Faut-il avoir peur de la Russie ? (2/3)

Faut-il avoir peur de la Russie ? (1/3)

La Russie a atteint partiellement ses objectifs en Ukraine. Sur le terrain, malgré les violations constantes du cessez-le-feu, la situation est plus ou moins stable. Kiev a perdu le contrôle de larges portions de son territoire et est militairement incapable de le reprendre. 15 000 rebelles tiennent en échec une armée ukrainienne de 50 000 hommes, mal équipée, peu professionnelle et largement démoralisée.

L’Occident a refusé de vendre des armes à l’Ukraine et toute aide militaire directe de l’OTAN à Kiev paraît exclue. L’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne est repoussée à 2020, et Dieu sait où en sera l’Union européenne dans cinq ans.

Moscou poursuit patiemment et prudemment sa stratégie de « guerre larvée » en Ukraine de l’Est, sans intervention directe, en fournissant aux rebelles des armes et le soutien discret de forces spéciales, tout en cherchant à réduire le niveau de tension avec l’Ouest et à obtenir la levée des sanctions. Dans ce conflit, c’est la Russie qui détient l’initiative car elle semble être la seule à avoir une véritable stratégie face à un Occident plutôt divisé.

L’enjeu ukrainien est capital pour la Russie. Dans la vaste plaine d’Europe orientale, privée de frontières naturelles, la Russie a besoin d’« Etats tampons » pour assurer sa sécurité. Ce rôle d’« Etats tampons » permettant à la Russie de mettre de la distance, entre son propre territoire et un éventuel ennemi, doit être assumé, dans la doctrine militaire de Moscou, par l’Ukraine et à la Biélorussie. Moscou considère la « profondeur stratégique » assurée par ces deux ex-Républiques soviétiques devenues des Etats indépendants en 1991, comme un élément essentiel de sa sécurité.

D’autre part, comme le soulignait Zbigniew Brzezinski dans son livre Le Grand Echiquier (1997), l’Ukraine est un enjeu capital pour la Russie également pour les raisons démographiques. Sans les 46 millions d’Ukrainiens, la Russie pourra toujours prétendre au statut d’un Empire, mais un Empire à prédominance asiatique, affirmait Brzezinski. En revanche, le retour de l’Ukraine dans la sphère d’influence russe donnerait à la Russie le statut d’une grande puissance sur le continent européen.

Pour cet ensemble des raisons, la Russie s’oppose à l’intégration de l’Ukraine dans les structures de l’U.E. et elle trouve totalement inacceptable une éventuelle adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. La véritable ligne rouge se situe bien là. L’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, serait probablement considérée par la Russie comme un véritable casus belli  et risquerait de déclencher une réaction violente de Moscou. Mais la question n’est pas à l’ordre du jour.

Au contraire, le bras de fer entre l’Occident et la Russie à propos du conflit ukrainien est en train de se desserrer. On est rentré dans une phase de désescalade car, après plusieurs mois de forte tension, tout le monde y trouve son intérêt. Plusieurs facteurs vont dans le sens de la désescalade.

L’Europe s’inquiète de l’instabilité des marchés financiers. Il est clair que la montée des tensions internationales perturbe et fragilise les marchés financiers. François Hollande vient de constater, à juste titre, (une fois n’est pas coutume) au sommet UE-Asie à Milan, que “les faiblesses” constatées en Europe et aux Etats-Unis tiennent d’abord à “l’instabilité de la situation internationale” liée aux crises en Ukraine et au Moyen-Orient. Le fantôme d’un possible retour de la crise de la dette souveraine de la zone euro hante les marchés financiers. La poussée de l’Etat islamique en Irak et en Syrie et l’alourdissement de la menace terroriste qui pèse sur l’Occident contribuent également à reléguer le dossier ukrainien au second plan.

Enfin, même si on en parle peu, l’Europe a une peur bleue d’une possible réduction de livraisons de gaz naturel par la Russie à l’Ukraine. L’hiver approche, et le gaz naturel est la principale source de chauffage en Ukraine. Kiev ne peut pas se passer de gaz russe. Le président Poutine, se servant habilement de l’arme énergétique, a récemment écrit une lettre aux dirigeants européens, les mettant en garde contre les conséquences économiques pour l’Europe de l’accord d’association entre l’U.E. et l’Ukraine.

Tout le monde sait qu’en cas de pénurie grave de gaz, les Ukrainiens n’hésiteront pas à se brancher sur les gazoducs qui vont vers l’Europe occidentale pour faire marcher leurs chaudières. Les caisses de l’état ukrainien sont vides et il est plus que probable que nous aurons à payer la facture de gaz de nos amis ukrainiens, en plus de la nôtre.

