Depuis des mois, nous étions inquiets : que devenait Najat Vallaud-Belkacem, mascotte du gouvernement, icône vivante de la diversité, porte-drapeau LGBT ? Pas de déclaration tonitruante du genre « il faut dégraisser le mammouth », pas de pompeuse « refondation de l’École » à la sauce Peillon (au fait, comment va-t-il ?), même plus de promotion de la théorie du genre, de « Zazie et son zizi » ; rien de rien. Tout juste était-on rassuré en la voyant, au JT de 20 heures, suivre son Don Quichotte de Premier ministre, fidèle comme une ombre, col Claudine et sourire impeccables.
La fin de nos angoisses est arrivée comme une hirondelle au printemps : Najat Vallaud-Belkacem travaillait. Elle travaillait dur-dur et dare-dare à une… réforme. La réforme du collège. Sa réforme — seul ce pauvre Hamon n’a pas eu le temps d’en pondre une — Najat Vallaud-Belkacem nous la vend aujourd’hui comme « un acte de confiance vis-à-vis des enseignants ». Najat Vallaud-Belkacem fait tellement confiance aux « enseignants » (nous préférons, nous, les appeler « professeurs ») qu’elle leur refuse toute revalorisation de leur maigre pouvoir d’achat et qu’elle a applaudi des deux mains quand son président de la République a supprimé la défiscalisation des heures supplémentaires qui permettaient à beaucoup de boucler des fins de mois de plus en plus difficiles.
“La ministresse ne s’arrête pas à ces vétilles, elle vise haut, regarde loin, elle a de grandes ambitions pour les smicards noirs de la République.”
Mais la ministresse ne s’arrête pas à ces vétilles, elle vise haut, regarde loin, elle a de grandes ambitions pour les smicards noirs de la République : elle veut révolutionner leurs pratiques pédagogiques et remotiver les élèves qui, elle l’a longuement expliqué, s’ennuient. Pourtant son ami lyonnais, l’écolo-gauchiste Philippe Meirieu, alias super-pédago, règne en maître sur les soi-disant « sciences de l’éducation » depuis trente ans et on voudrait nous faire croire que les élèves s’ennuient ! Comment est-ce possible ?
La ministresse a alors sorti son bréviaire pédagogiste et a trouvé la réponse : les EPI. Si vous avez en tête un champ de maïs ou une rébellion capillaire vous n’y êtes pas du tout : il s’agit des « enseignements pratiques interdisciplinaires ». Si l’interdisciplinarité n’est pas en soi absconse, les thématiques choisies, boboïdes et bien-pensantes comme l’inoxydable « développement durable », ne sont pas franchement de nature à réveiller les élèves. Pour réveiller les élèves, la ministresses propose donc de s’amuser : les enseignements doivent être ludiques. Les super-pédagos incitent les professeurs à rompre avec le travail sérieux, à maintenir l’enfant dans un monde ludique, enchanté, le plus loin possible de celui des adultes dont on apprend à se méfier, en particulier des hommes, or, « il est parfaitement clair que cette méthode cherche délibérément à maintenir, autant que possible, l’enfant plus âgé au niveau infantile. Ce qui précisément devrait préparer l’enfant au monde des adultes, l’habitude acquise peu à peu de travailler au lieu de jouer est supprimée au profit de l’autonomie du monde de l’enfance. […] Cette façon de tenir l’enfant à l’écart est artificielle, car entre enfants et adultes elle brise les relations naturelles qui, entre autres, consistent à apprendre et à enseigner, et parce qu’elle va en même temps contre le fait que l’enfant est un être humain en pleine évolution et que l’enfance n’est qu’une phase transitoire, une préparation à l’âge adulte. » (1)
Il y a fort à parier que ces EPI (20 % du temps scolaire tout de même de la 5e à la 3e) seront une usine à gaz de plus, sur le modèle des TPE (travaux personnels encadrés) de 1ère, qui ennuient tout le monde et se résument, dans neuf cas sur dix, à de médiocres exposés copiés-collés de Wikipedia. Beaucoup d’ailleurs pensent que Najat Vallaud-Belkacem n’a pas fait mieux que les ados en copiant les « itinéraires de découverte » mis en place par Jack Lang en 2002 et qui ont largement échoué.
“La chance pour Mme Belkacem, c’est qu’elle aura quitté depuis longtemps la rue de Grenelle quand les premiers bilans seront tirés de ces nouveaux errements.”
Autre nouveauté présentée comme une révolution : l’apprentissage d’une deuxième langue dès la classe de 5e. Très utile en effet pour des enfants qui, grâce aux méthodes d’apprentissage de la lecture et de l’écriture défendues par la ministresse, sont, pour un nombre toujours croissant, illettrés. L’urgence n’est-elle pas, d’abord, de maîtriser sa langue maternelle et, éventuellement, une langue étrangère (prioritairement une langue internationale comme l’anglais et l’espagnol). L’urgence n’est-elle pas de revaloriser la dotation horaire pour les langues et leur coefficient au baccalauréat ? Complètement à rebours de ce que fait Najat Vallaud-Belkacem, il faut dispenser les élèves en difficultés de l’apprentissage — totalement inutile et chronophage — d’une seconde langue et réaffecter le temps économisé à la maîtrise du français et de la LV1.
Bref, tout cela fleure bon l’amateurisme, le pédagogisme et la démagogie. Comment croire une seconde qu’une réforme faite sans concertation avec les professeurs puisse être bonne pour les élèves ? La chance pour Mme Belkacem, c’est qu’elle aura quitté depuis longtemps la rue de Grenelle quand les premiers bilans seront tirés de ces nouveaux errements. De toute façon, cette énième « réforme ambitieuse et pragmatique » ne s’attaque à aucun des vrais problèmes de l’École, à commencer par ce collège unique, qui avec des résultats pitoyables malgré les sommes astronomiques englouties, est vraiment unique… au monde. Elle ne s’attache pas à corriger les inégalités qui deviennent criantes au collège entre les enfants de privilégiés (et notamment ceux des socialistes bobos) et les enfants des classes laborieuses. Non pas en « donnant plus à ceux qui ont moins et moins à ceux qui ont plus » selon la vieille doxa socialiste totalement inopérante, mais en réinstaurant l’ordre, le mérite et le savoir (honnis chez les socialistes) dont ont d’abord besoin les plus fragiles comme l’ont montré des auteurs lucides comme Brighelli ou de Tocquesaint.
> Arnauld Cappeau est l’auteur de Le chienlit, c’est maintenant !, Edilivre, 2014
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