Le Carême a démarré la semaine dernière dans une certaine indifférence médiatique. Le «conseil des sages de la laïcité», nommé en janvier par Jean-Michel Blanquer, demande au ministre de « développer l’enseignement du fait religieux» à l’école et d’en faire une priorité. Par ailleurs, notre président Macron a l’ambition de réformer l’islam de France. Une occasion de contribuer au dialogue entre catholiques et musulmans en lisant ce texte d’Annie Laurent, docteur d’État spécialiste du Moyen-Orient, sur les différences entre le Carême et le Ramadan :
L’homme étant âme et corps, l’âme a besoin des actes et des attitudes du corps pour s’engager. Cette réalité se vérifie notamment dans le sens à donner au jeûne que pratiquent chrétiens et musulmans. De profondes différences existent pourtant à ce sujet entre le Carême et le Ramadan, aussi bien quant à la forme des observances religieuses qui y sont requises que quant à la signification spirituelle de ces périodes.
Pour le Coran, la prescription du jeûne durant le mois de Ramadan (neuvième de l’année lunaire musulmane) émane de Dieu Lui-même (…) Le Dieu du Coran précise les modalités de ce jeûne : « Mangez et buvez jusqu’à ce que se distingue pour vous le fil blanc du fil noir, à l’aube. Ensuite, faites jeûne complet jusqu’à la nuit » (Coran 2, 187). Il s’agit, du lever au coucher du soleil, de s’abstenir de toute consommation de nourriture et de boisson, y compris de la moindre goutte d’eau, de tabac et de relations sexuelles, sous peine de « rupture illicite du jeûne ». (…)
Dès le coucher du soleil, tous les interdits cessent. Les musulmans se retrouvent alors pour « rompre le jeûne » autour d’un repas festif, l’iftar, auquel ils convient leurs parents, leurs proches et leurs amis (y compris des non musulmans). La fête peut durer tard dans la nuit, la nourriture est souvent abondante et comporte des mets de choix. Les musulmans prennent par ailleurs une collation tôt le matin, avant le lever du jour.
Les chrétiens sont, eux aussi, invités à jeûner durant le Carême, mais ce jeûne est une loi de liberté. La seule prescription formelle concerne le Mercredi des cendres et le Vendredi saint au cours desquels le jeûne est prescrit, ainsi que l’abstinence de viande tous les vendredis de Carême. Pour le reste, les chrétiens sont appelés à toutes les privations que leur conscience leur indique devant Dieu : l’alimentation et le tabac, bien sûr, mais aussi toute autre privation (sorties, télévision, cinéma, lectures, etc.) afin de « s’établir avec foi dans une attitude d’humilité pour accueillir l’action de Dieu et se mettre en sa présence » (Vocabulaire de théologie biblique de X.L. Léon-Dufour p. 609) et de laisser plus de place à la prière et à l’attention aux autres. En outre, la sobriété est requise et il n’est pas question de compenser le soir ce dont on s’est privé durant la journée.(…)
Le Ramadan manifeste la solidarité des membres de l’Oumma, la communauté des croyants. Celle-ci s’accompagne d’une surveillance étroite de chaque musulman. C’est pourquoi le Ramadan est le « pilier » le plus suivi. Même des musulmans non croyants jeûnent sous la pression sociale de leur entourage [voire de la police]. Cette surveillance s’exerce aussi dans les quartiers de villes françaises à forte concentration islamique. (…)
A l’inverse, le chrétien est appelé à jeûner dans le secret et à se comporter aux yeux du monde comme s’il ne jeûnait pas « pour que ton jeûne soit connu, non des hommes, mais de ton Père qui est là dans le secret ; et ton Père, qui voit dans le secret te le rendra » (Mt 6, 16-18).(…)
Dans le Ramadan, l’accent est mis sur l’exercice de la volonté et l’obéissance à Dieu qui en a commandé l’observance. Mais cet ordre est dépourvu de toute signification autre que la soumission qui est le sens même du mot « islam ».(…)
Le Carême est une réalité avant tout spirituelle et personnelle. C’est le temps du combat pour purifier l’âme, le temps durant lequel l’homme est invité à se souvenir de son état de pécheur, de sa vulnérabilité aux tentations. Il n’est en rien un exercice ascétique ou méritoire, mais un acte d’humilité de l’âme, un acte d’abandon confiant en l’amour de Dieu et en sa Parole. A Satan venu le tenter après un jeûne de 40 jours, le Christ répond : « Ce n’est pas de pain seul que vivra l’homme, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (Dt 8, 3 et Mat 4, 4). Autrement dit, le Carême est entièrement tourné vers la Semaine sainte et Pâques, le mystère de Dieu fait homme, « mort pour nos péchés et ressuscité pour notre justification » (Rm 4, 25).
Source : La Petite Feuille Verte de l’Association Clarifier du 9 mars 2013 (merci à EVR).
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