Le paysage politique français aura connu un bouleversement considérable cette année. Le second tour des élections législatives vient de le confirmer. Toutefois, alors qu’une alternance nette, voulue par les électeurs, crée une inversion claire des orientations politiques et des rapports de forces, les tempêtes de 2017 font surtout naître des interrogations. Le terrain électoral a été dévasté. La lecture en est devenue plus difficile. Le flou qui entoure les positions de nombre d’élus ne peut conduire à des certitudes sur la marche de la politique gouvernementale.
On doit d’abord constater que les taux élevés d’abstention et de votes blancs ou nuls du second tour de la présidentielle et la faiblesse de la participation lors de celui des législatives sont des symptômes du malaise qui s’est installé dans le pays. « Dans le doute, abstiens-toi », nous dit la sagesse populaire. Le champion de l’alternance logique, François Fillon a été descendu en vol par une opération médiatico-judiciaire. Sans doute avait-il trop centré son discours sur les réformes qui parlent à la bourgeoisie conservatrice, et oublié les préoccupations populaires. Son élimination a permis d’additionner les partisans de la raison économique et ceux de l’hostilité réflexe envers le Front National. A la suite de cette confrontation inattendue, et de la victoire écrasante remportée par M. Macron, qui, elle, était annoncée, une large partie des électeurs s’est trouvée orpheline. L’extrême-gauche en a tiré une volonté de rebond. Elle est dans l’opposition radicale et remonte la pente derrière Mélenchon. Ses scores législatifs sont meilleurs qu’attendus. Le Front National a, une fois encore, découragé ses électeurs sans cesse bloqués par le plafond de verre. S’il progresse en sièges, c’est beaucoup plus faiblement qu’espéré, et ses huit députés pour un parti qui a réuni le tiers des électeurs au second tour de la présidentielle constituent une injustice, notamment si on les compare au nombre des élus des formations dont le candidat n’a pas atteint ce stade ultime de l’élection précédente. Le parti socialiste a été sévèrement sanctionné après le désastreux mandat de Hollande. Beaucoup de ses électeurs ont préféré l’original du socialisme pur et dur de la France Insoumise. D’autres, au contraire, ont choisi le pragmatisme affiché par le gouvernement et son parti. De même, si les Républicains demeurent le premier groupe d’opposition à l’Assemblée, leur recul est impressionnant. Des bastions ont résisté, mieux qu’on ne le pensait, mais d’autres se sont effondrés devant la séduction opérée par le « ni-gauche, ni-droite » d’En-Marche. Privés de leurs repères habituels, peu attirés par des programmes émoussés, une majorité d’électeurs a préféré laisser faire en ne votant pas. Il serait absurde de voir dans le vote d’hier l’expression d’une volonté enthousiaste. En l’absence de mobilisation, la victoire du macronisme n’est pas celle de la vague montante, mais celle de la plage lorsque la mer se retire.
Le succès de la majorité présidentielle est moins énorme qu’annoncé : 361 sièges contre plus de 400. Il dépend davantage des équilibres relatifs locaux que d’un mouvement général. On peut retenir deux facteurs principaux qui ont joué. Le premier est la sociologie plus que la politique. Lorsque la seconde est confuse, la première s’impose. Le second tient aux modalités du scrutin. La participation déjà basse au premier tour a entraîné essentiellement des duels. Cette situation explique en grande partie les résultats, notamment parce que les reports de voix ne sont pas les mêmes en fonction des candidats restés en lice. Les métropoles où les électeurs ignorent le plus souvent le nom de leur député ont suivi la vague dans la mesure où la population qui y vit est le plus souvent à l’aise dans le mouvement de la mondialisation, de l’intégration européenne et du « progrès » des moeurs. A Paris, En Marche et le Modem remportent 13 circonscriptions sur 18, à l’ouest sur les Républicains, à l’est sur la gauche. Les deux bastions LR du XVIe résistent de même que le XIXe élit un FI, mais les deux autres rescapés, un Républicain à Montmartre et une socialiste dans le XXe gagnent, l’un contre une ancienne ministre socialiste de Hollande et l’autre contre l’extrême-gauche, en l’absence d’En Marche. Les Yvelines, si résidentielles, bousculent des élus enracinés et aux conviction fortes, comme Myard ou Poisson. Dans les départements de la petite et de la grande couronnes, une onde de choc s’est propagée du centre vers la périphérie qui résiste mieux. Dans la métropole lilloise, le constat est identique. A Tourcoing, partagée en deux circonscriptions, l’une historiquement de droite, mais comprenant désormais une partie de Lille, l’autre que j’ai représentée durant 15 ans, après l’avoir prise à la gauche, la première a élu une députée En Marche, éliminant l’indéracinable maire de Marcq-en-Baroeul. L’autre, en revanche a permis à Vincent Ledoux de conserver confortablement son siège. Là encore, la périphérie a mieux résisté. Ces deux compétitions offraient un détail cocasse : les deux candidats En Marche affichaient le soutien de Macron tandis que leurs adversaires se réclamaient du maire de Tourcoing, par ailleurs ministre de Macron. On ne peut pas dire que ce genre de contradictions est propre à dissiper les doutes. Le bulletin météorologique peut donc afficher : brouillard persistant après la tempête.
En dehors des métropoles, les résultats sont plus contrastés. La volonté de changement triomphe d’autant plus facilement que le candidat auquel s’oppose le macronien n’est pas solidement implanté, qu’il n’est pas maire, ou qu’il remplace celui qui a préféré garder sa mairie. L’une des questions qui vont se poser à la droite sur le chemin de sa recomposition est celle des alliances et des reports de voix. Sans adversaire FN dans la triangulaire exceptionnelle de l’Aube, Nicolas Duyck aurait été élu. Cette compétition entre un LR bien à droite et un FN est absurde. Les Républicains peuvent se féliciter du report des voix du FN. L’inverse n’est pas vrai. La moindre déconfiture que redoutée par la droite et le centre ne devrait pas les inciter à maintenir leur ligne et leur discours inchangés. Les municipales verront quantité de députés En Marche tenter l’implantation. On voit l’importance de celle-ci avec l’élection d’Emmanuelle Ménard, l’épouse du Maire de Béziers qui a réussi son ancrage. Plus que jamais, la politique exige de distinguer l’ami de l’ennemi. Il faut que la droite dissipe rapidement les ambiguïtés qui la paralysent.
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