Le thème des violences policières aux Etats-Unis est actuellement surexposé. Il est pratiquement impossible de chercher à s’informer sur « les policiers aux Etats-Unis » par internet sans que le lien avec la violence policière ne s’impose. Cela paraît aller de soi après quelques faits divers qui ont montré des noirs abattus brutalement par des policiers. Les videos en ont été diffusées dans le monde entier. Devant une telle évidence et le mouvement d’opinion puis de protestation qu’elle déclenche, une impression de déjà-vu éveille cependant le sens critique. Et s’il y avait de la manipulation là-dessous ? L’insistance des médias, la répétition de l’information suscitent l’idée d’une polarisation sur ce type d’événements. Certes, le choc des images, la disproportion de la réaction policière semblent le justifier, mais on reconnaît aussitôt un scénario auquel nos médias nous ont habitué.
C’est celui de l’indignation. Devant l’injustifiable, la conscience de tout un chacun se révolte. Un mouvement spontané appelle à s’identifier à la victime et suscite la compassion. Lorsque des manifestations s’organisent pour protester contre ce qui est ressenti comme une injustice, un fort courant de l’opinion publique les soutient, tant il paraît clair de distinguer victimes et coupables. Les conséquences politiques peuvent ensuite être d’importance variable, mais elles consistent toujours à déstabiliser la société, à provoquer un changement de mentalité, à affaiblir une résistance, voire à renverser un régime. En 2004, j’avais été témoin, et indirectement victime, d’une opération de ce genre. La fausse agression « homophobe » contre Sébastien Nouchet avait amené le pouvoir « de droite » de l’époque à intégrer l’homosexualité parmi les situations à protéger contre les discriminations par le biais de la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité. L’Emotion avait mobilisé Chirac et Raffarin, et fait modifier le Projet de Loi qui passait au Sénat. L’homophobie est depuis devenu un mot-tabou qui freine toutes les résistances sociales face à la reconnaissance des comportements homosexuels et aux revendications de la « communauté » qui s’arroge le monopole de les représenter. La victimisation légitime le droit, la compassion inhibe la réticence, l’indignation exécute le coupable ou l’opposant qui en devient le complice. Lorsque j’ai à raison rappelé qu’il n’y avait pas eu de déportation homosexuelle en France non annexée durant la dernière guerre, parce que la répression nazie des homosexuels n’avait pas du tout les mêmes motivations que celle à l’encontre des Juifs, c’est moi qui ai été exécuté… pour avoir dit la vérité. La Justice l’a établi en condamnant Eva Joly pour diffamation, mais c’était trop tard. La manipulation médiatique en faveur des revendications du groupe de pression avait parfaitement réussi.
Cette stratégie peut être employée à différents niveaux. Elle peut déstabiliser des Etats. On se souvient de la mise en scène macabre de Timisoara qui avait justifié la parodie judiciaire qui aboutit à la liquidation des Ceaucescu. Dans l’éclatement de la Yougoslavie, les Serbes jouèrent systématiquement le rôle des brutes face aux bons, Croates et surtout musulmans, que soutenaient les Occidentaux. La place Maïdan de Kiev a été le théâtre d’un scénario du même genre. La répétition a le mérite de soulever le doute, de rendre plus soupçonneux sur la réalité des faits, sur l’objectivité de l’information. Lorsque celle-ci conduit à favoriser un changement politique, il est prudent de s’interroger sur le bénéficiaire de l’opération et sur sa capacité d’avoir pu accentuer l’importance ou déformer le sens des événements.
Les violences policières contre les noirs aux Etats-Unis correspondent assez bien à ce procédé. Le choc des images de noirs apparemment inoffensifs abattus sans ménagement par des policiers provoque la stupeur et accrédite l’idée que, dans un pays toujours soumis à la ségrégation, la police blanche est raciste et ne fait aucun cas de la vie des gens de couleur. Un mouvement, comme par hasard, s’empare du sujet, et le slogan « Blacks Lives Matter » devient le vecteur d’une revendication de masse unanimement partagée dans le monde. Le Président Obama qui s’apprête à entrer en campagne pour soutenir Hillary Clinton s’empare du sujet en dénonçant un grave problème. L’électorat noir sera décisif pour la candidate et contre Trump. Plutôt que de s’inquiéter de la situation sociale des noirs qui n’a guère évolué sous ses mandats, il lui est plus habile de disqualifier le partisan de la Loi et d’un ordre injuste. Or, lorsqu’on s’écarte des événements montés en épingle pour aller vers les chiffres, la réalité apparaît sous un autre jour. Le problème américain n’est pas celui de la violence policière, mais bien celui de la violence des noirs. 90% des noirs tués le sont par d’autres noirs. Pratiquement, un meurtre sur deux aux Etats-Unis est commis par un noir. Un noir a donc de cinq à dix fois plus de risques de se trouver en face d’un policier qu’un blanc. Le policier a aussi sans doute plus d’appréhension dans ce type de situation. Néanmoins sans distinction de race, dans les deux cas il y a 3% de personnes tuées par les policiers.
Que l’interprétation des faits serve des calculs politiques à court terme ne fait guère de doute. En revanche, on peut s’inquiéter davantage des conséquences à plus long terme de la manipulation. En réaction à la mort d’Alton Sterling et de Philando Castile, un ancien militaire noir a assassiné cinq policiers à Dallas. Deux autres policiers ont été tués dans le Michigan. Le mouvement Blacks Lives Matter n’est pas purement protestataire et non violent. Il a pour effet d’exacerber les tensions raciales plus que de les dépasser comme était parvenu à le faire Martin Luther King. La culpabilisation désarmante de l’ordre, la légitimation au moins implicite de la violence contre ses représentants risque d’accentuer les difficultés des quartiers majoritairement habités par des noirs. La délinquance pourra s’y consolider. Les problèmes sociaux ne seront en rien résolus par l’inaction de la police. Tout se passe comme si le but était la déstabilisation plus que la justice. Le problème n’est pas la violence policière, mais la violence de la société américaine et l’état dans lequel se trouve la « communauté » noire, en partie reléguée, victime d’un délabrement familial, et qui connaît une situation criminogène évidemment supérieure à la moyenne nationale. C’est cette question-là qui est prioritaire, mais le fait de pointer la violence policière permet de ne pas la résoudre et même d’accentuer les affrontements.
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