Avec le manque de créativité et d’originalité qui la caractérise par défaut, la tête de liste du parti présidentiel a une fois de plus, lors d’un récent débat, ressassé le slogan qui fait de l’Europe, la cause de plus de 70 ans de paix… Cette affirmation est idiote, et on ne peut la proférer que pour deux raisons : soit on pense que ceux qui vous écoutent sont ignorants et naïfs, soit on y croit soi-même, et on montre à quel point on connaît mal le sujet. Ce poncif repose sur une faute logique assez courante : on constate la concordance de deux faits et on en induit un lien de cause à effet entre l’un et l’autre, dans un sens ou dans l’autre. Ici, la construction européenne serait la cause de la paix en Europe. Mais on pourrait tout aussi bien dire que l’existence de la paix a rendu possible cette construction. C’est même cette seconde hypothèse qui est la plus solide. Imaginons que la guerre ne fût pas demeurée « froide », et que, hors la menace atomique américaine, les Soviétiques aient envahi l’Europe de l’Ouest, la construction européenne aurait été avortée. Ce qui lui a permis de naître, c’est de se situer sous un protectorat américain, qui reposait sur le risque pour l’agresseur de subir une riposte nucléaire, ou à tout le moins une contre-offensive conventionnelle avec des moyens à la hauteur, ce dont les pays européens s’avéraient incapables. Le général de Gaulle, qui avait une certaine expérience des engagements américains, n’était pas du tout sûr que les Etats-Unis utiliseraient l’arme atomique dès lors qu’ils n’étaient pas menacés eux-mêmes. C’est la raison pour laquelle il a doté la France d’une dissuasion nucléaire qui en même temps qu’elle garantissait son indépendance, faisait d’elle le fer de lance potentiel d’une défense européenne. En cas d’attaque contre la France, le Général confiait à Alain Peyrefitte : « la dissuasion est faite pour empêcher la guerre… Nous allons avoir 40 bombes… Elles infligeraient aux Russes des dégâts sans commune mesure avec l’avantage de conquérir notre sol. » C’est donc bien une nation, celle qui justement s’était opposée à une Communauté Européenne de Défense, la France, qui a accédé à des moyens sérieux de faire régner la paix en Europe. Sans cette politique, la CED privée de volonté politique claire en raison de la diversité des intérêts nationaux, aurait été soumise aux Etats-Unis, à cause de l’infériorité de ses moyens militaires, en l’absence notamment de l’arme atomique.
La construction européenne a donc pu se développer à cause de la paix, ou plutôt de cette non-guerre, rendue possible par le risque mortel d’une agression de l’Europe occidentale par le Pacte de Varsovie. Lorsque l’URSS, à bout de ressources, à force de lutter sur des terrains périphériques, comme l’Afghanistan, s’est effondrée, l’Union Européenne s’est étendue vers l’Est avec une grande rapidité, poussée sans doute par les Etats-Unis, avides de profiter au maximum de leur victoire. Cet élargissement a rendu la convergence plus difficile, a accentué la supériorité allemande par rapport à la France, et donc distendu les relations d’un duo de nations qui pouvait faire de l’Europe une puissance, et non un faisceau d’impuissances, enrubanné à Bruxelles par les institutions d’une technocratie pesante. Cette marche vers l’Est est arrivée à la frontière de l’URSS, et cette fois, on se rend compte que l’Europe, loin d’être un facteur de paix, est devenue un motif de guerre. L’instabilité en Ukraine, la guerre qui y sévit dans le Donbass, ont été provoquées par la compétition entre l’Union Européenne, et la Russie, pour s’attacher la République nouvellement indépendante. Pour sa plus grande part, elle appartenait à la Russie depuis trois siècles, les Européens devaient évidemment donner la priorité aux nouveaux arrivés qui posaient déjà suffisamment de problèmes de mise à niveau, avant que de faire les yeux doux à Kiev. Mais une fois encore, la démarche de l’UE étant parallèle à celle de l’OTAN, plus insupportable encore pour Moscou, il était clair que la stratégie était davantage celle de Washington que celle Bruxelles, bien incapable d’en avoir une, au demeurant.
La guerre avait d’ailleurs déjà sévi dans un autre pays que les années 1990 ont fait exploser : la Yougoslavie. L’Europe n’y a pas maintenu la paix. Elle a au contraire accentué le conflit entre les ethnies yougoslaves, systématiquement au détriment des Serbes et à l’avantage des Croates dont les Allemands sont proches, et aussi des musulmans bosniaques ou albanais, pour des raisons plus confuses, liées au poids des Turcs, membres de l’Otan, et toujours à celui des Américains, notamment lorsqu’ils sont sous administration démocrate. Il est frappant de constater que la guerre en Bosnie-Herzégovine n’a pas été évitée grâce à l’Europe, et que la sortie du conflit s’est effectuée au-dessus d’elle. Les accords de Dayton de 1995 ont été conclus entre les Croates, les « musulmans » et les Serbes sur une base américaine de l’Ohio, par l’entremise de Richard Holbrooke sous l’administration Clinton. La mise en oeuvre a reposé sur des forces militaires majoritairement de l’Otan, de l’IFOR d’abord, puis de la SFOR, et seulement enfin à partir de 2004, de l’Eufor, européenne. De même le Kosovo a été érigé en Etat indépendant à majorité albanaise musulmane, au mépris du droit international, selon la volonté américaine, et contre l’avis d’Etats européens comme l’Espagne. Les mauvais traitements infligés aux Serbes, et les trafics dénoncés par le Procureur Général du Tribunal International pour l’ex-Yougoslavie, Carla Del Ponte, n’ont entraîné aucune réponse de l’Union Européenne, pourtant chargée d’une mission civile à travers l’Eulex, tandis que la KFOR de l’Otan tente d’y maintenir l’ordre.
L’Union Européenne a reçu le prix Nobel de la Paix en 2012, comme Obama en 2009, sans autre raison que politique. L’Europe n’est pour rien dans la paix en Europe, et Mme Loiseau se fout du monde !