L’incendie dévastateur de la cathédrale Notre-Dame de Paris a suscité une émotion légitime chez beaucoup de Français. Marc Bloch, dans « L’Etrange défaite, écrivait : » il y a deux catégories de Français qui ne comprendront jamais l’histoire de France, ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre de Reims, et ceux qui lisent sans émotion le récit de la fête de la Fédération. » Or c’est l’histoire, et la conscience qu’en elle s’inscrit le destin de nos vies, qui font de nous des Français plus qu’une carte d’identité parmi deux ou trois autres au besoin. Etre français, c’est s’approprier l’histoire de France, la ressentir comme le fleuve qui nous porte depuis sa source, même lorsque l’on est issu d’un affluent récent. On pourrait donc ajouter, depuis hier, une troisième catégorie à celles que citait Marc Bloch, celle des Français qui, en voyant brûler Notre-Dame ont ressenti une déchirure, comme si ce désastre les touchait personnellement, les privait d’une partie d’eux-mêmes, d’un bien familial inestimable auquel ils s’identifiaient. La persistance de l’image, sa valeur symbolique incomparable lui font figurer la capitale du pays, rappeler les heures les plus glorieuses de notre histoire, et éveiller les émotions collectives les plus profondes du pays. Elles lui confèrent le rôle de trésor national. Sa situation sur l’île de la Cité, au coeur du royaume, son équilibre et sa beauté, posés entre les deux bras de la Seine, là où se marient la ville et la nature, dans un mélange harmonieux de sérénité et de puissance, attirent vers Notre-Dame l’affection que l’on voue à une personne.
Une des personnes interrogées par une chaîne d’information disait son émotion, invoquait le patrimoine ainsi menacé de manière peut-être irréparable, mais elle croyait bon d’ajouter qu’ »elle se foutait de son caractère religieux ». Des journalistes citaient la communauté catholique, comme une communauté parmi d’autres de notre pays. Or, ce superbe édifice, connu du monde entier, n’a de sens que parce qu’il est un lieu de culte chrétien, couvert de signes qui ne peuvent être compris que grâce à une connaissance de la culture et de la religion chrétiennes. Sa présence au coeur de la capitale royale en fait le foyer d’une longue histoire, celle de dynasties catholiques qui ont rassemblé et agrandi le pays jusqu’à ce qu’il se proclame une nation, déjà réelle depuis Bouvines. Le message de Vladimir Poutine souligne le caractère de sanctuaire chrétien de Notre-Dame, au-delà de son appartenance au patrimoine culturel mondial. Il ne faudrait pas en effet qu’il y ait entre la cathédrale de Paris et les Français, le même rapport qu’entre les Egyptiens et leurs pyramides, celui d’une carte postale qui identifie un pays dont l’âme a changé, et qui n’en attend plus qu’un afflux de touristes.
Le sentiment puissant qui doit animer les Français à l’égard de Notre-Dame de Paris est celui d’une fierté identitaire, celle d’un peuple fier d’avoir construit, embelli et préservé une pareille merveille architecturale. Le fait qu’elle ait été ravagée par un incendie est un terrible avertissement : les Français méritent-ils leur héritage ? Certains s’interrogent sur les causes du sinistre dont on a dit bien rapidement qu’il était d’origine accidentelle. Aucune soudure n’avait été effectuée, la surveillance des échafaudages, une fois les ouvriers partis, était bien légère, or un incendie a été provoqué récemment à Saint-Sulpice, des déprédations ont été commises à la basilique de Saint-Denis, de nombreux monuments chrétiens sont profanés. De plus, hier, débutait la Semaine Sainte, la plus importante du calendrier catholique. L’hypothèse d’un acte délibéré doit-elle être exclue ?
Qu’il s’agisse d’un accident ou d’un attentat, la catastrophe qui a ruiné Notre-Dame de Paris est un appel au sursaut pour les Français en face du monde entier. Si c’est un accident, la désinvolture, le laisser-aller, l’amateurisme dans le travail et la sécurité autour d’un joyau du patrimoine national sont un bien mauvais signal, celui d’un pays qui a, petit à petit, abandonné sa réputation de rigueur et de technicité dans un domaine où il paraissait exceller. Si l’on a cherché à cacher une action hostile à la France et à son identité, c’est évidemment beaucoup plus grave : ce serait l’aveu d’un pays qui n’ose plus désigner ses ennemis et les affronter. Dans les deux cas, Notre-Dame en flammes appelle à la résistance, contre nous-mêmes ou contre nos ennemis, pour mettre un terme à cette longue décadence, dont les images d’hier offraient la version métaphorique, et à laquelle la France ne doit pas, ne peut pas se résoudre. En luttant avec courage contre le feu qui courait dans la « forêt » des charpentes, les 400 pompiers offrent un exemple à tous les Français.
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