Par Cécile Edel, Présidente de l’association “Choisir la Vie »
Alors que le 8 avril dernier, le Sénat avait déjà voté un amendement extrêmement inquiétant visant à supprimer la condition de la nécessité médicale pour le recours au diagnostic prénatal (DPN), la commission spéciale de l’Assemblée nationale préparant l’examen du projet de loi de bioéthique en 2ème lecture vient de franchir un nouveau pas dans la chosification de l’embryon et le non respect de sa dignité.
Ainsi, il convient de relever que cette commission spéciale a avalisé :
- la suppression du principe d’interdiction de la recherche sur l’embryon
- la systématisation du diagnostic prénatal en inscrivant l’obligation pour le médecin de le proposer à toute femme enceinte sans considération de son état médical (âge, antécédents…)
- l’autorisation du don de gamètes par des individus, hommes ou femmes non encore parents
Avec ces nouvelles dispositions, le dépistage devient systématique puisque le professionnel, le médecin, se verra ainsi obliger de proposer ce dépistage à la patiente, même si celle-ci n’a aucun risque potentiel d’avoir un enfant « handicapé », cette dernière décidant seule d’y recourir pour « traquer » les éventuelles infirmités de son bébé. Ne soyons d’ailleurs pas naïfs à ce sujet ; si un éventuel handicap est détecté, dans la plupart des cas, un avortement est ensuite préconisé.
Au regard de cette dérive banalisant un peu plus encore le DPN et le dépistage, l’envie ne manque pas de rappeler à nos sénateurs quelques éléments des Etats Généraux de la Bioéthique parmi lesquels la réflexion de nos concitoyens au sujet du DPI et DPN. Ces derniers avaient, en effet, tenu à préciser que « l’exercice de la médecine, irréductible au simple usage d’une technique, engage toujours une certaine idée de l’homme ? » (p 40) et que « ni la maladie ni le handicap n’altère notre humanité, que nos différences définissent notre humanité commune, que la solution au handicap passe exclusivement par la recherche sur la maladie et non par l’élimination ». Voici là une bien sage réflexion !
Il est étonnant de constater, alors, combien aussitôt, ces grands principes fondant le caractère pleinement humain d’une civilisation érigés, ces derniers sont quasi immédiatement et sans que cela ne semble poser un quelconque problème éthique, bafoués par nos élus supposés « sages ».
Sans nul doute, les nouvelles technologies médicales ont produit des modifications radicales en particulier dans le domaine de la procréation. Mais, si nous souhaitons être au plus juste dans la recherche des enjeux éthiques et psychologiques de ces biotechnologies, on ne peut faire l’économie des questions suivantes :
- Puisque nos concitoyens eux-mêmes semblent convaincus que l’exercice de la médecine engage une certaine idée de l’homme, demandons nous alors quelle idée de l’homme est véhiculée au travers des diverses techniques de dépistage ? La nature de l’homme, comme nombreux s’accordent à le dire, serait au delà de son handicap ou de sa maladie mais, alors pourquoi ceux-ci conditionneraient-ils malgré tout son droit d’exister ou non ?
- Que peut véhiculer dans l’inconscient collectif la notion même de diagnostic prénatal ou diagnostic pré-implantatoire ? Diagnostiquer, c’est dévoiler une maladie. Une fois la maladie révélée…qu’en fait-on ? Que fait-on de la maladie et que fait-on du malade ? Car il s’agit bien de cela d’un malade et d’une maladie.
- Que dire d’une société où la fragilité, la maladie n’a pas sa place ? La diversité humaine, la maladie sont constitutives de la destinée humaine. Si la maladie n’est plus acceptée en tant que telle c’est le malade, le handicapé, la personne déficiente, qui est rejeté de la sphère des humains et qui n’a plus droit de cité.
- Qu’envoyons-nous comme message à toutes les personnes atteintes d’une grave maladie ou handicap ? Comment les respecte-t-on ? Peut-on prétendre les respecter, voire se prévaloir de contribuer à leur meilleure insertion dans la société, si on leur signifie par nos actes qu’elles ne sont pas les bienvenues puisque leur pairs, qui leur ressemblent dans leur différence, sont éliminés parce que non conformes à une certaine idée de perfection ?
Il est normal de craindre la maladie et d’éviter celle-ci mais pas d’éviter le malade ! La personne handicapée n’existe plus alors pour elle-même mais seulement par sa maladie. Sa maladie existe mais elle, non. Les deux sont amalgamés.
Aujourd’hui, les progrès dans la maîtrise des techniques médicales et les avancées récentes dans le dépistage du handicap ou des maladies graves, permettent malheureusement aux praticiens de répondre à des demandes de conception, de réparation, d’ « élimination » parfois totalement irraisonnées. Ces progrès sont également à l’origine d’un changement de mentalités.
En effet, il y a plusieurs années, lorsque la notion de dépistage n’était pas d’actualité, à l’annonce par exemple d’une naissance d’un enfant très gravement atteint, c’était la notion de « deuil de l’enfant imaginaire », qui était imposée aux parents comme une épreuve obligée.
Aujourd’hui, nous sommes dans un contexte où la naissance obligatoire d’un enfant non handicapé, non malade peut être imaginée, et surtout entrée dans le champ du possible. Les parents peuvent ainsi se sentir fondés à rêver d’un enfant parfait et à attendre de la médecine l’accomplissement de ce rêve. Pourquoi les parents ne profiteraient-ils pas au maximum de ces nouvelles technologies pour donner naissance à l’«enfant de leurs rêves», rayonnant de santé et de talents?