Par ailleurs, la tension entre la Russie et l’Occident et les sanctions contre la Russie ont eu pour conséquence le récent rapprochement entre Moscou et Pékin et la signature de plusieurs gros contrats entre ces deux pays, portant notamment sur les investissements chinois dans l’industrie pétrolière russe. La menace d’une éventuelle alliance sino-russe a toujours fait part des pires cauchemars pour l’administration américaine et nous pouvons parier que Washington fera tout pour l’éviter.

Le ministre des Affaires étrangères de Russie, Serge Lavrov, a proposé ces derniers jours de remettre à zéro les compteurs dans les relations entre Moscou et Washington, tout en accusant l’administration d’Obama d’être à l’origine de la montée des tensions entre les deux pays. Tout semble indiquer que nous nous dirigeons vers un relatif apaisement dans les relations entre la Russie et l’Occident. Même si nos médias bien pensants continueront à présenter le Président Poutine comme un personnage détestable et le pays qu’il dirige comme une réincarnation de l’Union Soviétique, les chancelleries occidentales prendront discrètement acte de la situation en Ukraine et passeront à autre chose.

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91 Comments

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  • brandenburg , 19 octobre 2014 @ 23 h 35 min

    L’Ukraine a toujours fait partie de la Russie qui est née de trois poles,la Principauté de Nijni-Novgorod,celle de Moscou et ce qu’on appelait “la rus de Kiev”.La rupture entre l’est et l’ouest s’est faite peu à peu à partir du schisme d’Orient,l’est devenant orthodoxe et pro-russe et l’ouest uniate soit rattachée à Rome et tournée vers l’occident.Ce problème a donc mille ans et ne peut etre résolu facilement.Par ailleurs l’ouest est aux mains d’oligarques milliardaires dont le Président actuel et aussi la “dame à la natte” qui est richissisme.Il n’est pas rare qu’une seule société possède 700 000 hectares d’une terre traditionnellement très fertile grace au tchernozium.Quant à la Crimée,elle a toujours fait partie de la Russie,le port d’Odessa ayant été construit par un français à la demande du Tsar,le Duc de Richelieu émigré et qui de retour en France fut un excellent premier des ministres de Louis XVIII.La solution n’est pas dans une guerre froide ou chaude attisée par les états désunis mais comme le voulait de Gaulle une Europe de l’atlantique à l’Oural et maintenant jusqu’au pacifique pour contrer la volonté hégémonique de la Chine et celle déclinante des états désunis.C’est difficile à admettre mais c’est la seule voie pour reconstruire une Europe qui a explosé au siècle dernier et qui reposerait sur des réalités- et pas des réveries- géographique,ethnique,économique et religieuse.

  • Colargol , 19 octobre 2014 @ 23 h 53 min

    Quand on parle d’alliance entre la Russie et L’Europe occidentale, il faudrait aussi ne pas oublier que les adeptes de la doctrine eurasiste sont nombreux au Kremlin et à la Douma.
    Les supporteurs d’Alexandre Douguine et des ses thèses refusent l’arrimage de la Russie à une Europe qu’ils considèrent appartenant à un monde ” Romano-Germanique” qui selon eux est incompatible avec le monde de la steppe et de la taïga.
    Ces gens qui se considèrent les héritiers à la fois des Cosaques et des Mongols sont bien décidés à venir en aide “fraternellement” et avec tous les moyens disponibles envers tous les russophones où qu’ils se trouvent, considérant qu’un russophone est obligatoirement un Russe qui n’aspire qu’à retourner dans le giron de la mère patrie.
    L’Europe de l’Atlantique à L’Oural, voire jusqu’au Pacifique, les eurasistes n’en ont cure, seul l’empire russe étendu aux frontières de l’ex-URSS leur importe.

  • kanjo , 20 octobre 2014 @ 1 h 10 min

    eh oh c’est pas Poutine qui a créé cette “formation”, ça existe aussi aux USA et sans doute aussi ailleurs.
    Quant à jouer publiquement aux putes, aller voir aux pays Bas, elles sont en vitrine.

  • brandenburg , 20 octobre 2014 @ 1 h 25 min

    Non!Les russes ne veulent plus des musulmans et ont tiré un trait sur les républiques musulmanes du sud de la Sibérie,leurs propres musulmans leur posant dèja trop de problèmes et ces pays ayant à leur téte des tyrans mégalomanes et islamiques.La Russie commerce simplement avec eux et souhaite éviter que des islamistes purs et durs soient à leur frontière ce qui exalterait leurs propres musulmans.

  • Robert Marchenoir , 20 octobre 2014 @ 1 h 26 min

    Ce que vous dites est faux, et de surcroît non pertinent.

    La Crimée elle-même n’est devenue russe qu’en 1784, soit avant-hier à l’échelle de l’histoire. Avant, elle était ottomane…

    Votre argument se détruit de lui-même, car si on admet qu’une nation a le droit d’annexer par la force un territoire qui lui a appartenu par le passé, alors Ankara aurait au moins autant de légitimité pour annexer la Crimée que Moscou, et peut-être même davantage.

