Le 18 Juin 1940, Charles de Gaulle, n’est plus sous-secrétaire d’Etat à la Défense Nationale depuis deux jours, et ne l’aura été que dix, quand, dans la débâcle, Paul Reynaud fit appel à ce général, colonel promu le 27 Mai parce qu’on lui avait confié la 4e division cuirassée, et qu’il avait prouvé son efficacité autour de Laon, à Montcornet, avant de la montrer à nouveau à Abbeville. Les Allemands avaient gagné la campagne de France en utilisant la stratégie préconisée depuis des années par de Gaulle, fondée sur l’arme blindée. Lorsque les chars des Allemands avaient affronté ceux des Français, ces derniers avaient été parfois supérieurs, mais avaient fini par se replier, notamment en raison de la supériorité aérienne de l’ennemi. L’appel du 18 Juin résulte de la synthèse entre trois idées : la première est politique qui est de refuser l’humiliation de la France qui doit continuer à se battre jusqu’à la victoire ; la seconde est technique et repose sur la certitude que les moyens matériels des alliés seront supérieurs à ceux des Allemands et conditionneront la victoire ; la troisième est géopolitique qui refuse de limiter le conflit à l’Europe et parie sur les capacités des empires coloniaux et de l’industrie américaine. Le lendemain, de Gaulle parlera à nouveau à la radio de Londres, et cette fois il affirmera sa légitimité, parce qu’un gouvernement tombé dans la servitude, soumis au vainqueur, l’a perdue. L’Etat français ne peut être la France, parce que les chefs militaires sur lesquels ils s’appuie, sont les responsables de l’impréparation du pays et de sa stratégie obsolète, et qu’un gouvernement ne saurait être légitime s’il n’est indépendant. Le 22 Juin, un troisième discours, le plus beau sans doute, suivra l’annonce des conditions de l’armistice. L’honneur, le bon sens, l’intérêt supérieur de la Patrie commandent de continuer la lutte car la politique, l’art militaire et la morale se conjuguent pour refuser une trahison, une faute stratégique et un asservissement qui condamnent l’avenir du pays. Le 26 Juin, de Gaulle répondra à Pétain par un véritable réquisitoire : non seulement en raison du rôle qu’il a joué dans la pensée militaire entre les deux guerres, mais aussi parce que sa politique est illusoire, le maréchal est en train de dilapider les forces matérielles et morales du pays. En ce mois de Juin 1940, de Gaulle est beaucoup plus qu’un officier qui se révolte, qu’un technicien de la guerre qui refuse les conséquences d’une mauvaise stratégie. C’est un grand homme politique qui va, au moins pendant un temps, tirer la France de son déclin.
Lorsqu’il condamne le projet absurde de relever la France « livrée, pillée, asservie », et dénonce l’impossibilité de ce relèvement dans une pareille atmosphère, de Gaulle révèle une intuition politique au moins aussi importante que celle qui lui avait inspiré « Vers l’armée de métier », sur le plan militaire : une nation, c’est d’abord un peuple, et l’état d’esprit de ce peuple est essentiel, sa conscience collective est primordiale. En habituant les Français à la soumission, au sentiment d’infériorité, à l’absence de liberté et de dignité, il est impossible de redresser la France. Avec le recul, on s’aperçoit de l’absurdité grossière de la « révolution nationale ». Comment procéder à une transformation salutaire du pays alors que celui-ci est aux deux tiers occupé, et son gouvernement aux ordres de l’occupant ? Cette absurdité, couverte du képi prestigieux aux sept étoiles, a joué un rôle néfaste de longue durée. Combien de fois a-t-on entendu stigmatiser le slogan « travail, famille, patrie », comme si ces trois valeurs étaient indissociables de la collaboration , et par la-même disqualifiées. Cette trilogie héritée des Croix-de-feu du colonel de la Rocque, déporté en 1943, et qui mourut peu après son retour en France, est infiniment respectable, parce qu’elle fonde une nation solide. Mais la promouvoir alors que le travail était exploité par l’ennemi d’une façon de plus en plus oppressive, que la famille subissait le déchirement du million et demi de prisonniers séparés des leurs, et que la patrie servait de zone de repos pour l’armée allemande, était doublement criminel, d’abord parce qu’elle était totalement mensongère, et qu’ensuite ce mensonge a été une arme pour les ennemis du travail, de la famille et de la patrie, et donc contre la France.
La Résistance a d’abord été le choix d’une minorité, souvent d’hommes et de femmes clairement à droite, nationalistes. Lors de la libération, le poids tardif, mais important des communistes, la volonté du général de Gaulle de gommer l’image d’officier factieux dessinée par ses adversaires et l’action de Jean Moulin dans la constitution du CNR avaient renversé la tendance. Alors que le général quittait la conduite du gouvernement avant l’avènement de la IVe République, la « culture de gauche » avait pris le pouvoir en France, un pouvoir qu’elle conserve encore aujourd’hui, qui fit vaciller l’homme du 18 Juin au mois de Mai 1968, et continue d’entretenir en France un esprit favorable au temps libre plus qu’au travail, à l’individualisme narcissique plus qu’à la famille et à tout ce qui n’est pas la patrie, que ce soit l’Europe abstraite et technocratique ou que ce soient les « communautés » qui désagrègent le pays.
La France a beaucoup souffert du fait que ce n’est pas l’esprit de la résistance qui a conduit l’indispensable révolution conservatrice dont elle a encore le plus grand besoin.