Un dangereux fantasme se profile pourtant derrière ce bel espoir, et ce danger est bien affirmé par de nombreuses voix parmi les communautés bioéthique et scientifique, les organisations de défense des handicapés qui nous imposent de réfléchir aux dangers des tentatives d’« amélioration » génétique de l’espèce humaine.
Pourquoi, cette attitude persistante de rejet de la différence ? Pourquoi dépister tout handicap potentiel jusqu’à éliminer l’être même porteur de ce handicap ? Est-il devenu une obsession chez certains ?
Si nous nous fondons sur une démarche psychologique, l’analyse des représentations inconscientes que suscite inévitablement le handicap et l’analyse du mythe de l’enfant parfait qui malheureusement aujourd’hui peut devenir réalité grâce aux nouvelles techniques comme le DPI ou le DPN, peuvent nous apporter quelques éléments de réponses.
Attardons nous sur les représentations que nous avons du handicap.
- Le handicap, bien entendu, décourage. La réalité biologique a en effet des conséquences irréversibles qui contraignent à abandonner, pour une large part, l’espoir de guérison. Le caractère irrémédiable du handicap a malheureusement pour effet de briser l’élan thérapeutique.
- Le handicap fait également peur car il nous confronte aux limites de l’humain. L’enfant handicapé, par son étrangeté, révèle en fait comme dans un « miroir brisé » (1) notre propre étrangeté. L’enfant handicapé ne peut qu’envoyer à ses parents une image déformée, tel un miroir brisé, dans laquelle ils ont du mal à reconnaître l’enfant attendu, l’enfant qui se situe dans la filiation et qui doit les perpétuer après la mort. Cet enfant là, certes, est loin de l’enfant espéré ; il naît à rebours du mythe de l’enfant attendu, sain, sans tare, voire parfait. Il vient donner corps à quelque chose d’irreprésentable. Aucune représentation ne permet de donner forme à cet évènement, ou plutôt, les représentations sont si intolérables qu’elles sont chassées du conscient.
La notion du désir d’enfant permet également d’approfondir cette notion d’enfant espéré, imaginaire. Beaucoup d’auteurs se sont effectivement prononcés sur le fait qu’accomplir ce désir là était en fait accomplir le désir le plus chargé en leurres car l’enfant du désir est un enfant imaginaire, porteur inévitablement d’un fantasme : celui de l’enfant parfait. L’enfant qui arrive, l’enfant réel semble ainsi toujours être à une certaine distance de ce que ces parents avaient espéré. De ce fait, la réalisation du désir d’enfant est d’autant plus troublante que l’enfant réel ne semble pas toujours être l’enfant du désir.
Si concrètement, par un dépistage précoce, l’être humain différent, est éliminé, si la différence, l’imperfection est reléguée au rang de l’inacceptable, alors, dans l’inconscient collectif, le message véhiculé sera que notre propre existence est corrélée à des conditions particulières. La notion de projet parental vient d’ailleurs bien confirmer cette idée.
Si l’être humain ne tire son existence que du « projet parental » et de la toute puissance du désir que ses parents projettent sur lui alors, la personne handicapée ne peut exister car le handicap est obligatoirement exclu du « projet parental ». Qui aurait comme projet d’avoir un enfant handicapé ? La différence est exclue. L’enfant, puis l’adulte qu’il deviendra, doit être conforme au projet que ses parents, que la société a sur lui.
« De fait, l’enfant non désiré, non parfait qui nait en dehors d’un projet parental , n’a plus aucun droit, puisqu’il a perdu celui qui prélude à tous les autres, le droit d’exister ! Cette idéologie de l’enfant désiré est donc une sentence de mort, dont l’exécution en suspens ne dépend que de la décision des parents. Et pourtant, en aucun cas, l’accueil de l’enfant ne doit être subordonné aux aléas du désir qu’on a de lui. La reconnaissance de son humanité est inhérente à la personne humaine et ne dépend pas de conditions qui lui sont extérieures et qui varient avec la versatilité des modes et des éthiques de circonstances. » (2)
Comment peut-on nier que les tests de dépistage et la notion de projet parental, posent de véritables problèmes éthiques ? Le débat sur un nouvel eugénisme réactualisé par le vote du Sénat sur le projet de loi de révision des lois de bioéthique, veut rappeler que le bébé sans défaut est une chimère, que la poursuite de l’enfant parfait est vaine et porteuse de conséquences tragiques pour l’enfant, ses parents et la société tout entière. Il veut aussi nous mettre face à cette question : les parents ont-ils le droit de dessiner l’enfant dont ils ont rêvé, de décider même de ses caractéristiques, de son sexe, de ses qualités physiques? Les parents ont-ils le droit de décider quel enfant mérite de vivre en fonction de son potentiel génétique ou physique?
«Un enfant est une personne à part entière, irréductible dans son essence à la volonté des parents. Être parents, n’est-ce pas aimer l’enfant que l’on a tel qu’il est plutôt que d’exiger l’avoir tel qu’on le veut ? » (Axel Kahn)
(1) Simone Sausse, Le miroir brisé, Calmann-Lévy, Paris, 1996.
(2) Dr Philippe de Cathelineau, Les lendemains douloureux de l’avortement, C.L.D., Paris, 2003.
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