La manière dont on nous ventera la prochaine réforme sociétale est prévisible. Le débat et la position des acteurs peuvent donc déjà être écrits.
Voici un article politique d’anticipation, à peine politique fiction, de ce qu’on pourra lire dans la presse mainstream, avec la manière journalistique subtilement biaisée de présenter les enjeux. Il illustre l’effet de cliquet des mesures sociétales, ainsi que la naïveté ou mauvaise foi de nombreuses parties prenantes. Tout est inventé mais tout est plausible. Saurez-vous trouver les sophismes ?
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Armande Bonnefoy pour France Matin.
27 Juin 2022.
Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) se prononce en faveur de la GPA de générosité, première des revendications des communautés LGBT depuis l’ouverture de la PMA pour toutes en 2017. Cette ouverture des droits permettrait de mettre fin à l’inégalité entre sexes devant la procréation : les femmes, seules ou en couple homosexuel ou hétérosexuel, ont accès à la PMA, tandis que les hommes en couple homosexuel ou seuls n’ont que la possibilité de l’adoption, qui reste très contrainte à l’échelle nationale ou internationale (où les couples d’homme sont discriminés à l’adoption par une majorité de pays).
Cet élargissement des possibilités de procréation non conventionnelle recueille l’avis favorable de 68% des Français, contre 45% en 2019.
En revanche, le CCNE se prononce contre la GPA rémunérée, qui ferait encourir des risques de dérives marchandes et notamment des risques d’exploitation vis à vis des femmes en situation de vulnérabilité financière. 62% des Français sont également opposés à la GPA dite marchande.
Oppositions politiques
Le LR Xavier Bertrand s’oppose à la légalisation de la GPA, « sous n’importe laquelle de ses formes », mais ne souhaite pas revenir sur la PMA qui « n’impose pas une monopolisation du corps de la femme comme la GPA ».
Le président du groupe LR UDI à l’Assemblée Nationale, Franck Riester, a présenté également des réserves sur l’ouverture de la GPA, mais propose néanmoins de simplifier et développer les procédures d’adoption, envisageant une clause prioritaire pour les couples d’hommes pour les enfants nationaux, étant donné que le marché international de l’adoption leur reste largement fermé.
La Manif pour Tous a réitéré son opposition à la reconnaissance de la GPA de générosité, « une ligne rouge qui ne devra pas être franchie », selon ses organisateurs.
Le bureau des Républicains a en revanche réaffirmé sa volonté de ne pas revenir sur la PMA, qui, « elle, reste une procédure ouverte à tous les couples » contrairement à la GPA qui ne serait qu’ouverte aux couples d’hommes.
« Faux », souligne l’association Inter-LGBT luttant pour les droits des homosexuels. « La GPA pourrait concerner un couple hétérosexuel dont la femme ne souhaite pas, pour des raisons professionnelles, porter un enfant tout de suite, ou une femme qui serait devenue infertile. Nous ne demandons pas de droits spécifiques. »
Le Front National, défavorable à toute réforme en faveur de la GPA, n’appellerait pas à manifester. « On s’est déjà positionné contre le mariage gay et la PMA, aujourd’hui largement approuvés par les Français. Se braquer sur une question sociétale, c’est entrer dans le jeu de ce gouvernement qui en profite pour finir de détricoter le Code du Travail et précariser les catégories populaires françaises » indique une source interne, proche de Philippot.
Certaines voix à gauche expriment des réticences : « L’ouverture de la GPA pourrait être porteuse de graves dérives consacrant la marchandisation du corps féminin » souligne Dominique Potier, membre des Poissons Roses au sein du Parti Socialiste, qui fustige la GPA comme produit du capitalisme ultralibéral. Concernant la reconnaissance des droits LGBT, il rétorque : « l’égale dignité des couples homosexuels a été consacrée par le mariage pour tous, et l’égalité entre toutes les femmes a été atteinte avec la PMA, mais autoriser la GPA serait dangereux pour les enfants. »
Réponse cinglante de l’Inter-LGBT : « Ce sont les mêmes qui s’opposaient hier au PACS, puis au Mariage pour Tous, puis à la PMA, qui aujourd’hui disent ne s’opposer qu’à la GPA, comme ils se sont opposés à tous les droits successifs des LGBT ». « Difficile de croire à la sincérité de leur position, qui relève plutôt d’une nouvelle forme d’homophobie plus acceptable socialement. » L’association Le Refuge qui accueille des homosexuels a noté une augmentation de 18% des signalements d’attaques contre les hommes gays depuis le début du débat sur la GPA.
Feu vert de la majorité présidentielle
« Les enfants de la GPA existent déjà, l’interdiction actuelle prive de droit les femmes partenaires, notamment dans les pays tiers, et prive de droit les enfants issus de ce mode de procréation » précise François de Rugy, rapporteur de la Commission des affaires sociales de l’Assemblée Nationale. « Le gouvernement cherche avant tout à protéger les personnes impliquées dans cette démarche : les enfants et les femmes ».
La ministre des Femmes, Marlène Schiappa, promet un projet de loi pour la nouvelle législature. « Cette mesure se situe dans une logique d’émancipation de la femme. Une femme peut désormais congeler ses ovocytes pour décider du moment de sa grossesse, grâce à la dernière loi de bioéthique en faveur des droits et de la promotion de l’égalité de carrière entre hommes et femmes. Pourquoi ne pourrait-elle pas choisir la grossesse sans être contrainte à la parentalité ? ».
« Aujourd’hui, les opposants agitent les peurs en brandissant la menace de la « GPA marchande » » note le référent En Marche pour les questions d’égalité de genre. Un projet dont il n’est pourtant pas question au gouvernement : « La GPA que nous voulons promouvoir est une GPA éthique. Il s’agit de donner un cadre législatif pour éviter les GPA clandestines, où les droits sociaux des femmes partenaires ne sont pas assurés. La GPA ne pourra pas faire l’objet de transaction, il faut donner des règles de droit pour l’encadrer ». Une gratuité assurée par une prise en charge complète par la sécurité sociale ? Une solution que redoute la droite, qui alerte sur le danger de dégradation des soldes budgétaires de la sécurité sociale.
D’autres chantiers sociétaux ouverts
D’autre part, le CCNE est amené à se prononcer sur l’opportunité de reconnaître juridiquement la polyconjugalité dans le cadre d’un contrat de cohabitation. Première reconnaissance de la réalité du polyamour ? « Là aussi, il y a beaucoup de fantasmes », constate Monique Deboeur, membre du Conseil Economique Social et Environnemental et psychanalyste. « Beaucoup la voit comme une autorisation de la polygamie inégalitaire, dans une image orientalisante, voire carrément raciste, des patriarches musulmans avec plusieurs femmes, alors qu’en fait, il s’agit d’inventer un contrat unique où tous les conjoints expriment leur consentement simultanément ». La société est-elle prête à accueillir ces nouvelles formes de vies communes ? « Le combat pour l’émancipation et l’égalité des personnes LGBT a été de longue haleine et continue encore aujourd’hui. Il y a un travail de pédagogie à réaliser pour faire accepter dans l’opinion les personnes non monogames. Le modèle de la famille bigame hétérosexuelle autoprocréative n’a plus de normativité dans nos sociétés plurielles. Il n’existe pas « la » famille, mais des familles, qui possèdent le droit de choisir leur modalité de mise en couple et de conception des enfants ». Le président Macron, fraîchement réélu, a toutefois indiqué qu’il n’impulserait aucune réforme sur ce sujet sans avis favorable du CCNE.
Dossier :
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