Comme d’habitude dans notre société du spectacle, les images ont soulevé un tsunami d’émotions dont la vague a produit des images qui saturent avec leurs commentaires tous les médias. Le spectacle du drame incite les spectateurs à se donner en spectacle. Or la pièce offerte est toujours la même : la France ne donne plus de Te Deum. L’heure était à la repentance, à la contrition, à la modestie. Il est vrai que la médiocrité des performances, en dehors des exploits footballistiques, incite davantage à la retenue. La France s’est vouée au Requiem. Le choeur des pleureuses fait salle comble : l’unité nationale ne se trouve que dans les larmes. La France y révèle une profonde imprégnation chrétienne, qui se souviendrait davantage du Vendredi Saint que du Dimanche de Pâques, des martyrs que des croisés libérant Jérusalem. Les jalons de ce chemin de croix national sont, après les attentats contre des lieux ou des gens qui n’étaient pas chrétiens, ou n’étaient pas visés en tant que tels, ceux du Père Hamel, égorgé au pied de son autel, puis du colonel Beltrame, animé par une foi catholique aussi récente qu’intense, donnant sa vie à un terroriste. Et voici le coeur spirituel du pays qui s’embrase. C’est un accident, dit-on, mais l’effet est le même : les Français ne communient plus que dans la souffrance. L’idée de fêter une victoire militaire, l’écrasement bien laborieux de l’Etat islamique, par exemple, serait un péché d’orgueil. L’hommage aux soldats morts sur des théâtres d’opérations extérieurs se fait discret. L’union des Français ne se forge plus dans la ferveur des victoires, si l’on excepte celles, dérisoires, qui se remportent à onze sur du gazon, mais dans le partage du deuil et de l’affliction. Si l’on voulait dater cette triste évolution, on pourrait la situer à la sortie d’un film, en 1971 : « Le Chagrin et la Pitié » qui mit un terme à la légende gaulliste d’une résistance glorieuse et déterminée pour révéler un pauvre peuple abattu et soumis, prêt à toutes les compromissions ou collaborations avec l’occupant. Ce peuple n’avait plus le droit d’être fier. Les légendes, le roman historique sont pourtant nécessaires pour susciter au sein d’une vieille nation l’énergie du futur.
C’est ce dont s’est souvenu le rédacteur de l’intervention télévisée du Président : le peuple qui a construit les cathédrales est bien capable de restaurer Notre-Dame en cinq ans. La douleur des Français doit se muer en espérance. La catastrophe symbolique surmontée doit devenir la métaphore du redressement national. On saluera ici l’habileté d’un prestidigitateur politique qui transforme l’étonnante faiblesse de la sécurité d’un des bâtiments les plus prestigieux du pays en occasion de montrer la force de celui-ci, sa capacité à surmonter les épreuves. L’illusionniste a, du même coup, saisi cet événement pour jeter un voile sur une déclaration risquée beaucoup plus prosaïque. Pendant que tous les yeux se tournent vers Notre-Dame, le peuple français oublie la crise des gilets jaunes, ses attentes et les réponses présidentielles envoyées comme autant de ballons d’essai échappés de l’Elysée à l’insu du plein gré présidentiel, avec l’avantage de pouvoir être corrigés grâce aux sondages. Le peuple quémandeur redevient le peuple bâtisseur qu’il l’était au XIIIe siècle… S’agit-il bien du même peuple ? Tandis que de nombreux Français regardaient avec effroi et stupeur un trésor national partir en fumée, un certain nombre de provocateurs se sont au contraire réjouis du désastre soit pour y voir la punition méritée des chrétiens, soit pour contempler l’humiliation des blancs pleurant sur des bouts de bois en feu, comme le dit cette récidiviste, vice- présidente à l’UNEF de Lille, Hafsa Askar. Le fait que des propos totalement inacceptables soient tenus, quasiment sans risque n’est pas anodin. Derrière la façade de l’unanimité douloureuse, que le macronisme va tenter de récupérer sans vergogne, il y a la réalité d’une France qui se lézarde comme un édifice ancien mal protégé.
Que le président appelle à l’union sacrée est dans sa fonction, mais aussi dans son intérêt. Au-delà de l’émotion passagère, l’ambiguïté des positions, le conflit des opinions referont surface. La France a, une fois encore, suscité la compassion du monde. Pauvre pays, accablé de gilets jaunes et de désordres sociaux et incapable de préserver ses joyaux, mais riche nation au patrimoine superbe qu’on viendra visiter et qu’on aidera dans sa détresse. Quand la terre entière regarde Notre-Dame sauvée in extremis des flammes, voit-elle la fille aînée de l’Eglise catholique, à laquelle le président s’est bien gardé de faire allusion dans son allocution télévisée ? Pense-t-elle à la patrie des droits de l’homme dont on nous rebat les oreilles ? Non ! Elle la voit avant tout vouée à la beauté, à ce raffinement présent dans ses trésors architecturaux comme dans son art de vivre. La France pays du luxe ? Pinault, Arnault, Bettencourt, autrement dit Kering, LVMH et L’Oréal sont les trois premiers généreux donateurs pour la restauration de la cathédrale. Sans s’attarder sur l’avantage fiscal de ces dons, on remarquera qu’ils illustrent le paradoxe français d’une culture aristocratique dans un pays qui se croit une démocratie exemplaire. La générosité ciblée a aussitôt suscité des critiques au nom de la justice sociale. Derrière l’unité retrouvée du pays, combien de contradictions mortelles ?