Billet initialement paru le 14.03.2016
Trouver un emploi, en France, relève d’autant plus du parcours du combattant que la structure étatique officielle, Pôle Emploi, s’acquitte fort mal de sa mission, pour un prix élevé et des résultats très médiocres. Il y a un an, on apprenait une histoire ahurissante sur une fraude patentée. En un an, on pourrait croire qu’un peu de ménage aurait été fait.
Rassurez-vous, en France, il n’en est rien : comme en attestent de nombreux articles de presse relatant fraudes, arnaques et autres gabegies phénoménales, le merdoiement intense de l’officine publique de gestion du chômage continue de plus belle, avec votre argent et dans une décontraction assez visible.
Il s’en passe, des choses, chez Paul Employ ! Si certains croient encore qu’il ne s’agissait que d’un aimable établissement public normalement chargé de mettre en relation ceux qui proposent des emplois avec ceux qui en recherchent, ils omettent en réalité sa seconde mission : celle d’employer directement un nombre croissant de personnes à son propre fonctionnement. Et si le résultat de la première mission est assez peu probant, celui de la seconde laisse, là encore, à désirer.
On apprend en effet, au détour d’un Canard Enchaîné qui fera certainement date, que Paul Employ a ainsi contribué à alimenter la pente de la courbe du chômage dans le mauvais sens, en se séparant avec pertes (mais très peu de fracas) de son directeur informatique à la fin de l’année 2013, le pauvret venant ainsi ajouter une fiche numérique supplémentaire aux trop nombreuses données que son ex-équipe traitait alors.
Un directeur qui quitte l’institution, rien que de très banal, sauf lorsqu’on détaille le contexte de ce remaniement de ressources humaines.
D’une part, le directeur, avant d’être licencié dans le cadre d’une « rupture conventionnelle », a été préalablement mis à pied à titre conservatoire : l’homme avait en effet utilisé son poste stratégique à la direction informatique de l’Unédic, la structure qui gère les fonds de Paul Employ, pour toucher, en plus de son salaire, une indemnité comme chômeur (assez rondelette, allant jusqu’à 4982,30 € d’allocation mensuelle).
D’autre part, il n’a été découvert que parce qu’un autre salarié, dans son équipe, est tombé sur le nom de son supérieur en poste, dans la liste de chômeurs indemnisés. Mésaventure fort gênante, parce qu’elle confirme, s’il était besoin, qu’il est parfaitement possible de se retrouver dans l’étrange position d’être salarié et de toucher malgré tout des indemnités chômages indues. Difficile ici d’évaluer l’ampleur de la fraude, mais cette mésaventure montre bien la légèreté des contrôles en place, qui semblent faits a posteriori, au petit bonheur la chance, mais surtout – et c’est le plus ahurissant – ne semblent même pas permis : l’employé n’avait pas l’autorisation de son supérieur hiérarchique pour effectuer cette consultation du fichier.
Ceci le conduira d’ailleurs directement à la case Paul Employ, de l’autre côté du guichet, une fois licencié pour cette faute, et entraînera probablement des frais pour cette institution lorsque les prud’hommes, saisis par le lanceur d’alerte, remettront l’Église au milieu de la piscine, comme d’habitude en France.
Enfin, l’affaire prend un tour carrément grandiose lorsqu’on apprend en plus que le directeur-fraudeur, dans le cadre de ses fonctions, était chargé d’encadrer l’équipe qui cherche les profils suspects, c’est-à-dire de débusquer les fraudeurs qui perçoivent des indemnités auxquelles ils n’ont pas droit.
Tout ceci est extrêmement rassurant pour les gens honnêtes qui, au mieux, comptent sur la bonne gestion de l’établissement public pour retrouver un emploi, ou, au pire, participent à son financement au travers des lourdes cotisations qu’on les oblige à payer.
Bien évidemment, nous sommes en France et une histoire pareille ne pouvait se terminer sans une belle apothéose de n’importe quoi. Rassurez-vous, elle y est puisque l’indélicat fraudeur a eu la présence d’esprit de négocier une « rupture conventionnelle » en quittant ses fonctions, … ce qui lui permettra de toucher la somme de 160.000 euros (après un peu plus d’un an de présence).
Bien entendu, cette fraude est scandaleuse à plusieurs niveaux.
Bien sûr, elle est scandaleuse parce l’individu peu scrupuleux a usé et surtout abusé de sa position pour taper dans la caisse, sans vergogne. On ne sait pas si les sommes indûment perçues seront remboursées, mais on peut raisonnablement imaginer que ce sera absorbé par l’indemnité de fin de contrat. Si ce n’est pas le cas,la perte sera totale pour les cotisants dont, il faut bien le dire, tout le monde semble se contrefoutre ici. Et si c’est le cas, il n’est même pas impossible d’imaginer que l’indemnité sera amplement suffisante et que notre indélicat fraudeur pourrait en ressortir avec un joli bénéfice. Tout ceci est délicieux.
Le scandale ne s’arrête pas là puisqu’il faut aussi noter qu’il a aussi utilisé, sans la moindre honte, le règlement interne à l’encontre de celui qui l’a dénoncé, pour le faire virer. On ne saura pas qui, du fraudeur ou de l’institution, a été le plus zélé à couvrir l’affaire – qui pour rappel s’est déroulée en 2013 – et éviter que tout ceci ne s’ébruite, mais on comprend le niveau de corruption et d’immoralité qui doit régner dans l’établissement pour qu’une telle manœuvre puisse s’opérer et que tout ceci reste à peu près secret jusqu’en 2016, plusieurs années après.
Le scandale atteint un niveau supplémentaire puisque, non content d’avoir joué le système contre lui-même, notre fraudeur a même fini par toucher des indemnités pour son brillant parcours.
Vous l’avez compris : nous avons ici un magnifique exemple de dévoiement total d’une fonction pour se servir de tous les avantages qu’elle procure, bien au-delà de tout ce que la décence permet d’imaginer. De près comme de loin, l’attitude des protagonistes de l’affaire, tant côté fraudeur que côté Pôle Emploi, démontre une hontectomie assez typique … des politiciens.
Oui, tout ceci n’est pas sans évoquer un précédent les concernant directement. Reportons nous il y a quelques mois, un an même avant que cette affaire ne fasse les choux-gras du Canard Enchaîné, et souvenons-nous de mars 2015, où on apprenait que les parlementaires venaient d’adopter (à l’unanimité, comme de bien entendu) un texte de loi prévoyant d’élargir les modalités d’indemnisation et de reclassement des élus en fin de mandat ou battus aux élections.
Et ceci n’est pas sans évoquer non plus le cumul des mandats dans lequel s’illustre assez régulièrement nos politiciens (coucou Cosse, coucou le Drian, coucou tant d’autres)…
Alors, oui, bien sûr, il y a une petite distance entre notre fraudeur patenté et nos habiles législateurs en culotte courte. Cette différence essentielle entre le premier cas et le second est bien sûr le couperet de la loi : notre fraudeur agit en parfaite illégalité pour commettre son forfait, et utilise ensuite la loi dans toute son extension pour réduire sa responsabilité, voire récupérer une belle mise au passage. Le second, le législateur, montre en revanche une bien meilleure compréhension du système puisque tout ce que les députés ont fait reste parfaitement légal, mais fournit in fine une belle « indemnité de licenciement » à ceux qui viendraient à perdre leur poste devant les urnes.
Autrement dit, s’il y a différence de légalité, il n’y a pas fondamentalement de différence de moralité entre les deux comportements qui reviennent, tous les deux, à commettre un acte simple, égoïste et bien compris : taper dans la caisse.
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