Macron, le jupitérien, sous les rayons du Roi-soleil à Versailles ou nimbé de la gloire napoléonienne près du tombeau des Invalides, c’est le mystère en pleine lumière. On ne sait qui il est, ni ce qu’il vaut, puisqu’il est le plus jeune président depuis Napoléon Bonaparte, troisième du nom, qu’il n’est pas un neveu, ni un fils et qu’il n’a derrière lui ni Arcole, ni 18 Juin. Simplement son éclat s’explique avant tout par l’ombre qui l’entoure. Ce fut d’abord celle qui enveloppa ses concurrents, l’un frappé par une ténébreuse affaire, si obscure que personne n’en avait décelé l’existence, pourtant fréquente, avant que sa publicité ne fût mortelle pour l’unique François Fillon, l’autre, qu’on attendait rayonnante, et qui fut éteinte dans un débat crucial, maintenue dans la noirceur des idées que la pensée unique réprouve. C’est maintenant l’obscurité de ses soutiens, un parti composite et artificiel sans idées ni famille, un groupe parlementaire pléthorique, composé d’amateurs et de touristes, qu’on entend peu, mais qui parvient à faire parler de lui à coups de casque ou de morsures, quand ce n’est pas en tirant un profit professionnel de sa présence à l’Assemblée, des ministres, enfin, dans un mélange hétéroclite d’arrivistes sans scrupules, de techniciens sans charisme et de représentants de groupes de pression, sans électeurs.
Quant à l’opposition, elle n’est plus que l’ombre d’elle-même. A droite, Les Républicains, ce parti de « droite et du centre » devenu le carrefour des carriéristes, avec plus d’appétits que d’idéologie, cherche désespérément à se situer politiquement derrière un chef, obnubilé par une seule question : être ou ne pas être proche du Front National. Sarkozy avait résolu le problème, le temps des campagnes, seulement, en reprenant des idées qui étaient celles du RPR. Aussitôt, les passagers clandestins du gaullisme s’effarouchaient, comme si le RPR n’avait pas été d’abord patriote et conservateur, voire même eurosceptique, c’est-à-dire vraiment gaulliste. Il n’y a plus guère que Nicolas Dupont-Aignan à s’en souvenir et à lancer un appel à l’union des patriotes. Les présidentielles internes semblent une fois de plus replier ce parti sur lui-même, dans une ornière rétrécie d’où il n’est pas sorti depuis 2012. Le Front National, c’est le Hamlet du paysage politique : être ou ne pas être, voilà sa question. Être souverainiste au risque de susciter la peur du « Frexit » ? Être identitaire pour se retrouver dans son ghetto d’extrême-droite conforme à la diabolisation des médias ? Dans les deux cas, l’isolement ferme la porte du pouvoir. Elle l’empêche de constituer un groupe à l’Assemblée, ce qui est un scandale, une honte pour notre démocratie. Est-il tolérable que le parti qui a été le premier en voix lors des régionales et est parvenu au second tour de l’élection présidentielle subisse une véritable éclipse parlementaire pour ne pas dire une censure ?
Les centristes, champions de l’opportunisme, nagent entre deux eaux, attendant les courants favorables. En fait de courant, ils sont dans le traditionnel marais des assemblées de grand changement. Ils attendent, soit dans la majorité, soit à ses marches, chez les « constructifs », à l’UDI, ou au Modem, qu’un peu de clarté leur fasse entrevoir la voie qui assurera leur continuité politique, voire leurs succès personnels. A gauche, les socialistes qui avaient un peu de convictions, forment un dernier carré, réduit par le départ de tous ceux qui font de la politique une profession. La France insoumise leur a volé Marx et ce n’est pas le fantôme du Parti Communiste qui la lui reprendra. Elle a trouvé son imprécateur, son Marat en la personne de Mélenchon, qui baigne sans complexe dans une démagogie anachronique possible seulement dans un pays qui ignore l’économie et où l’on a entretenu la mythologie révolutionnaire qui est pourtant coupable de son déclin. Le modèle de la Révolution bolivarienne, avec pour conséquence le marasme d’un pays riche comme le Venezuela, devrait provoquer un rire ravageur. Non ! Il y a dans notre pays de prétendus intellectuels, peut-être même des « professeurs » d’économie capables d’admirer voire d’enseigner ces grotesques fadaises et balivernes.
Mais l’essentiel est ce que M. Macron a décidé de laisser dans l’ombre, les thèmes qui ont justifié la percée de Marine Le Pen jusqu’au second tour. Par un tour de passe-passe, ils ont disparu. L’Europe n’est plus un problème , mais la solution. A défaut de souveraineté française, nous en aurons une européenne, comme si cette direction n’était pas celle du suicide français et du recul de la démocratie. Quant à l’immigration, au poids grandissant de l’islam dans un pays de culture opposée, à une identité nationale qui se dilue jour après jour, aux territoires perdus de la République où le processus arrive à son terme, le nouveau président veut les ignorer. Ce sont les tabous du politiquement correct et de cette pensée unique qui veut nous faire croire que tout se résume à l’économie. L’économie n’est qu’un moyen pour générer les richesses qui peuvent assurer le bien-être des individus, mais ces derniers ne peuvent avoir un regard sur elle que s’ils ne se contentent pas d’être des individus passifs, s’ils sont les citoyens actifs d’un Etat sur les décisions duquel ils ont une prise directe. Nous nous éloignons de la démocratie parce que nous larguons la nation, sa souveraineté, son identité, ses valeurs traditionnelles. Le débat « sociétal » sur la cohésion et l’identité culturelles de la France, sur la nécessaire limitation drastique de l’immigration, sur la valeur irremplaçable de la famille traditionnelle et de la filiation qui en est le principe, est aujourd’hui mis entre parenthèses. La France avance comme une somnambule, comme une personne hypnotisée par un magnétiseur. Elle avance vers ce qui n’est plus elle. Puisse venir l’homme providentiel qui la réveillera, celui qui brisera le tête-à-tête castrateur qui s’est installé entre une majorité vaguement social-démocrate et résolument opportuniste, et « son » opposition d’extrême-gauche tellement improbable.