Le vote des Britanniques a l’immense mérite de remettre les pendules à l’heure sur plusieurs sujets. Le premier est l’exercice de la démocratie. Pour qu’une démocratie fonctionne bien, il faut qu’il y ait un peuple, et que la volonté générale de celui-ci puisse s’exprimer. L’unité du peuple fondée sur la conscience de son identité est donc primordiale. Ensuite, il faut qu’il puisse effectuer des choix soit directement, soit grâce à des représentants qu’il aura élus. Le sursaut conservateur de la dernière élection législative illustre l’importance de ces conditions. Le Royaume-Uni est comme son nom l’indique composé de plusieurs nations, dont la principale est l’Angleterre. C’est elle qui avait choisi le Brexit (53,4%) les Gallois y étaient Légèrement moins favorables (52%), les Ecossais (38%), et les Irlandais du Nord (44,2%), hostiles. Encore faut-il préciser que c’est le vote catholique qui en Irlande avait fait pencher la balance en faveur du maintien dans l’Union Européenne. Si l’Angleterre avait connu un résultat devenu habituel dans les pays développés opposant les périphériques aux métropolitains, le populisme des premiers au mondialisme des seconds, l’Ecosse avait exprimé l’opinion d’un autre peuple, et l’Irlande avait vu s’affronter deux peuples qui coexistent mal. Les élections législatives ont confirmé ce tableau : avec une grande intelligence politique, ce sont les Anglais qui ont mis fin aux incertitudes, et ils ont transformé l’essai du référendum en offrant à Boris Johnson la large victoire qui lui était nécessaire pour mettre en oeuvre le Brexit.
On conteste souvent le caractère démocratique du mode électoral des Britanniques. Il s’agit d’un vote par circonscription à un tour où est député celui qui arrive en tête. Certains prétendent que le vote proportionnel est plus représentatif. Mais représentatif de quoi ? Chaque député élu dans une circonscription au scrutin uninominal est bien LE représentant des habitants de sa circonscription, et s’il ne donne pas satisfaction, les électeurs peuvent en changer la fois suivante. En revanche, l’élection à la proportionnelle ne permet pas ce lien entre l’élu et l’électeur. Les candidats sont sélectionnés par le parti qui les place sur une liste de telle sorte que certains auront de grandes chances d’être élus, et d’autres beaucoup moins. La répartition des voix se fera de manière abstraite dans la mesure où le choix se fera non pour une personne mais vaguement pour une couleur politique de laquelle l’électeur croira plus ou moins être proche au moment du vote. Une fois le résultat connu, il faudra tenter de former une majorité. Si l’élection uninominale à un tour tend à limiter le nombre des partis, deux, le plus souvent, la proportionnelle les multiplie et conduit plus d’une fois à deux impasses : soit il est impossible de construire une majorité, comme en Israël, soit sa construction suppose des alliances improbables qui éloignent la politique menée du choix initial de l’électeur, comme en Belgique, par exemple. L’éparpillement des voix et des partis dissout littéralement la volonté générale. Celle-ci parle clairement dans un référendum, mais devient cacophonique à la proportionnelle. Un tel mode d’élections aurait empêché le Royaume-Uni de parvenir au Brexit. Le référendum contraire à la fatalité européenne aurait comme d’habitude avorté, ce qui s’est produit au Danemark, aux Pays-Bas et en France. Il est d’ailleurs remarquable que le vote privilégié par l’Union Européenne pour son parlement soit la proportionnelle, ce faux-nez de la démocratie. Les résultats des élections européennes au Royaume-Uni, si on les transposait aux législatives n’auraient pas rendu le Brexit possible. En revanche, après un référendum au résultat clair, si on met entre parenthèses les différences régionales déjà évoquées, les dernières législatives avec un glissement de voix modéré, ont traduit la volonté générale des Anglais et des Gallois de sortir de l’impasse, de rouvrir l’avenir et de redonner au pays sa dignité. Maintenant, les électeurs écossais ont également exprimé une volonté générale en élisant 48 députés nationalistes sur 59. Il est probable que ce résultat incite Nicola Sturgeon à exiger un nouveau référendum sur l’indépendance de l’Ecosse avec la perspective d’un retour à l’UE. Comme au Quebec, il n’est pas dit que la majorité soucieuse d’autonomie soit favorable à une indépendance, qui créerait autant de difficultés que le Brexit sans que le retour à l’UE soit automatique. Il sera long, compliqué et sans doute impossible en raison de la situation de la Catalogne par rapport à l’Espagne, ou de la Flandre par rapport à la Belgique. Ces deux pays s’opposeront à l’adhésion de l’Ecosse.
L’autre apport considérable du vote britannique c’est d’avoir démontré que la politique du cliquet qui sous-tend le progressisme, l’idée qu’il y a un sens de l’Histoire, laquelle ne posséderait pas de marche-arrière, peut être démentie. Lorsqu’on s’est trompé, il doit toujours être possible de revenir sur ses pas pour prendre un autre chemin. Il est d’ailleurs cocasse de voir qu’en France, un gouvernement qui n’hésite pas à revenir, sans doute avec raison parfois, sur les avantages acquis, considère en revanche la « construction européenne » comme une mécanique irréversible. Il faut souhaiter que lors des prochaines présidentielles et législatives, les Français voyant à quel point ils se sont trompés, expriment la volonté générale du pays, un pays uni lui, en faisant un tout autre choix que celui de 2017 !