Il faut se méfier des grandes idées creuses qui masquent des desseins moins généreux ou ne cherchent qu’à donner une posture avantageuse à celui qui les formule. De Victor Hugo à Jean Lecanuet, les Etats-Unis d’Europe ont été lancés comme un avenir inévitable et salutaire. En revanche, les brillants discours du premier n’abordaient guère le chemin à parcourir, ni les institutions à créer. Victor Hugo promettait une fusion des pays comme il y eut une réunion des provinces. Il oubliait que celle-ci fut le résultat de guerres et de conquêtes. Il situait la capitale de cette fédération européenne à Paris. Depuis, trois guerres ont opposé la France et l’Allemagne qui n’avait conquis son unité du vivant de notre poète que par la victoire de Sadowa, et Jean Monnet, l’un des pères de l’Europe actuelle qui souhaitait surtout voir disparaître notre Etat-Nation appelait les institutions fédérales à s’installer dans un petit pays. Ce maniaque du détricotage de la France avait déjà proposé une fusion France-Royaume-Uni en 1940. C’est de Gaulle qui permit à la France de maintenir d’abord son existence puis de reconquérir sa pleine souveraineté. C’est lui encore qui disait aux Français que, si certains sautaient sur leur chaise, comme des cabris, en disant « l’Europe, l’Europe »… il fallait plutôt tenir compte des réalités. Le cabri, Jean Lecanuet, avait annoncé, en 1965, un Parlement et un Président pour une Europe des Peuples, et non plus des Etats. Imagine-t-on que les Français considèrent comme leur Président Van Rompuy ou Barroso, ou demain, Jean-Pierre Juncker ou Martin Schulz ? Qu’il soit Californien, Texan, de la côte est ou de Chicago, qu’il soit blanc ou noir, protestant ou catholique, le Président américain est celui de tous les Américains, parle anglais et connaît l’Histoire de son pays, notamment les trois guerres qui l’ont constitué, agrandi et maintenu. Un Président Européen sera toujours le membre d’une Nation qui a sa culture, sa ou ses langues et une Histoire faite de multiples conflits avec ses voisins. Les Etats-Unis d’Europe, l’Europe Fédérale sont des vues de l’esprit. Les frontières nationales ne sont pas ces abstractions en ligne droite qui séparent les Etats américains.
Pour créer une fédération, il ne suffit pas d’avoir des idées et des intérêts communs, il faut aussi, pour soutenir la volonté, une part d’affectivité. Juppé, le technocrate froid, ayant flairé la difficulté, en fait un peu trop comme tout néophyte dans un domaine étranger. « Europe, mon amour », risque-t-il avant d’affirmer qu’il faut susciter un désir d’Europe. Il se peut qu’il y ait un « désir d’Europe » très vif chez les Ukrainiens de Galicie, pour échapper à la Russie et accéder au niveau de vie de leurs voisins de l’Ouest. Mais ce désir puissant, par exemple, dans les années 70, chez les Espagnols, s’est tari, avec l’habitude d’abord, puis avec le désastre économique que le pays affronte depuis six ans.. L’Europe ne fait plus rêver les Européens. Elle est devenue « le plus froid des monstres froids ». Ce sont des parlementaires anonymes et lointains, c’est une commission pléthorique, qui imposent des normes, lancent des directives, publient des rapports sans que les Peuples se sentent le moins du monde impliqués dans le fonctionnement de cette machine, hier prometteuse et pourvoyeuse, aujourd’hui source de restrictions et de contraintes. On peut être séduit par un homme ou une femme politique que l’on connaît parce qu’on l’a élu et qu’on peut suivre le parcours de ses idées jusqu’à leur réalisation. François Hollande a dû prendre conscience de cette part d’affectivité dans le désamour qu’il subit. Le Président de l’Europe ne sera ni aimé, ni haï. Il laissera indifférents tous les Européens. On n’est pas amoureux d’un taux de déficit ou de dette. On peut, en revanche, être excédé par celui du chômage ou par les interventions intempestives d’un commissaire bruxellois sur les mesures prises pour protéger la France, son territoire et ses entreprises.
L’Europe a une pensée unique dont l’auteur est Gribouille. Pour régler les problèmes de l’Europe, il faut plus d’Europe. Ce n’est pas l’Euro qui est un obstacle, mais l’absence de gouvernement économique. Il n’y a pas le choix. Il faut plus de fédéralisme. Comme dit Valls, la sortie de l’Euro serait une catastrophe. Extraordinaire démocratie que celle où l’on ne peut plus choisir ! Et l’on voudrait que les Européens se passionnent pour une politique qui ne laisserait de place ni à l’alternative, ni à l’alternance. Un Mark sous-côté, un Franc, une Lire, une Peseta surévalués, tel est l’Euro qui a creusé les disparités nationales au lieu de faciliter la convergence. La France est, certes en raison de sa mauvaise gouvernance, le pays qui a vu le plus s’effondrer son industrie, se détériorer sa balance commerciale ( 61 Milliards de déficit en 2013 contre des excédents de 198 et 30 Milliards pour l’Allemagne et l’Italie). Mais dès le départ, lors de Maastricht et de la décision irréfléchie de Mitterrand, l’industrie française ne pouvait rivaliser avec l’allemande que par les prix. En l’absence de mesures suffisamment précoces sur le coût du travail, ou de dévaluation, la France risque de devenir un vaste parc d’attraction dont une partie de la jeunesse ira travailler en Allemagne, comme c’est déjà le cas à la frontière. Les analyses de Philippe Villin, de Jacques Sapir ou de François Heisbourg, venus d’horizons assez différents, se rejoignent pour préconiser la fin concertée de l’Euro assortie d’une dévaluation des monnaies du sud. Pour Heisbourg, ce serait même le seul moyen de sauver la construction européenne. Le rêve européen s’est dissipé. Il est temps maintenant d’arrêter les mensonges.
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