Tribune libre de Marie-Victoire Dulong
La ministre déléguée à la famille, Dominique Bertinotti a récemment fait état du pré-projet de loi « le mariage pour tous » sur un plateau de l’émission télévisuelle On n’est pas couché (France 2, 15 septembre 2012) en y affirmant la nécessité d’une reconnaissance de l’égalité des couples, arguant notamment du manque de romantisme du PaCS, et de la volonté de reconnaître « l’amour » des couples de même sexe. La question surgit alors, inévitablement ; au fond, tout ce romantisme un peu désuet, véhiculé par la machine hollywoodienne et les séries à l’eau de rose, a-t-il vraiment un lien avec l’institution qu’est le mariage civil ? La question mérite d’être posée car, alors que nous sommes en passe de redéfinir le mariage, il serait bon que les parties en présence, défenseurs du projet de loi et opposants, en aient une vision univoque.
Ainsi, lorsqu’on se penche sur la nature du mariage civil, ce qui apparaît en premier lieu, c’est que justement, « l’amour » au nom duquel on se bat dans l’un des camps n’y est pas présent. L’État ne s’embarrasse ni de sentiment, ni d’émotion ; il ne fait que constituer par un acte civil la reconnaissance d’un foyer. Il s’agit donc autrement dit davantage d’un contrat destiné à encadrer la filiation que d’un droit fondamental de reconnaissance d’un lien réciproque. Ne serait-on donc pas en train de demander à l’État ce que l’on ne peut pas obtenir de l’Église ? Seul le mariage religieux fait état de l’amour mutuel des conjoints ; lui seul reconnaît et engage les époux dans l’amour mutuel, selon une cérémonie et des requis qui lui sont propres. En tout état de cause, il est attribué au mariage civil un caractère sentimental qu’il n’a pas. La loi est froide et aveugle ; elle ne voit qu’un contrat et non pas l’engagement dans un amour réciproque. Dans le mariage qu’elle célèbre, un simple bout de papier qui peut être déchiré à tout moment. À titre d’exemple symbolique ; la cérémonie du mariage civil ne prévoit pas en l’état d’échange d’alliance, marque visible d’un engagement mutuel. Il y a donc certainement une part non négligeable de projection (très post-moderne par son subjectivisme exigeant une reconnaissance objective) d’un mariage civil « romantique » qu’il n’est absolument pas. Le seul élément qui pouvait autrefois compter en ce sens, la notion d’indissolubilité, le fameux « pour toujours », lors de la sécularisation du mariage à la Révolution, a largement disparu avec le divorce, en vigueur depuis le Code Napoléon. Rappelons d’ailleurs que le mariage d’amour reste relativement récent ; le mariage civil a longtemps été un mariage de raison où la femme passait de la tutelle du pater familias à celle d’un mari rarement choisi par elle-même. Et pourtant, le contrat est resté, à peu de choses près, exactement le même. C’est d’ailleurs à ce titre que dans le courant de mai 68, on rejette le mariage au nom de l’amour ; amour « libre » bien entendu, mais surtout amour qui n’est pas reconnu loin sans faut dans le mariage civil, institution réactionnaire et bourgeoise présente pour encadrer la filiation naturelle. Si le mariage civil contient un engagement des deux conjoints (engagement au respect, à la fidélité et d’assistance réciproque, ainsi que celui d’une communauté de vie), cet engagement n’est là que pour leur permettre de remplir au mieux la tâche parentale qui y est largement affirmée et qui suppose les éléments précédents – ou du moins, dans sa forme idéale- pour créer les conditions nécessaire à l’éducation des enfants.
Ainsi, en réalité, ce que promet le mariage civil n’est pas la reconnaissance d’un amour mutuel, cela est une projection et une transposition du mariage religieux. Ce qu’il assure, c’est l’encadrement de la filiation, notamment avec la notion de « présomption de paternité », qui est le principal objet du débat actuel quoiqu’on en dise. Ce qui intéresse l’État n’est pas l’existence d’un couple amoureux voulant s’engager mais c’est bien le couple parental. Il faut évoquer ici l’autre soupçon du caractère de discrimination évoqué, où l’actuel mariage serait fermé aux couples homosexuels en raison donc de leur sexualité, situation anormale puisqu’il l’ouvre à un autre type de sexualité. Il y a ici pourtant un amalgame ; l’État, pas plus qu’il ne reconnaît l’amour d’un couple ne doit reconnaitre une sexualité ; celle ci ne donne en effet aucun droit. Le mariage civil accessible aux couples homme-femme ne l’est pas en vertu de leur sexualité que l’État jugerait plus « normale » qu’une autre, mais de par la finalité procréatrice potentielle de cette sexualité. Le mariage civil n’est là qu’en raison de cette finalité naturelle qu’il veut encadrer. S’il y a une discrimination, elle n’est donc pas civile mais naturelle. N’est-ce pas en réalité l’enjeu principal du « mariage pour tous » ; supprimer le lien naturel et civil entre mariage et procréation-filiation, pour permettre la reconnaissance du droit à l’enfant ?
Il n’y a donc pas d’inégalité de « reconnaissance » entre couples homosexuels et aux couples non-homosexuels par l’État, de manière schématique ; le mariage civil ne s’adresse qu’aux derniers non pas en tant que l’État considère son « amour » mais de par les effets procréatifs du couple. Le PaCS a d’ailleurs été voté dans cette logique ; distinguer le mariage comme institution civile encadrant la filiation et l’organisation civile et économique d’un ménage indépendamment de sa sexualité. Ouvrir le mariage aux personnes homosexuelles revient à reconnaître non pas l’amour des couples qui le demandent comme on nous le sert avec émotion, mais à le constituer comme couple parental potentiel aux yeux de la loi. La nature étant à cet endroit peu accommodante, c’est donc bien le droit à l’enfant qui est affirmé, puisque l’État proposera inévitablement de remédier à une situation dite « discriminante » entre procréation naturelle et artificielle. Le vrai débat, anthropologique, de cette question du « mariage pour tous » apparaît alors ; y a-t-il un droit individuel et subjectif à l’enfant que l’État doive assurer ? Répondre à cette question sera l’enjeu fondamental et réel du projet de loi ; il implique des enjeux de bioéthique importants dont il ne faudra pas négliger l’ampleur et la portée.
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