    Rome et Athènes, parmi d’autres (donc des pays de l’OTAN…) auraient aussi le droit d’annexer la Crimée, puisqu’ils l’ont occupée bien avant les Turcs !

    Mais le problème n’est pas là et vous le savez très bien. Le problème est que la Russie a accordé son indépendance à l’Ukraine. Elle ne peut donc pas la lui reprendre. C’est aussi simple que ça.

    Ou alors, il faudrait que vous nous expliquiez que la France a le droit d’annexer l’Algérie à partir de demain matin, puisque l’Algérie, elle aussi, “a toujours appartenu à la France”… Je ne suis pas sûr, d’ailleurs, qu’on ne trouverait pas davantage d’Algériens que d’habitants du Donbass qui approuveraient ce choix, si on le leur proposait aujourd’hui par référendum…

    Modifier des frontières par la force, ça s’appelle une guerre d’agression et de conquête. Les nations occidentales se le sont interdit d’un commun accord depuis 1945. Poutine a pris la lourde responsabilité de transgresser cette règle, et de se mettre à dos de ce fait la plupart des pays du monde.

    Car dès lors que vous considérez comme légitime ce genre d’argument (nous possédions jadis ce territoire, ou sur ce territoire vivent des habitants originaires de notre pays), cela ouvre la voie à des centaines de conflits armés à travers le monde. Dont certains qui pourraient être au détriment direct de la Russie — je pense en particulier au Japon et à la Chine.

    De la part de l’extrême-droite ou des patriotes français, qui sont environ 100 % à s’opposer à l’immigration de masse, il est d’autant plus aberrant de soutenir Poutine dans cette revendication que si l’on admet ce motif, alors une bonne partie de la France pourrait être instantanément revendiquée par l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, le Mali, la Roumanie, le Sénégal ou les Comores — et je ne parle pas de l’Allemagne pour l’Alsace, l’Italie pour la Corse, l’Angleterre pour la Normandie, et ainsi de suite.

    Cela fait un bout de temps que les pays civilisés ne s’emparent plus des territoires de leurs voisins pour les annexer par la force. Poutine s’est mis, par cet acte, en dehors des nations civilisées.

    Sa prétention à prendre la tête d’une nouvelle Europe, ou de représenter je ne sais quelle troisième Rome, est particulièrement grotesque à cet égard. Quand on est européen, on n’annexe pas ses voisins. Les Russes le font, et en faisant cela ils se relèguent eux-mêmes au stade de populations orientales arriérées.

  • Robert Marchenoir , 20 octobre 2014 @ 1 h 45 min

    Ca dépend de ce que vous entendez par les Russes. Là encore, l’extrême-droite européenne se trompe lourdement quand elle s’imagine qu’une alliance avec Poutine serait à même de nous protéger de l’invasion musulmane.

    Alexandre Douguine, qu’on crédite de la fameuse thèse eurasiste et d’une certaine influence sur les conceptions de Poutine, a été l’un des responsables du parti national-bolchevique (qui a aujourd’hui changé de nom).

    L’un des dirigeants de ce parti, interviewé sur sa position vis-à-vis des musulmans de Russie, a tenu en gros les propos de Hitler : il a vanté la virilité de l’islam, les a considéré comme des alliés, etc.

    Certains des bataillons envoyés contre l’Ukraine étaient composés de musulmans qui revendiquaient leur combat au nom de l’islam.

    D’ailleurs, le drapeau du parti national-bolchevique rappelle furieusement le drapeau nazi : la seule différence, c’est que la crois gammée est remplacée par le marteau et la faucille…

    http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Evstafiev-neo-bolsheviks.jpg?uselang=fr

    Appeler son parti national-bolchevique signifie évidemment que l’on cherche à suggérer la proximité avec un certain parti national-socialiste.

    Comme quoi, la propagande du Kremlin selon laquelle l’intervention russe en Ukraine se fait au nom de la lutte anti-nazie est une inversion complète, un bobard propagandiste pur et simple. En fait, il y a davantage d’authentiques néo-nazis chez les nationalistes russes que chez les nationalistes ukrainiens…

  • Robert Marchenoir , 20 octobre 2014 @ 1 h 53 min

    “Quant à la Crimée, elle a toujours fait partie de la Russie,le port d’Odessa ayant été construit par un français à la demande du Tsar,le Duc de Richelieu émigré et qui de retour en France fut un excellent premier des ministres de Louis XVIII.”

    Merci de rappeler ce point d’histoire.

    Par conséquent, la France peut immédiatement revendiquer Odessa et sa région.

    En fait, les Mistral devraient partir sous commandement français pour reconquérir Odessa, dont la France a été honteusement spoliée…

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