Nul doute que la refiscalisation des heures supplémentaires fera date. Malgré la complexité apparente, aussi bien du dispositif supprimé, que celle de la nouvelle mesure en cours d’adoption, les Français ont parfaitement compris, dans le principe, de quoi il retourne.
Ceux qui espéraient gagner plus en travaillant plus, toucheront désormais un peu moins. Pis encore, on les culpabilise dès maintenant en les présentant comme des concurrents déloyaux de leurs camarades. Heureux désormais ceux qui, comme le candidat Poutou le théorisait, préfèrent“bosser le moins possible en touchant le plus possible”. Cette deuxième partie de la population constitue en effet l’apport politique marginal essentiel à toute majorité de gauche consciente et organisée.
Parallèlement on pénalise par l’impôt le système mis en place à l’époque de la Participation. Rappelons à ce sujet que, pour beaucoup de gens sincères, cette législation constituait l’amorce d’une association du capital et du travail. Elle entendait mettre un terme à l’idée marxiste et à la réalité de la lutte des classes. L’intention ne pouvait par conséquent convenir aux adeptes de la technocratie socialiste. On revient donc à l’idée que les sommes en cause correspondent à des salaires et non à une conception plus communautaire de l’entreprise.
Rien de tout cela ne s’institue par hasard.
Pour occulter la démarche, on a beaucoup amusé la galerie en agitant la perspective d’une application rétroactive.
Scandale, bien évidemment. Le ministre des relations avec le parlement M. Alain Vidalies intervenait avant même le débat parlementaire pour dire, assez mollement, que le gouvernement ne désirait pas que l’on en arrive à ce point. Roublardise habituelle. On verra plus loin ce que l’on est convenu d’en penser.
En fait le pouvoir socialiste sait parfaitement, mais il refuse encore d’en convenir, que l’État français, que les collectivités locales et les caisses sociales se trouvent dans un étau budgétaire. Cette situation commande toute sa politique. En même temps on se refuse à envisager clairement des coupes sérieuses dans le périmètre des engagements publics; on se drape dans la souveraineté juridique pour refuser ce qu’on désigne, dans la langue de bois des négociations européennes, des “réformes structurelles”.
Dans ce contexte en clair-obscur, l’important pour le parti de la rose au poing, fleur étrangement supposée sans épine, consiste à différer l’annonce des mesures de rigueur. On le niera assez longtemps pour donner l’impression favorable que la gauche généreuse soulage les Français les plus démunis. Et en même temps on sait qu’il ne faudra pas trop tarder afin de pouvoir encore utiliser la rhétorique de “l’héritage”.
Sous toutes ses formes celle-ci a encore beaucoup servi au Palais Bourbon. Lors des journées de débat qui viennent de s’écouler depuis le 16 juillet ont été examinées les disposition du projet de loi de finances rectificative pour 2012, avec un petit intermède sur les questions des parlementaires, qui recoupent les mêmes préoccupations.
Revenons sur le petit amendement déposé puis retiré sous le numéro 174. Il visait “à compléter l’article 2 du présent projet de loi, qui prévoit l’abrogation des exonérations de cotisations sociales salariales et patronales sur la rémunération des heures supplémentaires et complémentaires (sous réserve de la mesure en faveur des entreprises de moins de 20 salariés), par la suppression de l’exonération fiscale dont bénéficient également ces rémunérations. Il entrerait en vigueur à compter du 1er janvier 2012.”
Cette étonnante démarche a été beaucoup plus médiatisée que l’identité de son héroïque inventeur.
Or, la personnalité attachante de Christian Eckert vaut le détour.
Il ne s’agit pas du démagogue abruti écrasant tout ce qui gît sous ses gros pieds tel que le suggèrent tant sa récente proposition que l’iconographie de cette chronique. Soulignons qu’en Commission des Finances, il a déposé 56 amendements dont plusieurs rédactionnels. Il était accompagné dans son idée de rétroactivité par un autre poids lourd du fiscalisme de gauche, M. Pierre-Alain Muet, et appuyé par les membres socialistes de la Commission.
Député socialiste de la Meurthe-et-Moselle, élu par la circonscription autrefois minière de Longwy, on le dit membre du “courant Fabius”. Il fait désormais fonction de rapporteur général de la Commission des Finances de l’Assemblée Nationale. Nous nous trouvons en présence d’un vieux routier du fiscalisme, probablement très proche de Cahuzac, qui l’avait précédé en tant que président “d’opposition”. Le rôle est aujourd’hui tenu par Gilles Carrez. L’inamovible spécialiste UMP des questions fiscales intervenait alors comme rapporteur supposé “gouvernemental”.
On a posé certes en principe que dans cette commission le président appartient à l’opposition et le rapporteur à la majorité. Mais nous avons plusieurs fois noté que toutes ces personnes, interchangeables, ne font que relayer, aussi bien, malheureusement, quand ils sont étiquetés UMP que PS, les suggestions d’alourdissement des impôts imaginées dans la forteresse Bercy.
La classe politique n’intervient ici que comme relais de la technocratie.
Si le rapporteur Eckert a essayé de faire passer cette scandaleuse proposition, on doit s’interroger sur le mépris du droit français de tout cet univers, et pas seulement les siennes.
Certains rappelleront l’article 2 du Code civil : “la loi ne dispose que pour l’avenir, elle n’a point d’effet rétroactif”.
En matière fiscale, on prétend en faire fi. Cette exception donne la mesure de l’insécurité juridique caractéristique de l’Hexagone.
Les conséquences économiques vis-à-vis des investisseurs, français aussi bien qu’étrangers ne devraient échapper à personne.
Mais, bien au-delà d’une telle considération matérielle, souvenons-nous de l’avertissement du grand Portalis, vrai fondateur de notre droit : “L’office de la loi est de régler l’avenir ; le passé n’est plus en son pouvoir. Partout où la rétroactivité serait admise, non seulement la sûreté n’existerait plus, mais son ombre même.” Et il ajoutait : “Que deviendrait donc la liberté civile, si le citoyen pouvait craindre qu’après coup il serait exposé au danger d’être recherché dans ses actions ou troublé dans ses droits acquis, par une loi postérieure ?”
Cet article a été publié en partenariat avec L’Insolent.