Tribune libre de Jean-Yves Naudet*
Bien sûr, nous ne sommes pas en 1945 et on n’assiste pas à un blocage général des prix. Mais on prépare l’opinion à l’idée que, seul, le gouvernement, connaît le vrai prix. Lui seul pourrait les empêcher de monter (d’où les projets concernant les loyers ou le prix de l’essence) ou de baisser (hausse du SMIC), ou d’atteindre un niveau jugé excessif (salaires des patrons du secteur public ou honoraires médicaux). C’est un mauvais signal envoyé à l’économie : si les prix sont fixés arbitrairement en fonction de l’humeur du prince, ils ne jouent donc aucun rôle économique. Or, sans liberté des prix, le marché ne fonctionne plus. Mais c’est aussi une imprudence politique : les Français ne cesseront de protester contre des prix jugés tantôt trop bas, tantôt trop élevés.
Les loyers, l’essence, les honoraires médicaux…
En juin 1945, une ordonnance avait fait du contrôle des prix et de leur fixation autoritaire la règle, la liberté étant l’exception. Il a fallu attendre l’ordonnance Balladur du 1er décembre 1986, pour que cesse un régime de prix contrôlés, avec des périodes plus dures (blocage) et d’autres plus souples (hausses limitées). Depuis, la quasi totalité des prix industriels est libre, ainsi qu’une grande partie des prix des services, surtout depuis l’ouverture à la concurrence des services publics. La règle est devenue la liberté, en dépit de nombreuses exceptions concernant certaines professions fermées.
Avec l’alternance politique, on peut se demander si l’on n’est pas reparti en sens inverse. Certes, pas question pour l’instant d’un blocage général, mais les alertes sont nombreuses. François Hollande avait déjà annoncé un blocage provisoire des prix de l’essence ; il n’est pas encore en place, car on découvre que des prix libres peuvent aussi baisser… et que les bloquer empêcherait la baisse. Les loyers sont dans le collimateur : il faut empêcher leur hausse « excessive » au moment d’un changement de locataire. On va les encadrer. Mais déjà certains proposent un blocage général de tous les loyers.
Voilà que l’on s’attaque également aux honoraires libres des médecins du secteur II, et l’ordre des médecins lui-même souhaite limiter les dépassements « excessifs » d’honoraires. À quand le retour généralisé aux seuls tarifs de la Sécu ?
Comme l’imagination des politiques est sans limite, on va trouver peu à peu d’autres secteurs où « les prix sont trop élevés ». Au Moyen Âge, on a cru que le calcul du juste prix était si complexe que Dieu seul pouvait le calculer, d’où le recours, avec l’école de Salamanque au XVI° siècle, au prix du marché concurrentiel comme juste prix. Voici donc que nos politiques se prennent pour Dieu et calculent eux-mêmes le juste prix.
Mais il n’y a pas que les prix des biens et services qui sont concernée. Le prix des facteurs de production (capital, travail) est également visé par les dirigistes. Pour le capital financier, il y a longtemps que les banques centrales manipulent le taux d’intérêt et les politiques ont même inventé le prêt à taux zéro. Pour le travail, nous avions expliqué il y a quinze jours que le SMIC était un faux prix du travail, un salaire artificiellement fixé. Voilà que non content de donner un coup de pouce au SMIC, le nouveau gouvernement propose aussi un salaire maximum : on commence par les patrons de groupes publics, en plafonnant le salaire du PDG à vingt fois le salaire le plus faible : on a donc un prix minimum et un prix maximum !
Au Moyen Âge, on a cru que le calcul du juste prix était si complexe que Dieu seul pouvait le calculer, d’où le recours, avec l’école de Salamanque au XVI° siècle, au prix du marché concurrentiel comme juste prix. Voici donc que nos politiques se prennent pour Dieu et calculent eux-mêmes le juste prix.
Toutes ces dérives conduisent à créer de « faux prix », qui induisent de mauvaises décisions. Nos dirigeants, actuels et passés, ne le savent pas, et voient dans le prix une variable électorale, pour se rendre plus populaire. En fait, les prix sont au cœur du marché ; leur liberté est essentielle, pour qu’ils puissent jouer leur rôle d’information, d’incitation, de régulation.
