Parmi les nombreux risques qui s’accentuent actuellement dans le monde, celui qui concentre l’attention se situe une fois de plus autour d’Israël. Des manifestations rassemblent de nombreux habitants de la « bande de Gaza » à la frontière de l’Etat hébreu. La crainte des autorités israéliennes est que la foule s’approche des barrages et les submerge, comme cela se produit à la limite des enclaves espagnoles du Maroc. La conséquence serait très différente, car sous couvert de gens pacifiques qui désirent rentrer chez eux, il y a le Hamas, l’organisation islamiste qui règne à Gaza et dont la stratégie vise à détruire Israël. Dans le cas présent, l’opération peut avoir deux objectifs. Le premier est de sensibiliser l’opinion publique et le second de permettre l’infiltration de terroristes chez l’ennemi qu’ils appellent « l’entité sioniste ». La réponse se veut donc dissuasive, mais aux yeux du monde entier, elle paraît disproportionnée, avec l’usage de tirs à balles réelles, quand d’autres moyens apparaîtraient plus appropriés. Les images qui se répandent, les chiffres qui sont annoncés, avec 60 morts sur deux jours, dont des enfants, permettent d’atteindre le premier objectif, en identifiant les Palestiniens comme des victimes d’une situation injuste : celle de réfugiés privés de leur pays et tués sans discernement par l’armée qui l’occupe. La « communauté internationale » ne peut que réagir négativement à l’encontre d’Israël : les critiques virulentes viennent en premier lieu de pays musulmans comme la Turquie d’Erdogan, mais les gouvernements occidentaux appellent également à la mesure, et des organismes internationaux condamnent ce qu’ils considèrent comme une violation des droits de l’homme. Les Etats-Unis, se retrouvent pratiquement seuls aux côtés d’Israël. Or c’est à un moment où c’est toute la politique étrangère américaine qui semble prendre la planète entière à rebrousse-poil. Donald Trump a certes tenu parole en reconnaissant, dans les faits, Jerusalem comme capitale en y déplaçant l’ambassade américaine, mais ce geste, venant d’un tel personnage, a été présenté comme une provocation. Le contraste saisissant entre le faste joyeux de l’inauguration et la douleur des Gazaouis permet facilement d’établir la frontière entre le camp du bien, celui des victimes, et le camp du mal, celui de ces « impérialistes », de ces « colonialistes », insensibles à la souffrance des déshérités. Pour Israël qui a suscité légitimement la sympathie et la solidarité en raison de la tragédie subie par les Juifs au cours de la seconde guerre, il y a un danger évident de passer dans l’autre camp, celui des bourreaux. Que l’action du Hamas soit perverse dans ses intentions et tortueuse dans sa mise en oeuvre ne fait guère de doute puisqu’elle consiste à exposer sciemment des martyrs à la blessure ou à la mort, celles-ci étant, paraît-il tarifées par de généreux donateurs. Mais, pour autant, faut-il lui donner à ce point l’occasion de réussir ?
Le message palestinien qui passe aujourd’hui est le suivant : en 1948, lors de la création d’Israël, 700 000 habitants de la Palestine sous mandat britannique ont été chassés de leurs maisons et de leurs terres par la Haganah. Ils ont le droit, reconnu internationalement, de rentrer chez eux. Ce retour est évidemment impossible pour l’Etat hébreu dont l’existence est également fondée en droit international, mais qui se heurte à deux difficultés majeures, celle d’une démographie qui rendrait la coexistence périlleuse si la population arabe devenait trop nombreuse, et celle d’une étroitesse territoriale bien trop fragile sur la base du territoire initial. Si l’idéalisme juridique proclame toujours le souhait de deux Etats contenus dans les limites d’avant 1967, le réalisme sait qu’en raison de « l’insociable sociabilité des hommes », selon l’heureuse expression de Kant, cette solution est aujourd’hui compromise. Il faut faire un peu d’histoire pour s’en rendre compte. D’abord, le cas de la Palestine n’a rien d’exceptionnel. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, de nombreuses populations ont été déplacées. Les habitants de Königsberg ne manifestent pas pour rentrer chez eux. La ville de Kant, en Prusse orientale, est maintenant Kaliningrad, capitale d’une enclave russe entre Pologne et Lituanie. Les déplacements de population en Europe de l’Est ont été gigantesques aux alentours de 1945. De même, lors de la séparation entre l’Inde et le Pakistan, ce sont des millions de personnes qui sont passés d’un pays à l’autre au milieu des massacres. Les victimes de la décolonisation ne sont pas moins à plaindre. Les Pieds-noirs avaient toute leur place en Algérie, de même que les Harkis. Ils ont été obligés de choisir entre la valise ou le cercueil. Si l’on remonte dans le passé, les nombreux Arméniens rescapés du génocide turc de 1915 n’exigent pas non plus de regagner la région de l’Empire ottoman où ils étaient majoritaires. L’histoire n’a jamais fait bon ménage avec la justice. Encore faut-il savoir ce qui fonde la justice, si elle existe dans ce domaine. ( à suivre)
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