Les Turcs avaient pratiquement atteint, le 15 mars, Afrin encerclée, après une campagne impunie commencée le 20 janvier, par un franchissement de la frontière syrienne. Ceci n’est pas seulement contraire au droit international, mais aussi aux principes du kémalisme, fondateurs de la république turque.
À l’heure où ces lignes sont écrites, le 17 à midi, on peut comptabiliser les civils tués, les innocents massacrés, les hôpitaux bombardés. Une polémique sinistre oppose, bien sûr, les sites d’information kurde et le gouvernement d’Ankara. Celui-ci, selon habitude, s’attache, à la fois, à nier, à minimiser, et, en même temps, à justifier les crimes commis. Un siècle après le traité de Sèvres de 1920, qui accordait un État à ce peuple de 40 millions d’hommes, de femmes et d’enfants, les Occidentaux abandonnent, une fois de plus, non seulement les Kurdes, mais, dans ce petit refuge qu’était le Rojava, tous ceux qui se sont ralliés à leur constitution fédératrice.
Ce scandale n’est guère dénoncé, en France, que par une poignée de militants de la Liberté.
La question se pose donc désormais : Où va Erdogan ? Question subsidiaire : jusqu’où ira-t-il ?
Or, on s’expose à ne pas comprendre la situation actuelle du Proche Orient si l’on ne considère pas la transformation et le rôle de la Turquie. Recep Tayyip Erdogan, son président, a pu préciser sa conception à cet égard, le 3 mars, en déclarant que : “sans le consentement de la Turquie, aucune mesure ne peut être prise en Méditerranée orientale.”
En quelque 15 ans, ce pays, officiellement encore candidat à l’Union européenne et allié de l’OTAN, a subi une évolution considérable.
En 1998, par exemple Nicole Pope, correspondante du Monde à Istanbul, et son mari Hugh, publiaient en anglais un livre qui fit autorité, et sera réédité en poche, sur “La Turquie dévoilée, une Histoire de la Turquie moderne”. Dans les années 1960, en France, tout le monde lisait dans le même sens la biographie de Mustapha Kémal par Benoist-Méchin, qui développait l’idée d’une Turquie désormais laïque et occidentale.
Aujourd’hui, il y aurait sans doute lieu de parler plutôt d’une Turquie “revoilée”.
Nous avons pu assister en effet à un retournement complet.
Il s’est effectué sous l’égide de l’actuel président Reccep Tayyip Erdogan. L’ascension de celui-ci a commencé par sa victoire aux élections municipales d’Istanbul de 1994. Il gouverne effectivement le pays depuis 2003, et s’est fait élire en 2014 président de la république aux pouvoirs renforcés.
Actuellement son parti, l’AKP, parti de la justice et du développement, dispose d’une majorité parlementaire. Il a reçu le soutien du parti nationaliste MHP, les Loups Gris.
Plusieurs composantes caractérisent cette coalition désormais clairement islamo-nationaliste et on se prive d’une partie de la grille de compréhension si on ne prend pas en compte l’une des motivations qui inspirent le régime d’Erdogan, à savoir :
– une personnalité autoritaire évidente, qui a transformé l’ancien allié des libéraux, en quasi-dictateur
– un pari sur le développement économique
– un lien opaque avec l’économie parallèle
– une fidélité aux réseaux les plus durs de l’islam sunnite
– une volonté d’éradiquer toute forme de minorité, kurde ou alévie
– une habileté diplomatique conforme aux traditions du pays
– un conspirationnisme qui s’exprime dans tous ses discours
– une rupture avec les États-Unis et, plus encore, avec Israël
– une nostalgie désormais explicite de l’empire Ottoman, y compris dans ses aspects qui nous semblent les plus négatifs.
Ira-t-il jusqu’au bout de son chemin ?
Nous essayerons d’en débattre à l’occasion de notre conférence du 22 mars.
> Jean-Gilles Malliarakis anime le blog L’Insolent.