Un an après la dernière manifestation de masse contre le mariage gay du 26 mai 2013, revivez ces moments ou la France a pris conscience qu’elle pouvait dire NON. À partir d’aujourd’hui, Nouvelles de France diffuse ce qui est à la fois un récit, un témoignage, un essai articulé autour de ces treize mois de mobilisation inédite et historique. Cet ouvrage unique est publié sous forme de feuilleton, que les électeurs pourront commenter à loisir au long de sa diffusion. L’intégrale est disponible sous format électronique uniquement, l’auteur ne souhaitant pas passer par les maisons d’éditions, on imagine aisément pourquoi.
Aux vieux amis, aux copains de la rue, aux hommes de bonne volonté qui y sont descendu et à ceux qui pour mille raisons, n’ont pu y descendre…
L’espoir sur les ponts de Paris – 29 janvier 2013
Minutieusement préparée, cette opération est un « coup de com » le jour où le débat s’ouvre devant le parlement. Pierre E. et quelques autres ont organisé ça méticuleusement, un peu comme dans un film de guerre à l’ancienne ou les commandos règlent leur montre à la fin du briefing pour que les actions du jour J soient synchrones. Chaque pont de Paris et du périphérique doit être paré d’une banderole géante reprenant les slogans. Cédric L. que j’ai le plaisir de retrouver pour l’occasion gère un tronçon de la Seine : sous sa responsabilité je dois faire poser plusieurs banderoles sur plusieurs ponts. L’effet à obtenir est le déploiement de toutes nos banderoles au même moment, à l’heure H, alors que les porte-paroles du collectif donneront une conférence de presse pendant que les parisiens vont au bureau. Je me débrouille tant bien que mal pour faire poser les banderoles à mon équipe. Les gens rigolent, apprécient notre présence, d’autres nous saluent en klaxonnant. La Police Nationale est rapidement prévenue et converge, avec ordre de saisir les banderoles et relever les identités. L’un d’entre eux, une femme, me dit qu’elle a reçu « des ordres », me saisit au poignet et tente de m’emmener de force en criant pour appeler du renfort. Je n’ai rien à me reprocher et aucune garde à vue n’est prononcée contre moi, pas même un contrôle d’identité. Les « ordres » que ce fonctionnaire a reçus ne me concernent pas. Moi, je n’ai pas reçu « d’ordre » : je me dégage d’un geste vif, et je rejoins Cédric pour l’informer de la situation : il faut lever le dispositif rapidement et retirer un maximum de banderoles qu’ils voudraient nous confisquer. Ceux qui déclinent leur identité seront convoqués quelques jours plus tard pour « détérioration de bien public »… C’est le début d’une longue série de biais et de dévoiements du code pénal instrumentalisé pour nous faire taire. A partir de maintenant nous savons que le pouvoir va utiliser tous les subterfuges pour déguiser la répression avec un oripeau judiciaire. Cette justice devenue si laxiste, cette police dont les statistiques sont si peu fiables, prend déjà avec nous des accents implacables. Quelques jours après, les gendarmes débarquent chez moi. Le procureur de la République n’apprécie pas que je conduise avec un permis étranger. Entre 2004 et 2008 j’ai travaillé à l’international, avec une voiture de fonction. J’avais fait convertir mon permis. Mais en France, mon permis de mourir et de perdre des points, sans que j’en sois informé. Bref, convoqué par les gendarmes, je n’avais pas pu me déplacer. La même blessure qui m’avait interdit de participer à la première manif. Malgré mes explications au téléphone, ils l’ont mal pris, et ont menacé : on viendra vous chercher un matin à 6h ! Je ne les ai pas pris au sérieux et j’ai pensé recevoir une autre convocation. Ma surprise fut grande de les voir débarquer chez moi un dimanche matin à 7h30 dans une voiture banalisée. « Vous êtes placé en garde à vue ». Un voisin me dira qu’il les avait vus depuis plusieurs jours tourner dans le hameau, et se