Aujourd’hui, commence donc la grande escobarderie ! Sa Majesté a convoqué tous les manants à un grand débat tant il partage les impatiences du peuple, tant il a la ferme volonté de transformer leurs colères en solutions. Bien sûr, toutes les questions ne pourront être posées. Seules le pourront celles qui ne contrediront pas les précédents édits du Prince, ne trahiront pas les traditions séculaires du pays, n’iront pas à l’encontre des intentions affichées avant l’élection du monarque. Pourtant au début de sa lettre à ses sujets, n’avait-il pas dit qu’aucune question ne serait interdite ? Cette contradiction soulève un premier doute, suivi d’un second lorsqu’il repousse d’un geste énergique de la main les violences et les insultes : le fossé qui s’est creusé entre le chef de l’Etat et le vrai souverain qu’est le peuple n’est-il pas aussi la conséquence des insultes réitérées du premier envers le second ? Les violences n’ont pas été unilatérales, et l’on peut s’interroger sur le calcul qui a conduit à les provoquer pour en appeler au parti de l’ordre. La légère remontée dans les sondages à droite en montre la pertinence.
Mais le mécanisme du leurre est ailleurs : il consiste, comme tout bon stratège à attirer son adversaire sur son terrain. La lettre d’Emmanuel Macron aux Français commence par appâter par des douceurs sur l’exception française, ce pays plus fraternel, plus égalitaire, plus libre dont il faut être fier. Au-delà de ces sucreries habituelles que l’expérience du réel dément au quotidien, il y a le rappel de la légitimité de l’élu et de son programme, comme si son « projet » n’avait pas été préféré au premier tour, dans des conditions discutables, par seulement 18% des inscrits et 24% des votants. Voilà qui devrait rendre plus modeste… Or, c’est la modestie qui fait défaut dans la stratégie : il s’agit d’amener l’ennemi sur un champ de questions, comme autant de mines, qui le conduiront à répondre de manière à conforter le sournois dans ses intentions premières. Ainsi, par exemple, la demande essentielle du « référendum d’initiative citoyenne » qui aurait pu être le seul objet du débat, la porte d’entrée principale, celle qui aurait conduit à un référendum constitutionnel pour l’instaurer, est-elle remisée tout à la fin, dans la quatrième rubrique « Démocratie et citoyenneté », après la proportionnelle, la limitation du nombre des parlementaires, ces promesses démagogiques formulées d’emblée par le candidat, et après le « tirage au sort ». De même, l’immigration, qui est une question privilégiée par beaucoup de Français, est-elle aussi placée en queue de peloton, avec la laïcité qui ne lui est pas étrangère, mais toutes deux encadrées par des réponses déjà formulées, puisqu’il s’agit de savoir avant tout comment mieux « intégrer » les migrants.
Ainsi donc il y aura quatre thèmes. Plus important que l’immigration, ou que la démocratie directe, la lubie présidentielle de la transition écologique a droit à un chapitre complet. Non seulement on demande aux Français d’apporter des réponses à cette question qui dépasse de loin les dimensions de notre pays et ses capacités, en oubliant d’ailleurs que ce n’est pas une priorité, puisque la France avec l’énergie nucléaire figure parmi les bons élèves, mais en plus on indique la solution : quelles taxes doivent la financer ? Hérétique et relaps, non seulement le pouvoir ne fait pas repentance de la cause initiale de la jacquerie, la fiscalité sur les carburants, mais il entérine sa démarche en demandant à la victime de trouver un autre moyen pour se faire exécuter.
Les deux premiers volets du débats sont tout aussi fermés. Il ne sera pas question de revenir sur l’ISF, mais seulement de savoir quels impôts il faut baisser. Le piège est tendu, puisque immédiatement cette baisse appelle son corollaire, la suppression des services publics, dont la proximité fait justement défaut. Comme par hasard, sont toujours placés en tête les fonctionnaires les plus visibles, comme si nombre d’invisibles très bien payés ne vivaient pas à l’ombre de ces fromages de la République, où vont pantoufler nombre de hauts fonctionnaires et de magistrats. Mme Jouanno, en refusant de conduire le débat public alors qu’elle préside une de ces « autorités administratives » précisément dédiée à cela, n’a-t-elle pas frayé d’autres voies à des solutions ? De même, le gâchis de la politique migratoire n’est pas évoqué. Non, il faut que les Français soient persuadés que les impôts qui les écrasent ne servent qu’à payer les pompiers, les policiers et les infirmières.
Reste l’organisation de l’Etat, c’est-à-dire la décentralisation, la réduction du mille-feuille administratif et territorial. Voilà qui pourrait-faire l’objet d’un référendum utile auquel on donnerait le temps d’être serein et sans engager le destin du gouvernement. C’est sur ce type de question pourtant que le Général de Gaulle avait quitté le pouvoir. On se doute que son lointain successeur n’a lui qu’une idée en tête : s’y maintenir à tout prix ! D’ailleurs, les gilets jaunes, sans qui ce grand débat n’aurait pas lieu, ne sont ni conviés, ni cités, puisqu’il s’agit avant tout le les isoler ou d’en piéger quelques-uns, plus naïfs que les autres.
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