Dans son numéro de samedi, « Libération » publiait sur une dizaine de pages des articles consacrés au triste bilan des « printemps arabes ». La pensée « bobo-gauchiste », gavée d’idéologie déguisée en « science humaine » et débordante de prétention, révèle cette aptitude ridicule à brandir des convictions « éclairées » et sûres d’elles-mêmes, après chacun des démentis que leur inflige une réalité évidemment réactionnaire, qu’il faudra bien exécuter un jour. Ainsi, le désastre général des prétendues révolutions ne doit pas désespérer la place Tahrir. Le mouvement n’a que cinq ans, c’est un bébé. Il n’a pas abouti, mais il a fait « naître une conscience révolutionnaire ». Les nouvelles générations vont le poursuivre animées par « un idéal de transparence » et en s’appuyant sur les réseaux du « village global ».Les jeunes sont les mêmes partout et n’ont qu’une aspiration : la démocratie universelle. C’est bien connu, même à Molenbeek ! Certes, il y a bien l’islamisme et le djihadisme, mais ce ne sont que des ersatz de révolution. Les nouveaux acteurs se libèrent des allégeances religieuses. C’est évident ! Certes, il y a bien les conflits entre les puissances régionales, l’Arabie Saoudite, l’Iran, la Turquie, le Qatar, mais c’est parce que l’Occident leur laisse la place. D’ailleurs, si la situation tragique de la Syrie a empiré, c’est parce que « la passivité des occidentaux et leur refus d’aider réellement la révolution démocratique syrienne face au « boucher de Damas » ont alimenté une guerre civile ». Brillante analyse qui omet toutefois que là où cette intervention a eu lieu, en Libye, le chaos s’est installé, la démocratie n’a pas été instaurée, l’Etat islamique s’est introduit. Sans doute y-a-il moins de morts, mais cela est peut-être dû au fait que les puissances étrangères interviennent moins qu’en Syrie. Dans ce pays, la Turquie aide les rebelles directement, les occidentaux leur fournissent armes et instructeurs, les pays du Golfe les financent. L’Iran et la Russie soutiennent le gouvernement légal, mais bien sûr, les avions russes ne font que des victimes civiles.
La vision simpliste que donne « Libération » de cette révolution, qui n’a pas dit son dernier mot, n’évoque l’islam qu’au travers du djihadisme et des Frères Musulmans, qui détournent le mouvement vers des voies conservatrices ou réactionnaires. Manifestement, il s’agit pour « Libération » d’une étape d’un processus mondial. La pensée se situe sans le dire dans le sillage effacé de Fukuyama et de sa « Fin de l’Histoire », avec l’avènement d’une démocratie universelle. C’est au nom de cette idée que les Etats-Unis avaient voulu transformer l’Irak après l’avoir envahi, et en s’appuyant sur des classes moyennes plus importantes que dans les pays voisins, en raison de la richesse pétrolières et de l’histoire. Lorsque Sarkozy a décidé de faire tomber Kadhafi, c’était au nom de la même « philosophie » dont le chantre aussi dangereux que grotesque est Bernard-Henri Levy. Bien sûr, les mauvais esprits pouvaient y voir des raisons plus matériellement intéressées, par le pétrole et les ventes d’équipements. Des courriels dévoilés de Mme Clinton nous apprennent que des missions humanitaires françaises vers la Libye comprenaient des représentants de Total, de Thalès et d’EADS. On ne peut que saluer l’esprit de mécénat de nos entreprises.
On peut aussi penser que le naufrage des printemps arabes, entre calculs des puissances étrangères et des intérêts économiques a une cause plus profonde. A la lecture de Fichte et des Discours à la Nation allemande, de Huntington, et du « Choc des Civilisations », on peut relever qu’un mouvement révolutionnaire se heurte à des structures culturelles qui ne réagissent pas de la même manière. On doit même imaginer que les occidentaux, et les colonialistes idéologiques comme BHL et ses épigones de Libération, ont cru voir une révolution à l’occidentale dans un phénomène politique propre au monde arabo-islamique. Le seul « rescapé » est la Tunisie. Mais, c’est parce que la caste dirigeante formée à la française est peu touchée par l’islamisme. Il n’est pas sûr que ce jugement optimiste soit vérifié pour l’ensemble d’un pays qui fournit le plus gros contingent de djihadistes par rapport à sa population.
L’esprit de conquête et la violence ne sont pas des accidents de la culture musulmane. Ils sont en son coeur. La domination, la soumission, la dureté, l’humiliation sont fréquemment évoquées dans le Coran. Il n’est pas absurde de croire que cette religion conduit à un grand conservatisme social et politique qui s’accommode de pouvoirs autoritaires, à condition que ceux-ci soient musulmans. La sujétion à l’étranger de ces pouvoirs, dès lors qu’elle entraîne un changement de moeurs, devient une humiliation inacceptable que les élites intellectuelles partagent avec les classes défavorisées. Les uns veulent le pouvoir, les autres la justice. C’est la révolution islamique. L’Iran chiite en a été le modèle. Après l’utilisation des islamistes sunnites en Afghanistan contre les Russes, cette révolution islamique s’est répandue dans le monde sunnite. C’est ce qui explique que les « révolutions » ont remplacé dans un premier temps les régimes nationalistes corrompus par des gouvernements musulmans et ont laissé place ensuite à des groupes djihadistes en cas d’échec.
Plusieurs pays sont en guerre civile, comme la Syrie, la Libye, le Yémen. Des groupes de plus en plus violents utilisent ces vastes zones de non-droit pour lancer des attaques au Moyen-Orient, en Afrique, et nous le savons, dans le monde entier. « Libération » veut voir dans la situation actuelle une révolution en attente. Il faut au contraire y reconnaître un mauvais génie sorti d’une bouteille où il était resté durant des siècles. Daesh vient de frapper en Libye (65 morts à Zliten), en Syrie (135 morts à Deir Ezzor) tandis que Aqmi (Al-Mourabitoune) attaquait au Burkina Faso (29 morts, dont 2 Français à Ouagadougou). Le réveil d’un islamisme de conquête n’a rien à voir avec l’annonce d’une révolution démocratique. Il serait temps d’en prendre conscience.
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