultats obtenus par les différentes motions ?
Des terres droitières mais légalistes, comme la Savoie et a fortiori la Vendée, n’ont pas osé voter Copé. Les résultats à venir des motions sont donc à prendre avec circonspection, car il y avait une prime « notabilitaire » aux motions qui penchent à gauche du parti, la droite humaniste et la « boîte à idées », soutenues par d’anciens premiers ministres. Deux autres motions, la droite sociale de Laurent Wauquiez et le gaullisme, représentent plutôt une voie médiane. Enfin les deux dernières, la droite populaire et la droite forte, inclinent à la droite du parti.
Vu l’ambiance de ce dimanche soir, on se demande comment l’UMP peut rester un seul parti. Se dirige-t-on vers une reconstitution d’une droite bien à droite (L’UMP de Copé) et d’un grand centre-droit (la partie modérée de l’UMP + l’UDI) ?
Comme je l’ai déjà annoncé lors des législatives, la recomposition de la droite n’aura pas lieu. Non, le danger reste celui d’un repli craintif vers le centre. Autant le courant modéré a toute sa place à droite, car il est de bon conseil, autant il ne doit pas écraser les composantes gaullistes, libérales et conservatrices. Or, trop souvent ce courant fait la loi tout en feignant d’être marginalisé.
De petits arrangements entre amis consistent à aller chercher sa légitimité davantage dans les bras complices des médias que dans la vox populi. Être l’invité permanent des médias permet d’exercer une pression sur son parti. Et rien de mieux pour avoir ses entrées médiatiques que de dénoncer une droitisation, puisque l’obsession des médias consiste justement à sommer les hommes politiques de droite de se démarquer de leur famille en la jugeant trop à droite.
« Baroin, Le Maire, NKM » furent, cet été, à la Une d’un magazine de gauche et d’extrême-gauche, y posant même pour une séance photo. Si certains sont de grands bourgeois conformistes, d’autres sont sincères. Certains hommes politiques sont entraînés par un phénomène de surcompensation psychologique à en rajouter pour se rattraper. Semblablement, le petit cénacle des hommes politiques et journalistes qui ont fait leurs débuts à l’extrême-droite s’empresse souvent d’accuser les autres de dérive droitière. Ils cherchent ainsi à se dédouaner. Ce phénomène de surcompensation pour se racheter une conduite fut déjà observé par Tocqueville et Raymond Aron. Il faut toujours relire Tocqueville.
5 Comments
Comments are closed.