demandait qu’est-ce qui pouvait bien les amener par ici. Lorsqu’ils m’annoncent qu’ils vont m’entraver, je refuse. S’ensuit une scène digne d’un Louis de Funès ou les deux hommes d’un gabarit modeste, m’attrapent, l’un au cou, l’autre aux jambes, tandis que je me roule en boule au sol pour éviter cette humiliation. Non-violent, je tente de parlementer avec eux, tout en résistant fermement. Je ne décroise pas les bras ni les jambes. L’un des gendarmes tentant de me relever de force par un étranglement se fait une déchirure musculaire. Je me suis relevé tout seul, et, pendu sur mon dos, il est mal retombé. L’autre, un petit adjudant, me plaque aux jambes et tente de me maintenir au sol tandis que son camarade blessé déplie sa matraque et … casse un carreau. Ils menacent d’appeler du renfort, je leur réponds que ce sera l’occasion de discuter de la situation avec un officier. Il me menace d’utiliser sa petite bombe au poivre. Je lui réponds qu’il va se gaze aussi : C’est un dialogue de sourds. L’adjudant a une idée lumineuse. De guerre lasse il me demande ma parole d’officier de les suivre sans résistance. J’ignore comment il sait que j’ai servi dans l’Armée. Je la donne bien volontiers et me détends. Triomphal, il me passe les menottes aussi sec. Cette scène ridicule aura duré plus de 10 bonnes minutes. Ils m’ont fait une légère entorse et se sont vu attribuer 8 jours d’ITT à tous les deux. Ils auront l’élégance de ne pas porter plainte contre moi. Quelques temps plus tard l’affaire vient à l’audience devant le tribunal correctionnel de Chartres, pour toute une série de griefs : faux en écriture, rébellion, conduite sans permis, etc. Maître Griffoul, mon avocat et ami d’enfance, a été grandiose. « Heureusement que mon client n’a pas décroisé les bras ! ». Les arguments font mouche. Mais la justice ne peut désavouer totalement ses précieux auxiliaires : Il faut bien justifier l’opération commando des gendarmes chez ce particulier… Et en ce qui concerne la délinquance routière, on est implacable. Comme si il y avait eu une sorte de focalisation des énergies. Ils sont laxistes à peu près partout, sauf pour la délinquance sur les routes. La délinquance routière, c’est le crime de bons bourgeois immatriculés, visibles et pris sur le coup : vite fait, vite jugé. C’est bon pour les statistiques. Et on cible une population solvable de CSP+. La morale a opéré ce que les psys appellent un transfert : l’ordre moral sévit à présent sur la route. En matière de mœurs, on tolère aujourd’hui à peu près tout et n’importe quoi. Mais sur la route : pas question de franchir la ligne jaune. C’est très mal.
Le procédé des menottes fait partie du cirque de la garde à vue, défendu par les syndicats policiers comme moyen de faciliter le travail. En réalité il s’agit de dominer et de prendre l’ascendant sur le sujet. Ainsi le fonctionnaire peut obtenir des déclarations rapides et « charger » son « client ». « Dans les films américains » on voit comment l’accusation et la défense sont strictement à égalité. Or, aux États-Unis la justice est 4 fois plus sévère qu’en France à infraction égale. La délinquance est au plus bas et les prisons pleines. Peut-être le juge français condamnerait mieux si les droits de la défense existaient vraiment de manière équilibrée dans notre pays ? Quand on voit la lourdeur de la procédure de garde à vue (40% de temps perdu en paperasse, un avocat, un médecin, plusieurs fonctionnaires mobilisés) il est permis de se demander si cette drôle de méthode pour le moins coercitive, ou l’on peut entraver et priver de liberté un individu, obtient de réels résultats. Vu la légèreté des condamnations et l’augmentation de la délinquance en France on peut en douter. Nombreux seront ceux qui connaîtront les joies des menottes et de la garde à vue à l’issue des manifs pour tous, par paquets de 250…
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