En bon politicien, Manuel Valls sait que le mot ou la formule qui frappent par leur originalité ou bénéficient du relief de la surprise vont marquer l’opinion. Gagné ! « Islamofascisme » est repris partout et fait débat. Cela paraît fort d’utiliser une expression prisée des néoconservateurs et utilisée par G.W.Bush quand on est un homme de gauche et habile quand cet homme de gauche regarde souvent à droite. En fait, le concept est pratique et même indispensable dans la position et la démarche du Premier Ministre. La multiplication des horreurs commises par l’Etat islamique et la répétition des attentats par ses séides en Europe rend le discours du « rien à voir avec l’islam », complètement inopérant voire contre-productif. Il faut donc désormais opposer le bon islam qui est compatible avec la République du mauvais qui s’illustre par la violence. Comment rejeter cet islam-là dans le camp du mal sans toucher à l’autre ? En l’identifiant au diable dans la mythologie de la gauche, le fascisme. Ce qui est voué aux gémonies n’est pas la religion musulmane mais l’ennemi traditionnel, violent, inégalitaire, intolérant, le fascisme déguisé aujourd’hui en salafiste coupeur de tête et poseur de bombes.
Cette pirouette sémantique n’a pratiquement aucun fondement solide. La lecture d’Hannah Arendt ou d’Alexandre Soljénitsyne nous a appris depuis longtemps que les deux grands totalitarismes du XXe siècle avaient été le communisme et le nazisme. La maîtrise sémantique des communistes à l’époque où ils occupaient une place importante dans le monde de la pensée et de la culture a permis cette utilisation abusive d’un mot qui désignait le parti fondé en Italie par Mussolini. Même si ce dernier avait lancé l’idée d’Etat totalitaire, il est allé beaucoup moins loin que les deux autres dans cette direction dans un pays où la monarchie, l’Eglise et les puissances économiques ont encadré son développement. Un assassinat politique, l’huile de ricin, et la résidence obligée dans les îles n’avaient qu’un lointain rapport avec Auschwitz ou le Goulag. Avec raison, certains auteurs, comme Rioufol préfèrent « nazislamisme ». Ce terme évidemment plus stigmatisant ne manque pas d’arguments. La commune haine des Juifs est le plus évident. En second lieu, on peut souligner l’alliance objective entre l’Etat hitlérien et le grand Mufti de Jérusalem, l’emploi de SS musulmans engagés comme tels, en Yougoslavie, et même la fascination qu’exerçait, paraît-il, l’islam sur Himmler. Les scènes horribles d’exécutions de masse de prisonniers agenouillés dans des fossés et abattus par les tueurs de l’Etat islamique rappellent évidemment les images de massacres commis par les « Einsatzgruppen » lors de l’offensive allemande en URSS. De façon plus abstraite, enfin, l’idée de la soumission à une idéologie mystique, animée par un chef, le Calife ou le Führer, appuyée sur un livre, et exigeant un don total de leur personne par les adeptes dans une vie où s’estompent les frontières entre le privé et le public, l’intime et le collectif, le profane et le sacré est présente dans les deux fanatismes. Un Etat qui lui obéit est totalitaire au sens précis du terme, qu’il fasse de Dieu ou de César le maître de tout, sans une parcelle de liberté pour la société civile, sans le moindre espace pour la tolérance et la liberté d’expression.
Là, en revanche où Manuel Valls a raison, c’est lorsqu’il affirme que le débat est à l’intérieur de la religion musulmane. Les phrases creuses des ignorants médiatiques comme ce brave docteur Pelloux sur l’égalité des religions passent à côté de ce sujet. La lecture des Evangiles et du Coran montre que le Christianisme est foncièrement non-violent, alors que que l’Islam est pénétré de violence. Les crimes commis par les salafistes aujourd’hui ne lui sont pas étrangers, mais résultent d’une certaine lecture des textes. On serait bien en peine de trouver dans le Nouveau Testament pareille justification. Si l’on pense que la violence n’est pas opposée à la nature humaine, on dira seulement que l’une des religions qui contraint cette nature par des prescriptions rituelles et physiques lui laisse davantage libre cours sur le plan moral, alors que la seconde peu attentive aux contraintes du corps est une tentative exceptionnelle de dépasser par l’esprit les pesanteurs de la nature humaine. Que l’une et l’autre se soient écartées de leurs messages d’origine au cours de l’Histoire autorise un certain optimisme pour l’islam. Il y a 1,7 milliard de musulmans dans le monde. Bien des civilisations ont atteint un haut niveau au sein de cette religion, même si ces apogées ont en général été marquées par une certaine distance à l’égard de la lecture littérale des textes. Rien n’interdit de penser que l’Histoire favorisera davantage encore ce processus. L’Islam est plus que millénaire quand fascisme, nazisme et communisme soviétique sont nés du modernisme industriel et des horreurs de la première guerre mondiale, et sont morts en moins d’un siècle.
Mais l’Occident ne peut se contenter d’observer les événements et d’attendre le miracle. Comme le remarquait Jean-Claude Barreau, « les Musulmans ont de la difficulté à vivre dans une société quand ils sont minoritaires ». Le premier problème est donc démographique. Il suppose sans doute de limiter le nombre des Musulmans en Europe afin que les exigences communautaires ne déstabilisent pas les sociétés de tradition chrétienne et que l’intégration puisse se faire. Le seconde question qui se pose est celle des liens entre les communautés musulmanes et des pays ou des organisations qui soutiennent le salafisme. Ces liaisons dangereuses doivent être supprimées. Le projet d’un islam de France lancé par Sarkozy répondait à cette préoccupation. Il est loin d’avoir abouti.Enfin, le poids géopolitique des pays musulmans est considérable. Très peuplés comme l’Indonésie, très riches comme l’Arabie saoudite, puissants militairement comme le Pakistan qui possède la bombe nucléaire, ces pays de l’Afrique occidentale à l’Océan indien sont fréquemment sources ou victimes de conflits. Nombre d’entre eux ont des régimes politiques ou juridiques qui méconnaissent la démocratie et les Droits de l’Homme. La tartuferie de l’Oncle Sam et les contrats alléchants ne doivent pas, selon le mot de Lénine, amener les démocraties occidentales à leur vendre la corde avec laquelle elles seront pendues.
34 Comments
Comments are closed.