L’intervention française en Centrafrique, aussi louable soit-elle, pose des questions auxquelles les réponses apportées par François Hollande sont en contradiction avec les faits et les objectifs énoncés. Une intervention beaucoup moins désintéressée qu’il veut bien l’affirmer.
Dans ce pays, les exactions se sont multipliées pendant des mois contre les chrétiens terrorisés par l’ex-Séléka, un mouvement d’origine musulmane aujourd’hui dissout qui a porté au pouvoir son actuel président, Michel Djotodia.
Il aura fallu attendre que les chrétiens se fassent massacrer par centaines et exercent à leur tour, de manière regrettable, leur vengeance contre les musulmans pour que le conseil de sécurité donne son feu vert à la France en appui de la force africaine.
La mission française Sangaris va devoir compter sur ses 1 600 militaires pour sécuriser un pays plus grand que la France ravagé par les tensions confessionnelles. Dans ces conditions, l’intervention de la France, seule, dans une ancienne colonie dans laquelle elle a déjà plusieurs fois tenté – vainement – d’influer le cours des événements, est très délicate.
On est donc en droit de se demander pourquoi la Belgique qui a, elle aussi, participé à la colonisation du pays n’envoie pas de militaires sur place ? Tout comme les autres pays européens. La Turquie qui a longtemps frappé à la porte de l’Europe est elle aussi restée très discrète…
L’Union européenne, plus prompte à dénoncer les déficits de la France, se révèle quant à elle incompétente dans le domaine de la Défense, préférant observer passivement la situation et allouer quelques crédits. Face à cette absence de réactivité, François Hollande reste muet. Ce qui importe pour lui, c’est d’éviter l’écueil de la Françafrique.
Il a donc pris le soin de rappeler qu’il n’a pas d’autres objectifs que de sauver des vies. En réalité, la France marque probablement sa zone d’influence, investie économiquement et politiquement par la Chine et l’Afrique du Sud. Une politique qui ressemble étrangement à la Françafrique dont François Hollande se veut pourtant le farouche opposant. Le discours change mais les intérêts demeurent les mêmes.
Comme lorsque la France se détournait de David Dacko, trop proche de la Chine à son goût, et apportait un soutien à Jean Bebel Bokassa qui se révèlera contestable au lendemain de l’indépendance.
En s’abstenant d’intervenir 9 mois plus tôt, lorsque l’ancien président François Bozizé chassé du pouvoir par l’ex-Séléka le
réclamait, la France a préféré laisser s’exacerber les tensions confessionnelles attisées par les milices de Michel Djotodia au profit de ses intérêts.
Voilà un élément de la situation qui a échappé à Madame Alliot-Marie lorsqu’elle a affirmé que la France a choisi le camp des chrétiens plutôt que celui de la paix. Si tel était le cas alors notre pays serait intervenu plus tôt et aurait aussi pris fait et cause pour les centaines de milliers de chrétiens et animistes noirs du Sud-Soudan tués dans un conflit ignoré.
La France ne peut pas assumer seule tous les risques et les responsabilités. La demande soutenue par Laurent Fabius lors du
Conseil des affaires étrangères aujourd’hui à Bruxelles ne garantit pas pour autant le succès de la mission.
En Centrafrique où le président Michel Djotodia est contesté par une grande partie de sa population, l’unification des chrétiens et animistes du centre et du sud divisés en différents groupes d’origine bantoue avec les musulmans du nord appartenant à des groupes proches du Soudan et du Tchad est un véritable défi.
La méfiance du président centrafricain à l’égard de la France et la démonstration de force dont ont fait preuve ses milices lors de l’accueil de François Hollande à Bangui en disent long sur son manque de légitimité et la situation dans laquelle il a plongé le pays.
Pour comprendre le contexte de la Centrafrique, il faut se rappeler les propos de l’ex-Premier ministre centrafricain et chef du Mouvement pour la libération du peuple centrafricain-MLPC, Martin Ziguélé : « Le premier mal de l’Afrique est la mauvaise gouvernance et la gabegie ». Selon lui, les chefs d’États africains « n’ont pas su gérer des territoires et des États hérités de la colonisation, qu’ils ont laissé sombrer en déliquescence, faute de conscience nationale et de préparation ».
> Manuel Lahut est journaliste professionnel. Il a travaillé chez France Soir et chez M, le magazine du Monde.
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