Tribune libre de Philippe Simonnot* pour Nouvelles de France
« Dans cet instant, et j’en mesure la solennité, où je suis chargé de présider la destinée de notre pays et de le représenter dans le monde, je salue mes prédécesseurs, tous ceux qui avant moi ont eu la responsabilité de conduire la République. »
Pour que souffle l’Esprit de Rassemblement Républicain sur cette journée de sacre, c’était une excellente idée que de rendre hommage à ceux qui l’avaient précédé, quelle que soit leur couleur politique. Décidément, François Hollande allait nous surprendre en ce moment propice à l’effusion nationale qu’est le Discours du Trône de l’impétrant, sous les ors et les lustres du Palais élyséen. Depuis la victoire du 6 mai, on avait eu droit à un sans faute aux yeux de tous les observateurs, à l’affût du moindre faux pas. Le sortant avait réussi sa sortie au grand étonnement même de ses vainqueurs. Et le nouveau Président ne pouvait faire moins bien en cette heure solennelle que de réussir complètement son entrée en fonction.
Donc, lorsque l’on a entendu le nouveau chef de l’État entonner une manière de litanie – genre de rhétorique qu’il affectionne – à la gloire de Charles de Gaulle pour sa « grandeur », de Georges Pompidou pour son « impératif industriel », de Valéry Giscard d’Estaing pour son œuvre de « modernisation » de la société française, de François Mitterrand, qui « fit tant pour faire avancer les libertés et le progrès social », de Jacques Chirac, « qui marqua son attachement aux valeurs de la République », on attendait avec une curiosité de plus en plus intense ce que François Hollande avait concocté comme « compliment » pour le dernier de la liste. Et l’on se prenait à espérer une sorte de miracle de la fraternité française, le slogan tant oublié de notre devise nationale. Puisqu’il s’agissait d’assurer et de célébrer la continuité de la monarchie républicaine, ce brave M. Hollande, ce gentil M. Hollande avait certainement trouvé les mots pour apparaître comme un vainqueur magnanime, soucieux d’abord du bien commun et de l’unité nationale, et capable de ne pas s’abaisser à un vulgaire pouce pointé vers le sol pour signifier à la foule des courtisans toujours avide de sang : Vae Victis.
Et l’on entendit ceci :
« Nicolas Sarkozy, à qui j’adresse des vœux pour la nouvelle vie qui s’ouvre devant lui ».
Je dois avouer que j’en ai eu le souffle coupé. En quelques mots, le quinquennat précédent était réduit en cendres. Ces cinq ans n’avaient pas existé. Hollande succédait directement à Chirac, un Corrézien à un autre Corrézien, attachés, eux, aux valeurs républicaines – le vaincu n’avait donc été qu’un affreux fasciste qui pour notre malheur s’était aventuré dans une arène politique, d’où il était maintenant chassé à coup de pieds symboliques. D’un seul coup on se croyait revenu aux pires moments de sectarisme de la campagne présidentielle.
A vrai dire, on aurait dû s’en douter. Trois quarts d’heure plus tôt, les adieux sur le perron de l’Élysée avaient fait voir un Hollande, les sourcils froncés, le sourire effacé par la petite moue pas encore célèbre où se concentre son angoisse. Manifestement, le nouveau maître de céans était pressé d’en finir avec la comédie de la dignité et du fair-play que lui jouait encore son rival dans les tout derniers instants de sa vie élyséenne, au moment de basculer dans le néant de la mort politique à laquelle son vainqueur allait l’envoyer. Les épouses avaient claqué une bise qui ressemblait à une morsure. Le nouveau Président tournait déjà le dos. Il ne redescendrait pas les marches du perron, au bas duquel l’ancien l’avait accueilli tout à l’heure avec tant de bonhommie, il ne le raccompagnerait pas à sa voiture. Il ne regarderait même pas partir et quitter définitivement les lieux celui qui maintenant n’était exactement plus rien à ses yeux.
Ainsi, le comprenait-on à l’instant, l’éloge par un socialiste de de Gaulle, Pompidou, Giscard et Chirac que personne ne lui demandait n’avait qu’un but : faire voir l’inanité et la nullité de celui qui venait tout de même de réunir, quelques jours auparavant, contre toute attente, 16,8 millions de voix sur son nom.
« Nous sommes la France. Une France non pas dressée contre une autre mais une France réunie dans une même communauté de destin », venait pourtant de clamer le nouveau chef d’État.
Première erreur de François Hollande. Dire une chose et faire le contraire quasiment dans un même souffle.
*Philippe Simonnot publie le 31 mai prochain, chez Perrin, en collaboration avec Charles Le Lien, La monnaie, Histoire d’une imposture.
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Photo : Wikipédia France.
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