Tribune libre de César Lesage
À peine les élections législatives terminées que les règlements de compte commencent à droite. Haro sur la droitisation, coupable, d’après de nombreux dirigeants de l’UMP repris en chœur par les médias – Jean-Pierre Raffarin, Chantal Jouanno, Alain Juppé ou François Fillon, pour ne citer qu’eux – d’avoir précipité la défaite de la droite aux législatives. En témoigneraient les déculottées subies par des personnalités perçues comme incarnant ce qu’ils appellent la « dérive droitière » : Claude Guéant bien sûr, mais aussi Nadine Morano, Maryse Joissains-Masini (qui avait reconnu avoir défendu les “valeurs” de Marine Le Pen), Jean-Paul Garraud, Guillaume Peltier ou Éric Raoult. A l’inverse, les tenants d’une droite plus « modérée », tels Nathalie Kosciusko-Morizet, François Fillon, Thierry Solère (le tombeur de Claude Guéant) ou Bruno Lemaire ont été plus ou moins confortablement réélus.
En réalité il s’agit là d’une analyse en trompe-l’œil. Pour plusieurs raisons.
La droitisation du discours de Nicolas Sarkozy a limité la casse
La première, c’est qu’elle ne tient pas compte de la droitisation du discours de Nicolas Sarkozy pendant la campagne présidentielle, et de son incontestable efficacité. Celle-ci peut être d’autant mieux appréhendée que l’abstention est beaucoup plus faible qu’aux élections législatives, celle ci rendant plus difficile l’interprétation des résultats de ces dernières. Au premier tour, Nicolas Sarkozy, malgré une impopularité record, a réuni 27,18% des suffrages, largement mieux que Jacques Chirac en 2002, dont le bilan était fantomatique.
Entre les deux tours, la droitisation aura permis à l’ancien Président de la République de récupérer pas moins de 7 millions de voix dans un contexte extrêmement hostile à son endroit, puisqu’il n’a reçu l’appui d’aucun candidat de droite ou du centre du premier tour. Le score final obtenu par l’ancien locataire de l’Élysée a dépassé toutes les prédictions des sondages et toutes les espérances les plus folles. En effet, au lendemain de la victoire de François Hollande aux primaires socialistes, Nicolas Sarkozy était donné perdant au second tour jusqu’à 39% des voix, si tant est qu’il parvienne à passer le premier… Peu auraient par conséquent parié une défaite sur un score aussi serrée. Non seulement, Nicolas Sarkozy a finalement pu récupérer une grande partie des voix du Front National, mais surtout, il bénéficie de meilleurs reports de voix depuis les électeurs de François Bayrou que François Hollande, cependant que les estimations de ces reports étaient inversées au lendemain du premier tour. C’est bien la preuve éclatante que le discours droitier de Nicolas Sarkozy n’aura non seulement pas repoussé les électeurs centristes, mais qu’il a même permis de renforcer leurs reports de voix, en dépit de la prise de position de leur candidat entre les deux tours.
Le « flirt » avec le Front National n’existe pas
Certes, il y a eu les « dérapages » médiatisés de Maryse Joissains-Massini, qui disait défendre les valeurs de Marine Le Pen, ceux tout aussi semblables de Nadine Morano, mais aussi la sortie risquée de Jean-Paul Garraud, qui ne faisait que s’interroger sur le maintien d’un cordon sanitaire avec le FN, ou bien le désistement du candidat UMP Roland Chassain dans les Bouches-du-Rhône, arrivé 3e derrière les candidats PS et FN, sans qu’il n’appelle toutefois à voter pour cette dernière. Mais si ces cas sont emblématiques et repris à l’envi dans les salles de rédaction, c’est surtout parce qu’ils sont avant tout très isolés, malgré l’intense battage médiatique ! L’écrasante majorité des candidats et de l’appareil de l’UMP a respecté la fameuse consigne du “ni-ni” en refusant clairement tout alliance avec le FN ou désistement à son profit. Le cordon sanitaire autour du FN s’est sans nul doute étiolé, mais il se maintient encore. Notons toutefois que lorsqu’il a rompu par le passé, il a permis à la droite de remporter de nombreuses régions (comme en 1998). Ce qui, curieusement, n’empêche pas certains de voir dans ces franchissements d’interdits l’ingrédient de la défaite…
Un rejet de la Droite Populaire ?
