Et voilà, la question est posée, en toute décontraction : et si vous achetiez une maison mais pas le terrain sur lequel elle se trouve ? Et si vous profitiez de la magnifique aubaine que constitue les petits changements dans le droit de propriété introduits par la dernière trouvaille législative des députés Lagleize et consorts ?
J’avais, en novembre, évoqué la question en constatant, effaré mais lucide, que l’Etat entendait décidément ne surtout pas laisser l’immobilier se débrouiller sans une nouvelle intervention de sa part. Cette fois-là, il s’agissait, au prétexte de vouloir résoudre le problème de la méchante spéculation foncière dans les « zones immobilières tendues », de rendre l’État propriétaire des terrains à bâtir pour une durée infinie, la propriété des murs restant seule au bâtisseur.
Comme prévu, la députaillerie n’a pas attendu pour voter cette proposition de loi en première lecture. La loi n’est pas encore effective, mais on sent déjà les sénateurs mûrs pour valider cette nouvelle intromission de l’État dans la propriété privée.
L’idée de départ repose sur le constat que les Français ont de plus en plus de mal à accéder à la propriété et propose donc que l’État devienne propriétaire (partiel ou total) du foncier afin d’empêcher la méchante spéculation sur les terrains. Eh oui : le marché immobilier français, déjà pas franchement libre (même vu de loin), mérite d’être encore plus corseté pour aboutir à une meilleure redistribution des terrains et des biens bâtis, c’est absolument évident.
Les lois économiques n’étant pas différente en France du reste du monde, on sait déjà comment l’ensemble va évoluer, peu ou prou : après une première phase peut-être euphorique plus ou moins longue pendant laquelle médias, politiciens et quelques vibrants témoignages de Français concernés se succéderont pour valider le concept, on commencera à se rendre compte que l’opération tourne au vinaigre.
On peut imaginer des myriades d’effets de bords liés à l’introduction du collectivisme et d’un bureaucratisme délirant bien français dans la propriété privée ; gageons que l’histoire sera inventive. Mais une chose est sûre : le contrôle des prix (puisque c’est de ça qu’il s’agit, in fine) et l’État n’étant absolument jamais parvenu à s’insérer dans un marché sans y apporter la ruine et la destruction de valeur, on peut raisonnablement parier à moyen et long terme sur une gigantesque destruction de valeur du foncier en France.
C’est extrêmement rassurant.
Et c’est d’autant plus rassurant qu’on sait que l’idée ayant germé, qu’elle existe maintenant sous forme de loi et qu’elle sera bientôt validée au Sénat, plus rien n’arrêtera les édiles, qui feront fort de, tous, proposer des dizaines, puis des centaines, puis des milliers de terrains à bâtir sur ce mode, imposant un loyer (en plus de la taxe foncière, notez bien) aux propriétaires du bâti. Loyer qui sera, on peut le garantir, calculé par des services de l’État, au début conciliant et attentif aux ressources de ses citoyens, puis rapidement, sans plus aucune considération pour ces derniers.
On sent d’ici frémir les imprimantes à cerfas, les fabricants de tampons et les ronds-de-cuir qui auront à gérer tout ça. Et si, en France, chaque service public se déglingue, il n’en est rien pour au moins ceux d’entre eux s’occupant de la collecte des taxes, amendes et ponctions dont l’automatisation croissante permet une efficacité redoutable.
C’est donc avec une régularité de coucou suisse que la ponction des loyers se fera et écrasera un jour toute dissidence. Là aussi, c’est garanti par nature. On remerciera donc les députés Modem qui ont proposé ce magnifique broyeur à citoyens, et tous les autres qui ont voté pour cette belle idée dont l’inévitable et misérable dérive bureaucratique prendra fort heureusement des années, utiles à ces responsables politiques pour – pas fous – s’évanouir bien vite dans la nature.
Au-delà de ces aspects peu réjouissants, notons tout de même l’idée de base qui consiste à remplacer un achat direct par une location plus ou moins longue durée. Cette idée n’est pas nouvelle, tant sur le foncier que sur d’autres marchés, et se développe dans deux cas : lorsque la mobilité, les changements d’habitudes et la souplesse des consommateurs grandit, ce qui permet à cette option de devenir économiquement intéressante, ou lorsque le consommateur s’appauvrit.
Ceci explique pourquoi l’introduction de la location de voiture sur de longues durées existe depuis déjà fort longtemps et pourquoi elle rencontre du succès : beaucoup d’automobilistes (ceux dont les besoins routiers sont notamment professionnels) ont fait un calcul économique et se sont naturellement portés vers cette solution pratique, d’autant que la bataille contre ces automobilistes fait maintenant rage à tous les échelons de l’État.
Il en va différemment pour l’explosion de durées délirantes de crédits immobiliers, avec l’apparition de crédit sur 30 ans (la durée moyenne actuelle d’un crédit immobilier en France étant déjà supérieure à 19 ans), et surtout l’extension de l’idée de location sur des domaines insoupçonnables comme les meubles pour son logement ou encore les matelas.
Le développement de ces marchés, s’il correspond effectivement à des besoins très spécifiques pour une petite part de la population, illustre aussi la paupérisation grandissante des classes moyennes françaises, même si cette dernière explication sera soigneusement évitée tant le pays continue de se murer lentement dans le déni.
Le plus consternant est, notamment dans le cas du foncier, que cette tentative de combattre la paupérisation des classes moyennes se fait par une collectivisation puis une redistribution massive. Ce qui revient réellement à une augmentation des impôts, des taxes et des prélèvements de l’État… Prélèvements en constante hausse, et qui nourrit cette paupérisation, notamment en retirant aux Français leur capacité d’agir efficacement et directement sur leur vie, sur leurs moyens de commercer, de faire des affaires, de vendre leurs savoir-faire ou leurs productions.
Encore une fois, le problème d’accès des classes moyennes à la propriété privée a été analysé de travers par la députaillerie française qui s’est donc empressée d’y apporter une solution boiteuse.
Arrêter l’appauvrissement des Français ne passe surtout pas par une nouvelle forme de redistribution ou de collectivisation de la propriété privée, mais au contraire par une diminution de l’intervention de l’État tous azimuts pour enfin le concentrer sur les rares domaines régaliens où il peut agir sans tout ruiner.
Malheureusement, on prend le chemin exactement inverse. C’est pourquoi ce pays est foutu.
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