Le prix : information, incitation, régulation
Il faut rappeler que le prix est avant tout un élément d’information sur la situation présente ou future du marché : il traduit les rapports entre l’offre et la demande. Un prix qui monte envoie un signal : il y a excès de demande ou insuffisance d’offre, donc pénurie potentielle. Un prix qui baisse, c’est l’inverse : excès d’offre, insuffisance de demande, donc surproduction potentielle. Voilà pour le signal. Sans prix libre, avec des prix arbitraires (les « faux prix » de Jacques Rueff), le signal d’alerte ne fonctionne plus.
Mais une information est destinée à quelqu’un : l’entrepreneur est là pour être vigilant et décoder les signaux des marchés ; il constate ici une pénurie, puisque le prix monte et est incité à offrir davantage, puisque les opportunités de profits sont plus fortes. Là, le prix baisse car on offre déjà trop, les opportunités diminuent et l’entrepreneur est incité à quitter ce produit ou ce secteur pour aller ailleurs. Le consommateur lui aussi réagit au signal de prix. Les uns et les autres comparant les prix relatifs, c’est-à-dire d’un produit par rapport à un autre.
Cette mécanique des prix relatifs est l’élément régulateur du marché ; pas besoin de l’État ici, le marché se régule lui-même. Une pénurie fait monter le prix, décourage les clients encourage les offreurs et la pénurie disparait ; et inversement en cas de baisse des prix. Mais ce n’est pas un « équilibre » qui est atteint, car les goûts, les revenus, les marchés, les produits changent et les prix ne cessent de varier, appelant une adaptation permanente de la production à la consommation (et réciproquement). Bloquer les prix, c’est paralyser l’économie dans un monde changeant.
Contrôler les prix crée des déséquilibres et ne réduit pas l’inflation
Les conséquences du contrôle des prix, de ce gel de l’économie, sont connues. Si le prix est bloqué à un niveau trop bas, les produits disparaissent des étalages ; s’ils sont bloqués à un niveau trop élevé (prix agricoles garantis), c’est la surproduction qui menace.
Le salaire minimum crée du chômage : c’est bien payé, mais on ne trouve pas d’emplois ; les manipulations des taux d’intérêt provoquent un gaspillage des ressources financières. Bloquer le prix des loyers, c’est tuer l’incitation à investir dans l’immobilier locatif et créer, à coup sûr, la pénurie de logements. Les loyers sont bas, mais on ne trouve pas à se loger.
Restent deux objections.
La première est qu’il y aurait des prix « injustes », trop élevés ou trop faibles. Qui peut en juger ? Seuls les clients et les entreprises peuvent le dire, à condition que le marché soit libre, ouvert, sans fraude, sans manipulation, comme on disait chez les scolastiques tardifs, c’est-à-dire concurrentiel. Un monopole public et protégé durablement de toute concurrence, fixe des prix injustes.
Deuxième objection : l’inflation. Elle est injuste car spoliatrice. Ici, la hausse des prix est générale, car c’est le prix de la monnaie qui a baissé (trop d’émission). Cependant, l’inflation transmet une autre mauvaise information : la valse des étiquettes fait que plus personne ne s’y retrouve et les bases du calcul économique sont faussées. Voilà pourquoi la « vérité des prix » exige la stabilité de la valeur de la monnaie. Bloquer les prix pour lutter contre l’inflation ne sert à rien, sauf à accentuer les déséquilibres ; seule une maîtrise de la création monétaire peut empêcher l’inflation. Avec une création monétaire modérée, une saine concurrence et des prix libres, les prix sont beaucoup plus « sages » qu’en étant artificiellement contrôlés.
*Jean-Yves Naudet est un économiste français. Il enseigne à la faculté de droit de l’Université Aix-Marseille III, dont il a été vice-président. Il travaille principalement sur les sujets liés à l’éthique économique.
> Cet article est publié en partenariat avec l’ALEPS.