Le bilan est lourd pour l’aile droite de la majorité, accusée de « chasser sur les terres du Front National », comme si, en démocratie, il y avait des domaines réservés. Les francs tireurs de l’ancienne majorité paient un lourd tribut au fait majoritaire, dont l’effet est amplifié, dans la mesure où ces candidats étaient encore plus marqués à droite : environ la moitié des députés sortants de la Droite Populaire ont été battus. Par ailleurs, il a été observé que l’abstention a d’abord été le fait d’électeurs de droite démobilisés. Faisant fi de ces observations préliminaires, d’aucuns n’y voient que l’échec d’une « stratégie à droite toute ».
En réalité, beaucoup de députés sortants de la Droite Populaire concourraient dans des circonscriptions difficiles, où rares sont les candidats qui l’emportent avec plus de 52% des voix. Celles-ci basculent traditionnellement en fonction des alternances au pouvoir et ne sont pas réputées être des bastions imprenables. D’autres ont tout simplement été éliminés par des triangulaires meurtrières. Comme le souligne Thierry Mariani, réélu dans la nouvelle 11e circonscription des Français de l’étranger, « ces élus ont été battus car ils se présentaient dans des circonscriptions difficiles et non bourgeoises, comme d’autres… Ce n’est pas dû à la ligne politique qu’ils incarnaient ». Il est vrai que se présenter dans la 2e circonscription de Paris ou bien la 4e de l’Essonne garantit la réélection de n’importe quel candidat de droite. Ce ne sont pas François Fillon, ni Nathalie Kosciusko-Morizet qui diront le contraire.
L’insuffisance du discours
Le discours, voilà précisément ce qui n’a pas suffi à la droite pour renverser la tendance, ou du moins, pour l’atténuer. Certains auront beau jeu de dénoncer « l’immigration-colonisation », le carcan de Schengen, l’insécurité galopante ou bien le délitement des valeurs familiales, comme à l’occasion du vote sur le “mariage” homosexuel, il aurait fallu que des résultats plus probants aient vu le jour pour que le bilan de Nicolas Sarkozy, dont il n’a d’ailleurs pas à rougir, soit plus défendable et parvienne à convaincre les électeurs. La droitisation n’aura été nuisible que dans la mesure où elle offrait parfois l’impression d’un fossé entre des discours séduisants et des actes inexistants.
Par ailleurs, la dédiabolisation du Front National, malgré des incohérences et des absurdités idéologiques profondes, doit être prise en compte. Elle n’implique pas nécessairement des accords électoraux mais un aggiornamento idéologique qui permettra d’assécher le vote frontiste, comme ce fut le cas en 2007. L’UMP ne pourra pas incarner une opposition crédible et constructive si elle cherche en permanence à s’aligner, ou à défaut, à s’opposer mollement sur les positions identitaires, sociétales et économiques de la gauche, malgré ce que peuvent en penser Chantal Jouanno, Alain Juppé et autres François Baroin. L’enseignement de ces deux scrutins indique tout au contraire que la droite devra profiter sans plus tarder de ces 5 nouvelles années de crise qui nous attendent pour définir une ligne idéologique claire et sans complaisance sur la famille, la Nation, la mondialisation, le rôle de l’État et la fiscalité. Au risque de rater les prochaines échéances électorales, de voir le Front National devenir la principale force d’opposition et d’abandonner la France au mains du PS pendant 5 années de plus.
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