Dans une mise-en scène, la lumière détient un rôle majeur. La nouvelle présidence n’est pas le passage de l’ombre à la lumière ainsi que Jack Lang décrivait l’arrivée de Mitterrand à l’Elysée, mais c’est un nouveau réglage des projecteurs. Sous Sarkozy, ils étaient puissants comme les sunlights du show-bizz, avec une poursuite braquée sur le personnage principal. Sous Hollande, les contrastes avaient disparu. C’était l’ère de la platitude. Le Président ne pouvait compter pour se distinguer que sur son contour, et il en manquait totalement. Avec Macron, c’est l’arrivée du clair-obscur dans tous les sens de l’expression. La première et longue marche du mandat, c’était au Louvre, demeure des grands peintres, et le Président passait de l’ombre de Louis XIV, de Napoléon… de Mitterrand et de sa pyramide à la lumière de l’estrade au son de l’hymne à la joie. Les contrastes étaient saisissants. L’homme seul, éloigné de la foule admiratrice, incarnait avec ostentation un pouvoir qu’il voulait relever de là où il était tombé. Personne ne percevait alors dans l’obscurité, en contrepoint, les deux menaces contenues dans cette chorégraphie. D’abord, la tendance manifeste à la mégalomanie, à la boursouflure théâtrale du « sacre » dont les images avaient été monopolisées par l’équipe du candidat. Après un chef d’Etat trop normal, le narcissisme et la surestimation de soi annonçaient un déséquilibre inverse. La musique enthousiasmante du grand compositeur allemand qui sert d’hymne européen cachait un autre risque, celui de n’appeler au redressement du pays que pour le voir fondre dans le métal liquide de l’Europe, et donc d’une Allemagne… où l’on parle anglais, à moins que ce ne soit turc.
La pensée du nouveau président est trop complexe pour être livrée à tout moment au peuple, ce peuple qui déteste les réformes parce qu’il ne les comprend pas. Complexe ? Vous avez dit complexe ? Certes, un homme qui pense une chose et son contraire, en même temps, est compliqué. Vouloir relancer l’économie française, son industrie peut-être, tout en paraissant obsédé par le réchauffement climatique auquel la France n’a qu’une part infinitésimale, et en laissant le médiatique Hulot affaiblir notre potentiel énergétique, ce n’est pas très cohérent. Mais, c’est le sens psychanalytique du mot complexe qui devrait être retenu. Adler parlait du complexe d’infériorité pour désigner le désir pathologique de surpasser les autres afin de surmonter le sentiment inconscient d’être inférieur. Il y a chez Macron des bouffées de provocation méprisante, des moments de survalorisation de son propre personnage, qui devraient inquiéter. Oser qualifier la démission retentissante du général de Villiers de « tempête dans un verre d’eau » est à la fois faux et inutilement blessant. Le fondement objectif de cette attitude ne repose sur aucun exploit, sur aucune réalisation personnelle, mais sur une élection par défaut. On retrouve ici le contraste : « A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ». Macron bénéficie surtout de la médiocrité de ses prédécesseurs, Chirac au dynamisme éteint, Sarkozy gesticulant plus qu’agissant face à une crise qu’on a tendance à oublier, et Hollande, sur lequel la douleur rend muet. Cet héritage avantageux lui permit d’affirmer,lors de son grand entretien réservé au Point, et sans aucune modestie, qu’il allait effectuer une révolution copernicienne et tourner la page de trois décennies d’inefficacité.
Faisons lui crédit du faible bilan du prédécesseur dont il a été le collaborateur dévoué presque jusqu’à la fin. Baisser la dépense publique, mettre fin aux ersatz des emplois aidés destinés à masquer les chiffres du chômage des jeunes, remplacer enfin le scandaleux tirage au sort par la sélection pour l’entrée à l’université, introduire la flexisécurité, alléger les charges des entreprises, remettre de l’ordre chez le « mammouth » de l’éducation dite nationale : autant de mesures que j’ai défendues durant mes mandats et qui sont les bienvenues, même si elles entraînent les réactions démagogiques habituelles d’une gauche irresponsable. Un certain nombre de cadeaux sélectifs vont composer un ensemble qui plaira à une partie de la population, les bénéficiaires des cadeaux. En revanche, on devrait s’inquiéter de la direction prise, de la logique qui préside à la démarche. La suppression de la taxe d’habitation pour 80% des contribuables sera compensée de quelle manière ? On peut craindre une hausse forcenée de la taxe foncière ou de la taxe d’habitation pour les 20% qui continueront à la payer. Ce sont d’ailleurs les mêmes, notamment s’ils sont retraités, qui renfloueront les caisses de l’Etat avec la CSG. Car, c’est l’Etat qui devra compléter la perte de ressources des collectivités locales, qui ne peuvent emprunter pour leur fonctionnement, contrairement à lui. On doit donc avoir le plus grand doute sur la diminution de la dépense publique et de la dette. On doit s’indigner de l’iniquité qui transforme le retraité aisé en cible, comme si le mérite d’une vie de travail et d’une épargne responsable ne devait pas être légitimement récompensé plutôt qu’appelé à un effort qui est déjà souvent consenti dans le cadre familial.
Plus globalement, on doit percevoir dans le choix de la CSG, automatique sur les revenus français, plutôt que de la TVA qui touche la liberté du consommateur, français ou étranger, comme dans la volonté de remplacer les cotisations par de l’impôt, une politique qui déresponsabilise les individus, qui ôte à la population, et à ses représentants dans les organismes paritaires, la maîtrise de la protection sociale. Cette stratégie est « beveridgienne », non « bismarckienne ». Elle n’est absolument pas libérale, mais social-démocrate. Si l’on souligne en revanche le « libéralisme » sociétal de M. Macron notamment à propos de la procréation médicalement assistée, on a avec lui l’arrivée au pouvoir de ce que Tocqueville considérait comme le plus grand risque des démocraties, le « despotisme » doux et prévoyant. Que des politiciens de « droite » puissent le soutenir dit assez leur inculture ou leur malhonnêteté intellectuelle !